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31/08/2009

Un été meurtrier

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Un été meurtrier

La canicule était au rendez-vous, qui fait chaque été redouter une explosion de violences dans les prisons surpeuplées de la République. Fausse alerte : les détenus sont restés calmes. Ils ont calmement témoigné de leur désespoir en se suicidant à un rythme encore jamais atteint. S’il se maintient, plus de 140 prisonniers se seront donné la mort en 2009, contre 115 en 2008 et 96 en 2007. Ce "brillant" résultat est obtenu après un effort sans précédent de rénovation des établissements pénitentiaires : dans le cadre du programme de 13 200 places décidé en 2002 pour un coût de 1,5 milliard d’euros, sept établissements neufs ont été livrés en 2008 et sept autres le seront en 2009, accroissant le nombre de places d’environ 7 500.

On ne peut mieux démontrer que la solution des problèmes du système pénitentiaire français ne se trouve pas dans une incessante augmentation des budgets.

Pour essayer de maîtriser cette épidémie de suicides, les pouvoirs publics ont annoncé des mesures. Elles sont plus propres à rassurer l’opinion qu’à résoudre la question : des matelas qui ne brûlent pas, des draps et des pyjamas en papier trop fragiles pour supporter le poids d’un corps pendu… plus une formation à la détection des risques suicidaires… qui existe déjà depuis l’application des mesures proposées par Jean-Louis Terra en 2003. Parallèlement, une commission a été nommée, présidée par Albin Chalandon, qui fut Garde des Sceaux de 1986 à 1988. Elle devra remettre ses recommandations en octobre. Sans les attendre, Jean-Marie Bocquel, secrétaire d’Etat à la Justice, préconise un suivi personnalisé des détenus, en particulier au début de leur incarcération, période d’un "choc" psychologique très souvent dangereux. Il a raison, mais la mesure est impossible à mettre en œuvre dans l’état actuel de la surpopulation carcérale. Cette surpopulation n’est pas de 20% comme on l’entend ici et là dans des discours officiels
(62 000 détenus pour 52 000 places). En réalité elle est nulle dans les établissements pour peines qui bénéficient d’un numerus clausus de l’Administration pénitentiaire mais peut atteindre 200% dans les maisons d’arrêt qui sont justement les établissements où l’on compte la majorité des suicides.

Ces suicides et toutes les réactions qu’ils entraînent, quelquefois hypocrites, quelquefois constructives, ont le mérite de maintenir l’attention sur la scandaleuse situation des prisons françaises qui échouent à lutter efficacement contre la délinquance. Bien que l’État ait plus que doublé en dix ans le budget de l’Administration pénitentiaire[1], celle-ci ne parvient pas à remettre dans le droit chemin la majorité des condamnés qui lui sont confiés : la prison reste une école de la délinquance ou, à tout le moins, une école de la désinsertion sociale, le meilleur chemin pour ne plus jamais retrouver un emploi et un logement. Les détenus sont majoritairement condamnés à récidiver et donc à revenir derrière les barreaux. Plutôt que de s’organiser pour rompre ce cercle vicieux, les "responsables" se résignent et se préparent à accueillir toujours plus de récidivistes : ainsi est sérieusement étudiée l’hypothèse que le nombre de détenus qui est de 60 000 aujourd’hui atteigne
80 000 en 2015 ! Il n’est pas inutile de rappeler que construire une place de prison coûte 100 000 euros et qu’une journée de détention en coûte 90…

Nouvelle commission ou pas, nouvelles mesures ou pas, rien ne sera efficace sans deux bouleversements : la suppression de la surpopulation qui ruine tous les efforts que peut faire l’Administration pénitentiaire et la construction – cela prendra du temps – d’une nouvelle culture du personnel de cette administration[2].

Heureusement, la nouvelle loi pénitentiaire attendue depuis 2001 doit être soumise au vote de l’Assemblée le 14 septembre prochain. Cette loi offre la possibilité d’aménager les peines inférieures à deux ans. S’ouvre ainsi, pour la première fois, la possibilité de mettre un terme à ce fléau de la surpopulation carcérale, rapidement, c'est-à-dire en quelques mois[3]. Alors, il sera possible d’instituer le suivi personnalisé que souhaite Jean-Marie Bocquel et de travailler réellement à un parcours de réinsertion réalisé pour les uns en milieu fermé, pour les autres en milieu ouvert. Cette loi peut contribuer fortement à la disparition de la surpopulation. Elle peut amorcer la nécessaire révolution culturelle de l’Administration pénitentiaire qui lui fera abandonner ses critères anciens de "bon fonctionnement" d’une prison – pas d’évasion et pas de violences entre détenus ou entre détenus et surveillants – au profit d’un critère nouveau primordial : pas de récidive.

Pour aller plus loin :
Comment rendre la prison (enfin) utile, septembre 2008

Notes

[1] Le budget qui était de 1 milliard d’euros pour 54 000 détenus en 1997 a été porté à 2,4 milliards pour 64 000 détenus en 2008.

[2] Christine Boutin et Louis Albrand, "Il faut une révolution culturelle", Le Monde du mardi 25 août 2009.

[3] Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie, a déjà décidé la libération de 28 000 détenus considérés comme non dangereux. Ce chiffre pourrait être porté à 44 000 à raison de 1 500 détenus libérés chaque mois. La Californie compte environ 160 000 prisonniers.

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