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07/06/2017

Une campagne meurtrie qui boite jusqu’à la ligne d’arrivée

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Une campagne meurtrie qui boite jusqu’à la ligne d’arrivée
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Sophie Gaston, directrice des affaires extérieures et des projets internationaux pour le think tank britannique Demos analyse pour l'Institut Montaigne la campagne législative au Royaume-Uni.

 

La campagne législative britannique de 2017 laissera un souvenir amer. Mettant un terme au mandat parlementaire en cours, Theresa May (parti conservateur) décida à contrec'ur d'organiser une élection anticipée, en se fiant à la publication de sondages lui donnant une avance record sur Jeremy Corbyn, chef du parti travailliste (parti d'opposition). A mesure que l'élection approche, il semble cependant que la Première ministre aurait peut-être dû suivre son intuition première, qui lui dictait de ne pas convoquer cette élection.

Si les conservateurs pourraient remporter une majorité parlementaire, le parti aura durement souffert pendant la campagne. Lancée presque un an après le Brexit, l’élection semblait destinée à se focaliser sur la négociation du référendum européen. L’écart significatif entre May et Corbyn dans les sondages a cependant recentré les “thèmes” de la campagne autour de la personnalité des deux chefs de parti.
 
Pendant les premières semaines de la campagne, cette situation semblait privilégier directement la Première ministre, dont le nom fut placardé sur des bus, des tracts, et même certains produits. Le nom du parti, devenu toxique pour certains, demeura invisible. Les conservateurs tentèrent ainsi de profiter de la popularité de May pour encenser la personnalité de leur cheffe, en soulignant la sécurité qu’elle avait offerte au pays en ces temps d’incertitude historique. Les différents candidats furent présentés comme membres de “l'Équipe de Theresa May ”, et les programmes redoublèrent d’ambition, évoquant même la possibilité de “ repeindre le Nord (traditionnellement travailliste) en bleu ”.
 
Cependant, la campagne des conservateurs, qui paraissait inébranlable, fut troublée par la diffusion des programmes des deux partis.
 
La fuite de celui du parti travailliste, qui proposait notamment la renationalisation des services publics et des investissements dans la santé et dans l’éducation, laissa penser à Westminster que cela pourrait avoir un impact désastreux. Contre toute attente, les électeurs réservèrent un très bon accueil à ce net virage à gauche. Le parti travailliste, jusque là paralysé sur le seuil de la campagne par la personnalité de Corbyn, réussit ainsi à réorienter l’attention sur sa politique intérieure.
 
Lorsque les conservateurs publièrent à leur tour leur programme la semaine suivante, le plan de réforme de la protection sociale provoqua un tollé ! Les citoyens virent cette mesure d’un très mauvais oeil, l’apparentant à un interventionnisme trop fort du gouvernement dans leur sphère privée. Sous pression de son directeur de campagne, la Première ministre renonça publiquement à cette proposition, faisant ainsi demi-tour. Mais cette annonce arriva trop tard : l’image que May véhiculait d’une gouvernance “forte et stable” fut définitivement anéantie. Ce fut dans la soirée de cette journée, la pire de la campagne électorale de la Première ministre, que le terrible attentat de Manchester eu lieu.
 
Quand la campagne repris, les conservateurs réapparurent avec un nouveau message, reconnaissant les risques auxquels ils s’étaient exposés en se focalisant sur leur seul leader. Alors que les médias continuaient à prédire un possible regain travailliste en réaction aux déclarations de May sur la réforme de la protection sociale, tous continuaient à croire à une victoire confortable de la Première ministre. Une telle victoire ne garantira pas pour autant de bonnes relations entre l’équipe proche de May et le reste de son parti qui aura connu de sérieux moments de doute au cours de la campagne.
 
Le résultat de l’élection sera important pour la politique interne du Royaume-Uni comme pour les négociations du Brexit, qui accapareront certainement tous les moyens du gouvernement pendant les prochaines années. L’ampleur de la victoire de la Première ministre décidera de son emprise future sur les courants de droite et du centre de son parti, qui ne partagent pas complètement sa vision sur une série de mesures. Un large succès devrait lui permettre de renforcer son assurance lors de son entrée en négociations pour Brexit, prévue moins de 10 jours après le vote. Alors que les enjeux pour le pays se précisent, la Première ministre a pleinement conscience qu’une gestion réussie de ces négociations requiert une forte autorité afin d’imposer des sujets difficiles, non seulement avec Bruxelles mais aussi avec ses concitoyens britanniques, et au sein de son propre parti.
 
Pour le parti travailliste, le résultat sera crucial. Comme pour le parti socialiste en France, et pour beaucoup d’autres partis sociaux démocrates à travers l’Europe, les travaillistes ont eu du mal à concilier les valeurs traditionnelles des classes ouvrières et celles des grandes métropoles cosmopolites. L’élection de Jeremy Corbyn à la tête du parti, qui semble plus intéressé par l’idée de construire un “mouvement social” que par celle de gouverner, a constitué un obstacle significatif à la régénération du parti et à sa capacité à endosser le rôle d’une opposition sérieuse. Un mauvais résultat nuirait au parti à court terme mais donnerait aux membres “modérés” du parlement l’opportunité de remettre en question le leadership de Corbyn.
 
Cette élection semble clore une insolite période de pluralité au sein du système électoral britannique avec la montée des libéraux démocrates pro-européens (LibDem) et du parti anti-européen United Kingdom Independence Party (UKIP). De manière assez curieuse, ces deux partis partagèrent à la fois leur modus operandi - en focalisant leur discours sur le Brexit - et leur défaite, bien que le UKIP ait tout de même atteint son but initial, la sortie de l’Union européenne. Alors que l’influence de ces partis s’estompe, et que le parti travailliste stagne sous le mandat de Corbyn, le résultat de l’élection pourrait faire du Royaume-Uni un État à parti unique.

 

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