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15/10/2010

Réforme de la garde à vue : la France directement condamnée alors que s'ouvre le débat parlementaire

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Réforme de la garde à vue : la France directement condamnée alors que s'ouvre le débat parlementaire
 Kami Haeri
Auteur
Avocat associé chez August & Debouzy

La France a été condamnée ce jeudi 14 octobre par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH).

Dans son arrêt Brusco c/ France, la CEDH estime que certaines dispositions relatives à la garde à vue violent le droit à un procès équitable tel que prévu à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

Saisie par un citoyen français, entendu par la police sans l'assistance d'un avocat et sans que lui ait été notifié le droit au silence, la CEDH a critiqué l'absence de dispositif permettant à la personne de réserver ses déclarations, au nom du principe de non auto-incrimination. Elle a ainsi indiqué que le requérant n'avait "pas été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu'aux questions qu'il souhaitait". La Cour en a déduit que la France n'avait pas respecté le droit au silence, qu'elle classe parmi les "normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable".

Puis, après avoir établi ce premier grief, la CEDH a estimé que la personne placée en garde à vue "a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires et ce, a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire", rappelant à l'occasion sa jurisprudence établie en matière de droit des personnes mises en cause dans les phases initiales d'enquête (Salduz c. Turquie - no 36391/02, 27 novembre 2008. Dayanan c. Turquie, no 7377/03, 13 octobre 2009. Boz c. Turquie, no 2039/04, 9 février 2010 et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, 2 mars 2010).

La France a donc rejoint aujourd'hui la liste des pays directement condamnés par la CEDH à cause d'une procédure pénale insuffisamment protectrice des droits de la personne suspectée. Elle s'était déjà - en quelque sorte - sanctionnée elle-même puisque le Conseil Constitutionnel avait jugé le 30 juillet 2010 que les dispositions relatives à la garde à vue de droit commun étaient contraires à la Constitution et aux principes dégagés par la CEDH. Le Conseil Constitutionnel avait toutefois repoussé les effets de sa décision au 1er juillet 2011 afin de laisser au législateur le temps d'instituer des règles nouvelles.

Malicieux hasard du calendrier, c'est précisément au lendemain de l'adoption par le Conseil des Ministres du projet de réforme de la garde à vue, à quelque semaines du débat parlementaire provoqué par la décision du Conseil Constitutionnel, que les hauts magistrats de Strasbourg ont sanctionné la France. Mais là ne réside pas la seule actualité : la décision de la CEDH intervient quelques jours avant que la Cour de Cassation soit amenée à son tour à se prononcer sur la régularité de la garde à vue dans le cadre de trois pourvois. Ces décisions, qui pourraient encore accélérer le débat, sont d'autant plus attendues que le parquet général a conclu que les dispositions françaises relatives à la présence de l'avocat en garde à vue sont non conformes au droit européen, y compris pour les régimes dérogatoires (terrorisme, stupéfiants, criminalité en bande organisée). C'est donc à la lumière de cette déferlante judiciaire que devra nécessairement être abordé le débat sur la réforme de la Garde à vue ; débat auquel l'Institut Montaigne entend contribuer en publiant très prochainement une Etude sur le sujet.


Voir la minute Montaigne, par Kami Haeri
Lire le billet "Garde à vue - Le bon maître et le bon esclave", par Kami Haeri
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