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17/02/2017

Vote du Parlement européen en faveur du CETA : interview exclusive de Iana Dreyer

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Vote du Parlement européen en faveur du CETA : interview exclusive de Iana Dreyer
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

 


Ce mercredi 15 février, le Parlement européen s'est prononcé en faveur de l'accord commercial entre l'Union européenne (UE) et le Canada : le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA).

Analyse du vote par Iana Dreyer, chercheuse associée à l'Institut Montaigne, experte en commerce international et rédactrice en chef du site d'information borderlex.eu.

Retrouvez également son décryptage du contenu traité en lui-même, objet d'un précédent entretien.

 

 

 

 

Quels enseignements retenir de ce vote du Parlement européen ?

408 parlementaires se sont prononcés en faveur de cet accord, 254 s’y sont opposés et 33 se sont abstenus. Les accords commerciaux font d’habitude l’objet d’un plus fort consensus au sein de l’hémicycle. La forte contestation d’organisations citoyennes a eu pour conséquence de diviser une partie de la gauche et du centre gauche.
 
Ce vote apporte tout de même la preuve qu’il existe au Parlement européen une majorité de députés favorables au libre-échange et à une mondialisation régulée. Un vote négatif aurait porté atteinte à toute l’Union européenne (UE). La politique commerciale commune est le principal outil de l’influence européenne dans le monde. Si l’accord avait été rejeté, l’UE aurait perdu beaucoup de crédit auprès de ses partenaires. Sa capacité à conclure des accords commerciaux internationaux aurait été gravement remise en cause. 

La politique commerciale est l’une des principales compétences exclusives de l’UE. Cela signifie que les États membres ont accepté d’en transférer la compétence à la Commission. Un vote négatif du Parlement aurait placé la Commission dans une situation compliquée et il aurait été difficile pour elle d’exercer pleinement la mission que lui ont confiée les États membres.

Ce traité a-t-il une importance particulière ?
 
Les Européens doivent avoir conscience que l’UE est la plus importante économie mondiale. L’ouverture de ce marché est donc le principal levier dont dispose la Commission pour influer sur les autres États. Dans un monde où la croissance économique est largement à l’extérieur de l’Europe, ce levier nous permet d’assurer à nos entreprises d’importants débouchés pour leurs produits et services, mais également de promouvoir les droits de l’Homme ou des règles de meilleure gouvernance économique.
 
Le CETA est l’accord commercial le plus ambitieux jamais conclu par la Commission. Le Canada a consenti d’importantes réductions des droits de douane ainsi qu’une ouverture quasi-totale de ses marchés publics, jusqu’au niveau municipal ! Cela aura un impact très positif pour les entreprises européennes. De plus, le Canada a ratifié les huit conventions fondamentales de l'Organisation Internationale du Travail (OIT). A l’avenir, la Commission pourra se référer à cet accord et peser davantage dans les négociations qu’elle mène avec d’importantes économies comme celles du Japon, des Philippines ou de l’Indonésie.
 
Quelles sont les prochaines étapes avant que cet accord n’entre en vigueur ?
 
Du côté canadien, l’accord est pleinement ratifié. En revanche, la procédure est incertaine et pourrait être encore très longue en Europe. La première étape sera la validation par le Conseil européen de l’accord. Elle devrait avoir lieu au mois d’avril.
 
A partir de cette date, les parties du traité qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union pourront entrer en vigueur de manière provisoire. Cela représente 90 % du traité et concerne l’ouverture des marchés publics et la diminution des barrières tarifaires et non-tarifaires. En principe, l’application provisoire entrera en vigueur avant l’été 2017.
 
Toutefois, l’accord étant mixte – comprenant aussi des parties relevant de la compétence des États membres – il devra encore être ratifié par les vingt-huit États membres pour entrer pleinement en vigueur.
 
Les États membres ont décidé que le chapitre sur les investissements et celui sur la protection des investissements relevaient de la compétence des Etats. Pour que ces règles entrent en application, il faudra donc attendre la ratification des vingt-huit, ce qui peut prendre des années !
 
A titre d’exemple, l’accord signé avec la Corée du Sud en 2011 – accord qui n’avait soulevé que très peu d’opposition – n’a été pleinement ratifié qu’en 2015. Dans le cas du CETA, qui fait l’objet d’une plus forte contestation, la ratification pourrait être encore plus longue.

Quels pourraient être les obstacles à la ratification ?
 
L’État belge a annoncé qu’il saisira la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin qu’elle se prononce sur la compatibilité du chapitre sur la protection des investissements, notamment de la Cour d’investissement prévu dans le CETA, avec le droit européen. Cette saisine ne devrait cependant avoir lieu qu’après l’arrêt de la Cour au sujet de la mixité de l’accord commercial avec Singapour, qui sera probablement rendu au printemps.
 
La Cour constitutionnelle fédérale allemande sera aussi très probablement saisie du CETA. Elle devra alors se prononcer sur la compatibilité de l’accord avec les règles constitutionnelles allemandes et pourrait à cette occasion poser une question préjudicielle à la CJUE ce qui retarderait alors encore la procédure de ratification…
 
Enfin, personne ne sait exactement ce qu’il adviendra en cas de vote négatif de l’un des parlements nationaux. La France et l’Allemagne pourraient considérer que cela met automatiquement fin à l’application provisoire de l’accord. On pourrait alors une nouvelle fois décider de se tourner devant la CJUE pour répondre à cette épineuse question.
 
De manière générale, les principaux États membres ne semblent pas vouloir simplifier la procédure de ratification des accords mixtes, dont on constate chaque jour la grande complexité. A Paris comme à Berlin, les dirigeants politiques ont même de plus en plus tendance à défendre une renationalisation de la politique commerciale.
 
Cette volonté se reflète dans leur défense insistante de la nature mixte des accords commerciaux. Ces accords relèvent pourtant largement de la compétence exclusive européenne, dont le contrôle démocratique est assuré depuis 2010 par la procédure de co-décision avec le Parlement européen, élu au suffrage universel. En utilisant l’argument de la mixité, les États membres réintroduisent la règle de l’unanimité dans la prise de décision sur la politique commerciale. Cela a pour conséquence de permettre à tout État membre – ou même, comme dans le cas belge, un parlement régional – d’opposer son veto à la ratification d’un accord.
 
En revanche, on voit émerger au sein des États membres une réflexion portant sur un meilleur contrôle par les parlements nationaux des actions des gouvernements au Conseil européen. Ce qui est salutaire.
 
L’UE et le Canada sont tombés d’accord pour instituer une Cour bilatérale pour les questions d’investissements, quel sera son rôle ?
 
Le CETA crée en effet un système quasi-judiciaire basé sur une liste de juges nommés à l’avance par les parties au traité. Cette Cour aura pour tâche de traiter des litiges entre investisseurs et Etats. Les deux parties se sont également engagées à faire de cet embryon de juridiction bilatérale une véritable cour à un niveau multilatéral. Dans les faits, le Canada et l’UE ont déjà commencé à faire la promotion de cette Cour et proposent à différents Etats tiers d’en devenir membre. A ce stade, les discussions sont encore naissantes et le plus grand flou persiste. A titre d’exemple, on ignore toujours si cette Cour exercera ou non dans le cadre des accords de l’OMC.

Pour aller plus loin :

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La jeunesse : clé de la reconstruction de l'Union européenne ?

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