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Primaire de la gauche
Le grand décryptage

Le chiffrage ne permet pas à lui seul de comparer les propositions des candidats. Elles doivent également s'apprécier au regard de leur mise en oeuvre, de leur historique et d'une comparaison internationale.

CandidatPropositionChiffrage *Détail

Benoît
Hamon
Création d’un revenu universel d’existence + 349 Md€ Chiffrage
et faisabilité

Manuel
Valls
Création d’un revenu décent
+ 12 Md€ Chiffrage
et faisabilité


*+XX Md€ correspond à une dépense supplémentaire ou une diminution des recettes
-XX Md€ correspond à des économies ou des recettes supplémentaires

Quels enjeux pour ces propositions ?

Benoît Hamon propose la création d’un revenu universel d’existence, Manuel Valls celle d’un revenu décent. Si les deux propositions se rejoignent dans leur principe, le montant de l’aide, son financement et ses bénéficiaires diffèrent.

Benoît Hamon propose d’instaurer un revenu universel de 750 € par mois versé à tous les Français majeurs. Il pourrait être financé par une fusion ciblée avec les minima sociaux ; une réforme de la fiscalité en faveur d’une individualisation de l’impôt sur le revenu et d’une lutte contre les niches fiscales "injustes et inefficaces" ou encore d’une lutte renforcée contre l’optimisation et l’évasion fiscale.

Manuel Valls propose, quant à lui, la création d’une allocation issue de la fusion des minima sociaux existants, attribuée sous condition de ressources à toute personne de plus de 18 ans. Cette proposition s’apparente fortement à l’instauration d’un "revenu décent", préconisée par un groupe d’experts réuni par Terra Nova dans un rapport de novembre 2016.

Ces deux propositions, qui n’ont encore jamais été appliquées en France, devront être inscrites dans une loi et feront ensuite l’objet de décrets, afin d’en préciser les modalités.

Le revenu universel d’existence a fait l’objet d’expérimentations à l’étranger (au Canada dans les années 1970, aux Pays-Bas depuis janvier 2016 et en Finlande à partir de 2017), mais n’a jamais été généralisé à l’échelle d’un pays. La Finlande ou l’Allemagne ont procédé à des fusions de leurs minima sociaux, qui s’apparentent au revenu décent proposé par Manuel Valls.

Déjà appliquées ? proposées ?

Le revenu universel d’existence n’a jamais été appliqué en France. De nombreuses propositions de "revenu universel" ou "revenu de base" ont toutefois été formulées récemment dans le débat public. Dans son rapport de janvier 2016, le Conseil national du numérique a proposé "d’éclairer et d’expertiser les différentes propositions et expérimentations autour du revenu du base". Une mission sénatoriale a été constituée en mai 2016 afin d’examiner cette question : dans son rapport, rendu public en octobre 2016, elle préconise de mettre en œuvre des expérimentations, pour une durée de trois ans et sur des territoires volontaires. Le département de la Gironde s’est porté candidat à une telle expérimentation : une étude préalable a été lancée, elle devrait rendre ses conclusions en février 2017 pour un début d’expérimentation en 2018.
 
Plusieurs think tank ont publié des rapports consacrés à la faisabilité d’un revenu de base (Fondation Jaurès) ou d’une allocation unique (Ifrap), mais ils envisagent des réformes très différentes en pratique (prise en compte ou non de la structure du foyer, modalités très variables de financement de ce revenu, suppression d’un nombre plus ou moins importants de dispositifs existants…etc.). Pour la Fondation Jaurès, qui propose la réforme la plus proche de celle défendue par Benoît Hamon, un revenu de base de 750 euros par mois aurait un coût brut de 504 milliards (336 Md€ pour 500€ par mois et 675 Md€ pour 1 000€).
 
Le revenu décent n’a pas non plus été appliqué en France. La volonté de simplifier l’architecture des minima sociaux n’est cependant pas nouvelle et a inspiré notamment la création de la prime d’activité en 2016, qui a remplacé la prime pour l’emploi et le RSA activité.

En avril 2016, le député Christophe Sirugue a remis un rapport au Premier Ministre intitulé "Repenser les minima sociaux – Vers une couverture socle commune". Parmi les trois scénarios de réforme pour clarifier l’architecture des minima sociaux, il propose la création d’une "couverture socle commune". Sans fournir de chiffrage précis, le rapport Sirugue estime que cette couverture socle entraînerait des coûts supplémentaires en termes budgétaires (du fait notamment de son ouverture aux 18-25 ans, actuellement exclus du RSA, de l’amélioration du taux de recours, mais aussi d’un montant de base plus élevé que le RSA socle actuel).

Déjà testées à l'étranger ?

Le revenu universel d’existence à l’étranger

  • Au Canada, entre 1974 et 1979, deux villes ont expérimenté un revenu versé sans condition (MINCOME), sous la forme d’impôt négatif (Winnipeg et Dauphin). La mise en place de ce revenu n’a pas engendré de baisse significative du temps de travail.

  • Depuis 1982, l’Alaska reverse les revenus du pétrole et du gaz à ses résidents installés depuis plus de 5 ans, soit 157€ par mois en 2015. Ce montant n’est cependant pas comparable au niveau d’un revenu d’existence et la spécificité de sa source de financement limite l’intérêt d’une comparaison avec le cas français.


Des expérimentations commencent à être mises en œuvre en Europe, mais principalement centrées sur les ménages bénéficiaires de minima sociaux :

  • en Finlande, une expérimentation devrait débuter le 1er janvier 2017 et durer deux ans. 2 000 chômeurs de 25 à 58 ans percevront 560€ par mois à la place des différentes prestations auxquelles ils avaient droit. L’évaluation est prévue en 2019 ;

  • aux Pays-Bas, une trentaine de municipalités se sont engagés depuis janvier 2016 dans une expérimentation du revenu universel, dont la ville d’Utrecht (300 000 habitants, 4e ville du pays, 300 citoyens participants). Six groupes d’au moins 50 personnes, bénéficiaires du chômage ou des minima sociaux, ont été définis. L’un de ces groupes demeure sous le régime de Sécurité sociale actuel (groupe témoin). Parmi les cinq autres, un seul reçoit un revenu de base inconditionnel (900 € par mois pour un adulte seul et 1 300 € pour un foyer) tandis que les trois autres groupes expérimentent des règles différentes.

  • en Suisse, en revanche, un projet de revenu de base à 2 000€ a été rejeté à près de 76% lors d’un référendum organisé en juin 2016.

 

Le revenu décent à l’étranger

 
Avec dix minima sociaux, la plupart étant destinés à des populations spécifiques mais certains se recoupant partiellement, le système français apparaît relativement complexe sur la scène internationale. Le système finlandais d’assistance sociale de base, par exemple, ne compte qu’un seul dispositif, financé par les communes (mais sa recentralisation est prévue pour 2017).

L’Allemagne a réformé l’architecture de ses minima sociaux dans le cadre de lois Hartz, entre 2003 et 2005. Elle compte aujourd’hui 3 minima sociaux : une assistance chômage (équivalente au RSA et à l’ASS), une aide à la subsistance pour les personnes qui sont dans l’incapacité temporaire de travailler, et une allocation minimum pour les personnes âgées de plus de 65 ans ou dans une situation d’incapacité permanente (équivalente à l’ASPA et à l’AAH). Le montant de ces trois minima est identique (404€ pour une personne seule), la différence portant sur l’obligation de recherche d’emploi. Le montant du minimum social augmente afin de prendre en compte le coût du loyer, ce qui n’est pas le cas en France, où les aides au logement sont calculées et versées indépendamment du RSA.

Ce minimum social peut être majoré sous certaines circonstances (isolement, problèmes de mobilité, femmes enceintes, etc.). Les montants sont familialisés mais chaque personne à partir de l’âge de 15 ans (18 ans pour l’allocation minimum de base) peut percevoir individuellement l’un de ces deux minima sociaux.

La réforme allemande des minima sociaux s’est accompagnée d’une réforme du marché du travail (développement des mini-jobs, contrats à faible volume horaire subventionnés, instauration d’une prime à l’emploi, aides à la création de micro-entreprises), afin de renforcer la logique d’activation des dépenses, ainsi que d’une augmentation continue des dépenses de formation. L’effet propre de la réforme des minima sociaux, sur le taux de pauvreté et de chômage par exemple, ne peut donc être isolé.

Le taux de chômage a diminué de 5 points à la suite des lois Hartz, pour atteindre 6,3 % en 2016, et 2,5 millions d’emplois ont été créés entre 2005 et 2015. Cette augmentation de l’emploi est notamment due au développement des emplois précaires, le nombre de personnes travaillant à temps partiel ayant quasiment doublé en 15 ans.

Le taux de pauvreté a augmenté depuis 2005, passant de 12,2% de la population en 2005 à 16,7% en 2014. Ce sont les chômeurs qui ont été le plus affecté, puisque leur taux de pauvreté est passé de 41 % en 2005 à 69 % en 2013, selon Eurostat.

Ces "effets" ne peuvent en aucun cas être extrapolés à la proposition de Manuel Valls. Celle-ci concerne exclusivement la réforme des minima sociaux et implique en outre une augmentation du montant nominal de ces minima par rapport à la situation actuelle, ce qui n’était pas le cas dans les réformes allemandes.


Comment les mettre en oeuvre ?

La création du revenu universel d’existence, tout comme la création d’un revenu décent, devront être inscrites dans une loi et feront ensuite l’objet de décrets, afin d’en préciser les modalités.

La suppression du RSA socle, actuellement financé par les départements, nécessiterait une négociation entre l’État et l’Association des départements de France, qui pourrait soulever des difficultés : les discussions sur une possible recentralisation du RSA ont échoué en juin 2016.

Le revenu d’existence étant universel, l’ensemble de la population française serait concernée. Certaines personnes pourraient être plus particulièrement concernées par la suppression d’une partie des prestations sociales : les ménages avec enfants, en cas de suppression des allocations familiales, si le revenu d’existence est individualisé et ne tient pas compte de la structure du foyer ; les adultes en situation de handicap, si l’AAH est supprimée, puisque le montant mensuel de base de l’AAH (810€ par mois environ) est supérieur au montant annoncé du revenu universel d’existence ; les personnes bénéficiant actuellement des niches fiscales ou pratiquant l’évasion fiscale.

Le revenu décent pourrait concerner les 4 millions d’allocataires des minima sociaux en France recensés par la Drees au 31 décembre 2013. En tenant compte des conjoints et des enfants à charge, 10,9% de la population française est actuellement couverte par les minima sociaux.

Les personnes handicapées risqueraient de voir leurs prestations réduites par rapport à la situation actuelle, puisqu’elles perçoivent actuellement une allocation supérieure à 900€ (si l’on considère l’allocation de base et la majoration pour la vie autonome ou le complément de ressource). On comptait 1 million d’allocataires de l’allocation adulte handicapé (AAH) au 31 décembre 2013.

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