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13/07/2023

Vilnius - un sommet OTAN pour rien ?

Vilnius - un sommet OTAN pour rien ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Quel bilan retenir du sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Vilnius les 11 et 12 juillet ? Là où la Turquie et la Suède ont conclu un accord pour entériner l'entrée de cette dernière dans l'organisation, l'Ukraine reste sur sa faim : les membres de l'OTAN ne se sont pas entendus sur une éventuelle adhésion du pays. Bien que les pays d'Europe centrale et les pays Baltes soient favorables à cette invitation, les États-Unis et l'Allemagne adoptent une position plus prudente, qui n'est pas sans susciter l'énervement du président ukrainien. Pour Michel Duclos, plusieurs avancées peuvent être soulignées, tant sur la mise en place de nouveaux plans de défense que sur les engagements financiers dans le domaine capacitaire.

De ce sommet de l’OTAN à Vilnius, les 11 et 12 juillet, on retient surtout la fureur du Président Zelenski reprochant aux Alliés de ne pas avoir adopté une position plus claire - en fait plus engageante - sur une invitation à l’Ukraine d’entrer dans l’Alliance. Il est notable que ce sont surtout les États-Unis et l’Allemagne qui ont fait prévaloir une position de prudence, par contraste avec la position plus allante des pays d’Europe centrale et des Baltes soutenus par
la France. Qu’en est-il exactement ?

Les enjeux du sommet hors-Ukraine

Tout d’abord, d’autres enjeux que l’enjeu ukrainien ont connu des progrès importants. En premier lieu, l’entrée de la Suède est acquise, au prix d’engagements de Stockholm vis-à-vis d’Ankara sur la question kurde, qui obligent toutefois la Suède à une révision déchirante de sa politique - certains disent de son identité.

C’est un élargissement significatif sur le plan géographique mais aussi qualitatif, s’agissant de pays potentiellement très contributeurs à la sécurité collective.

Au prix aussi, selon toute probabilité, d’un engagement de Washington à obtenir du Congrès l’autorisation de moderniser et d'accroître la flotte turque de F16. L’impact de l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’organisation atlantiste n’est pas à négliger : c’est un élargissement significatif sur le plan géographique mais aussi qualitatif, s’agissant de pays potentiellement très contributeurs à la sécurité collective.

Le président Erdogan, suivi par Mr. Orbán, a-t-il particulièrement bien joué ses cartes, notamment en exerçant une sorte de chantage à l’intégration de la Turquie dans l’UE ? Comme d’habitude, le dirigeant populiste turc a su dramatiser médiatiquement ses concessions et en tirer quelques profits. Le lien qu’il a effectué avec la négociation UE-Turquie est en réalité du bluff auquel la Commission et les États-Membres de l’UE - dont la Suède, qui a dû se prêter à de vagues promesses sur le sujet - ne se laisseront pas prendre. En revanche, la levée du blocage turc sur la Suède - jointe à d’autres signaux positifs d’Ankara, comme la composition du nouveau gouvernement ou la libération des officiers ukrainiens "gardés" par la Turquie (dans le cadre d’un deal avec la Russie) - sont indicatifs d’une volonté du président Erdogan de se rapprocher de l’Occident. L’état de son économie le pousse sans doute également dans ce sens.

En second lieu, le sommet de l’OTAN a été l’occasion de décisions importantes sur la mise en place de "nouveaux plans de défense", notamment vis-à-vis du flanc Est, et d’engagements financiers dans le domaine capacitaire. S’agissant du premier point, le commandement intégré a désormais un mandat pour mettre en place une capacité de renforcement rapide du flanc Est allant jusqu’au déploiement de 300 000 hommes en un mois en cas de crise. C’est inférieur au déploiement permanent, comprenant des volumes plus importants en hommes et en matériels, que souhaitaient les Alliés d’Europe centrale et orientale, mais les inhibitions en ce domaine de l’OTAN post-guerre froide sont levées.

S’agissant du second point, le "Defense Investments Pledge" entérine l’engagement de chaque nation de consacrer 2 % du PIB à des dépenses militaires, comme un plancher et non comme un plafond. Dans l’état actuel des choses, environ un tiers des Alliés dépensent 2 % de leur PIB pour leur armée, un tiers y sont presque et un dernier tiers en sont encore assez loin. On peut dire cependant que la dynamique du réarmement de l’Europe, à commencer par l’Allemagne, est désormais en marche, ce qui est capital aussi bien pour la crédibilité de l’Alliance que pour avoir une chance de retenir l’engagement des États-Unis à rester fidèles à l’article V.

L’enjeu ukrainien

Il reste bien sûr que le sommet de Vilnius ne pouvait pas ne pas être dominé par l’Ukraine, à un moment crucial de la guerre : la contre-offensive ukrainienne sur le terrain avance mais rencontre des difficultés, on est loin des progrès rapides de celle de l’année dernière, alors que par ailleurs le pouvoir à Moscou paraît fragilisé par la mutinerie - pourtant avortée - des mercenaires de Wagner.

C’est dans ce contexte que se posait la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Chacun savait au départ que cette entrée ne pourrait pas être effective tant que le pays serait en guerre, et tant que ses frontières n’étaient pas fixées. Il convenait aussi de bien peser les risques vis-à-vis de Moscou : dire trop explicitement que la fin du conflit était un préalable, c’était encourager la Russie à prolonger sans fin son agression ; renoncer à tout engagement concernant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, c’était de facto accorder à la Russie une vulnérabilité de l’Ukraine qui est justement un des buts de guerre de Moscou.

L’objectif était donc de donner aux Ukrainiens une promesse crédible que le moment venu, les Alliés leur ouvriraient la porte. C’est à peu près ce qui a été fait, notamment en indiquant que ce jour-là les Ukrainiens n’auraient pas besoin de passer cette espèce de "noviciat" que constitue la procédure habituelle des "Membership Action Plan" (MAP). Par ailleurs, la création d’un "Conseil OTAN-Ukraine" est davantage qu’une "fiche de consolation" pour le pays : elle permettra aux représentants ukrainiens d’être associés à beaucoup de travaux techniques de l’OTAN et le pouvoir politique ukrainien disposera d’une plateforme pour faire connaître ses vues aux Alliés.

La création d’un "Conseil OTAN-Ukraine" permettra aux représentants ukrainiens d’être associés à beaucoup de travaux techniques de l’OTAN de disposer d’une plateforme pour faire connaître leurs vues aux Alliés.

Il est clair cependant que l’affaire aurait pu être mieux gérée. D’abord, le président Biden a lui-même mis les points sur les i de façon particulièrement brutale avant le sommet, déclarant notamment à CNN qu’il ne voulait pas prendre le risque d’une escalade avec la Russie et rappelant les progrès à faire par l’Ukraine en matière de lutte contre la corruption. Nul doute que ses propos ont pour but tout à fait légitime de ne pas perdre l’opinion américaine dans l’effort consenti pour aider les Ukrainiens (50 millions de dollars d’aide jusqu’ici de la part des États-Unis). Il a ainsi confirmé que les Américains ne veulent pas préserver la possibilité de rétablir un contact avec les Russes pour négocier une fin la plus proche possible de la guerre.

Par ailleurs, les termes du communiqué de l’OTAN, négociés par les diplomates avant l’arrivée des chefs d’État et de gouvernement à Vilnius, paraissent étonnamment maladroits. Il est indiqué notamment qu’une invitation sera adressée à l’Ukraine "lorsque les alliés le décideront et que les conditions en seront réunies". Cette double conditionnalité évidemment redondante ne donne pas l’impression d’un grand enthousiasme. En arrivant à Vilnius, Mr. Zelenski a exprimé sa colère. Il aurait voulu au moins un calendrier et des étapes claires pour que son pays devienne un membre de l’OTAN comme les autres. Peut-être a-t-il d’ailleurs ainsi contribué à aggraver le mal, en soulignant l'ambiguïté de la position qui a fait consensus au sein de l’Alliance.

C’est d’autant plus dommage que le président ukrainien est reparti en fait satisfait le lendemain de Vilnius. En marge du sommet en effet, beaucoup d’alliés ont annoncé de nouveaux transferts d’armes importants : c’est le cas des États-Unis avec les bombes à fragmentation, destinées à compenser le manque de munitions d’artillerie, ou de la France avec l’envoi de missiles de moyenne portée Scalp, susceptibles de rendre plus efficace la contre-offensive ukrainienne, ou d’autres alliés avec différents "paquets" de nouveaux transferts.

De surcroît, le G7 - dont fait partie l’Union européenne - a rendu publique une série d’engagements que l’on désigne sous le nom de "garanties de sécurité". Il s’agit en fait d’un plan de mesures permettant sur la durée d’apporter une aide systématique économique, civile et militaire à l’Ukraine.

Nous passons à une phase où tous les alliés de l’Ukraine s’organisent pour pérenniser leur soutien dans la durée.

Tous les pays voulant soutenir l’Ukraine sont invités à se joindre à ce plan. C’est là que se situe peut-être la vraie portée du sommet de Vilnius, avec cette articulation un peu étrange entre les efforts de l’OTAN et ceux du G7 (et d’ailleurs de l’Union européenne) : comme l’a exprimé le président Macron, nous passons d’une phase de réponse aux besoins au jour le jour de l’Ukraine à une phase où tous les alliés de l’Ukraine s’organisent pour pérenniser leur soutien dans la durée.

Pour une raison simple : Il n’est plus aussi sûr que le temps joue pour la Russie ; celle-ci peut finalement s’essouffler avant l’Ukraine et ses soutiens. Il est donc vital, pour influencer les calculs russes, de convaincre Moscou que les États-Unis, les Européens et leurs alliés asiatiques s’organisent pour être en mesure de soutenir l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire.

Il reste qu’à côté du Vilnius des résultats et des perspectives, c’est peut-être un autre Vilnius qui doit retenir l’attention, celui des arrières-pensées. Les Américains ont laissé entendre que leur engagement aurait des limites, même si le discours officiel affirme l’inverse ; leurs positions suggèrent non seulement qu’ils veulent éviter l’escalade mais plus encore qu’ils souhaitent un règlement rapide du conflit négocié avec Moscou. Par contraste, pour la première fois depuis le début de la guerre, les Européens sont apparus sur une ligne plus dure. Signalons que la France a confirmé - et donc crédibilisé - la nouvelle posture du Président Macron : à l’unisson du "mainstream" européen, sans pour autant critiquer Washington.

Copyright Image :  Doug Mills / POOL / AFP

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (G) est applaudi par les membres de l'OTAN, dont le premier ministre britannique Rishi Sunak (C) et le président américain Joe Biden, avant la réunion du Conseil OTAN-Ukraine lors du sommet de l'OTAN à Vilnius, le 12 juillet 2023.

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