Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
12/02/2016

Université, la sélection en master jugée illégale : trois questions à Jean-Marc Schlenker

Imprimer
PARTAGER
Université, la sélection en master jugée illégale : trois questions à Jean-Marc Schlenker
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne



Un avis du Conseil d'État, émis le 10 février 2016, estime que sélectionner les étudiants en master 1, comme en master 2, est illégal. Alors que la Conférence des Présidents d'Université "demande une sortie de crise rapide pour tous les masters", Jean-Marc Schlenker, Professeur à l'Université du Luxembourg et président du Comité de Suivi de la loi LRU, en 2011 et 2012, décrypte les principaux enjeux de cette décision.

Pensez-vous que les universités doivent pouvoir sélectionner dès le M1 ?

La possibilité pour les universités de choisir leurs étudiants au niveau du master est très largement répandue à l’échelle internationale. Les formations de master sont avancées, parfois spécialisées, et elles exigent des prérequis spécifiques. On ne peut pas leur demander à la fois d'être ouvertes à tous les étudiants titulaires d'une licence, et d'offrir une formation du même niveau et de la même qualité que celles des universités étrangères qui, elles, peuvent sélectionner leurs étudiants et donc s'adresser à des étudiants d'un niveau plus homogène.

Ne pas autoriser la sélection au niveau master conduit donc à dégrader les conditions d'étude. Cela conduit aussi in fine à de lourds sacrifices pour beaucoup d'étudiants. Peu d'universitaires, et c’est heureux, sont prêts à attribuer un diplôme de master à des étudiants dont les acquis et les compétences ne correspondent pas à ce niveau d'étude. Les étudiants qui s'engagent dans un master sans y être préparés ont donc de fortes chances d'échouer et de perdre une ou deux années. L'absence de sélection à l'entrée implique la sélection par l'échec, beaucoup plus coûteuse pour les étudiants. À l'opposé, la sélection initiale comporte généralement un contrat de réussite : les étudiants sont certes sélectionnés, mais ceux qui sont retenus ont les moyens de réussir et, s'ils fournissent les efforts nécessaires, ils doivent obtenir leur diplôme.

Par ailleurs, les formations de niveau master comprennent souvent une expérience de recherche, qui ne peut se faire dans de bonnes conditions qu'avec un investissement personnel important d'un, ou de plusieurs, professeurs pour chaque étudiant. Ceci n'est possible dans de bonnes conditions que pour un nombre d'étudiants compatible avec le potentiel d'encadrement, et pour des étudiants qui ont un potentiel académique suffisant pour que les professeurs soient prêts à consacrer du temps et de l’énergie à leur formation.

Le contrôle actuel du système universitaire par l’État est-il adapté aux réalités actuelles de l'enseignement supérieur ?

La loi LRU de 2007 a apporté aux universités françaises une part limitée d'autonomie. Malgré cette évolution nécessaire, une étude comparative récente de l'European University Association, rappelle qu’elles sont encore parmi les universités européennes les plus étroitement contrôlées par l’État.

Ce contrôle de l’État pouvait paraître adapté lorsque les universités fonctionnaient dans un cadre essentiellement national. Ce n'est plus le cas, et les enjeux de la recherche et de l'enseignement supérieur se situent aujourd'hui au niveau européen et international. Il est important pour les universités, comme pour les pays, d'attirer et de retenir les étudiants prometteurs et les chercheurs actifs. Dans ce contexte, un contrôle étatique trop étroit peut être un handicap important pour les universités, et par conséquent, pour le développement économique futur du pays.

L’État a bien entendu un rôle essentiel à jouer dans le financement des universités et donc dans leur gouvernance. Plus largement, il doit veiller à la régulation de l'enseignement supérieur et de la recherche, en particulier à travers un système de financement suffisamment incitatif. Mais ce rôle ne devrait pas passer par des contraintes réglementaires sur des éléments qui relèvent de la liberté académique des universités, comme la sélection des étudiants au niveau du master.

Quel signal adressons-nous aux étudiants étrangers ?

Il ne s'agit pas seulement des étudiants étrangers, mais aussi de beaucoup d'étudiants français : on laisse entendre que les formations de niveau master offertes par les universités françaises n'ont guère de valeur, puisqu'elles sont ouvertes à tous. C'est un message évidemment faux, mais qui n'en est pas moins fortement perçu ainsi par de nombreux étudiants, qui préfèreront étudier dans des universités britanniques ou américaines.

Un étudiant qui candidate dans plusieurs formations (en France et à l'étranger) tendra généralement à préférer celle pour laquelle il a été choisi – qui valorise ainsi sa candidature et lui assure de bonnes chances de réussite – à une autre où l'admission est automatique mais où la sélection se fait par l'échec.

Pour aller plus loin

Consultez l’étude de l’Institut Montaigne : Université, pour une nouvelle ambition.

Retrouvez nos infographies

Retour sur notre événement "Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 ?"

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne