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05/07/2011

"Quand le dollar nous tue" d’Edouard Tétreau

 Frédéric Bonnevay
Auteur
Economiste, Associé chez Anthera Partners



Après avoir réussi le tour de force de prédire la crise des valeurs internet dès le début des années 2000 puis d’annoncer la crise du crédit bien avant sa réalisation, Édouard Tétreau (1) livre dans son nouvel ouvrage, Quand le dollar nous tue (éditions Grasset, 124 pp.), une analyse inquiétante du système monétaire mondial et de sa clef de voûte – le "billet vert".

Adepte des stratégies de deep value – consistant à anticiper les mouvements de fond de l'économie –, Édouard Tétreau s’applique ici à résoudre une équation réputée insoluble : celle de la dette américaine.

En règle générale, une dette publique trop lourde se traduit par un service d’intérêts de plus en plus élevé, susceptible de déséquilibrer la balance budgétaire, de condamner le gouvernement à augmenter fortement les impôts et, dans la plupart des cas, à lever des capitaux frais sur les marchés. Or, des traites gigantesques pèsent sur les comptes publics américains. Le problème, à vrai dire, n’est pas nouveau : les États-Unis ont depuis longtemps échangé leur titre de principal créancier du monde contre celui de principal débiteur. Ce statut peu flatteur n’a pourtant pas réellement freiné le développement de la "superpuissance" américaine. Comme le formulait John Paul Getty : "If you owe the bank 100 dollars, it’s your problem. If you owe the bank 100 million dollars, it’s the bank’s problem."

La crise de crédit et le marasme économique qui s’ensuivit a néanmoins considérablement rebattu les cartes. Comme le note Édouard Tétreau, le Trésor américain a largement financé l’effort de reprise avec du papier profusément placé auprès des investisseurs internationaux – chinois, japonais ou autres –, faisant bondir son endettement net, mais sans provoquer la hausse des taux tant redoutée.

Timothy Geithner – secrétaire d’État au Trésor – aurait-il trouvé le moyen de replacer l'Amérique en apesanteur financière ? Édouard Tétreau, fidèle à un certain scepticisme, passe la chaîne logique en revue. Et fidèle à sa réputation, il trouve la faille de l’argumentaire : c’est le recours immodéré à la "planche à dollars" par la Fed qui a permis, en apparence, d’opérer cette quadrature du cercle.

En apparence seulement, car la muraille, insidieusement, se lézarde. La faillite, sous une forme ou une autre, semble inéluctable. Édouard Tétreau, dans la deuxième partie du livre, distingue trois scenarii, du plus bénin – l’improbable "erreur technique" – au plus douloureux – le beaucoup plus plausible scenario "diabolique". Ce dernier cas, prévoyant l’implosion du système financier par surabondance de dollars, précédera tout un cortège de fléaux économiques hautement contagieux, au rang duquel stagnation, chômage et inflation, surtout, figureront en bonne place.

Quelles pourraient être les répercussions de ces maux hors des États-Unis ? Édouard Tétreau le rappelle : "When the US catches a cold, the world gets pneumonia". L’Europe, tristement, en sera la première victime collatérale. En perte de vitesse accentuée, le continent européen a vu son potentiel de croissance chuter, sa population vieillir et sa compétitivité s’éroder rapidement. Un "diabolique" regain d’inflation sonnerait le glas de tout éventuel rebond et porterait un coup fatal à l’édifice communautaire, déjà fragilisé par l’épisode grec.

Mais l’Europe ne pâtirait pas seule de ce choc. Le moteur asiatique, qui tourne aujourd’hui à plein rendement, risque fort de s’enrayer, l’import de dollars dépréciés se traduisant par une surchauffe intenable du renminbi et des autres devises de la région.

D’autres pays émergents s’en trouveraient aussi fortement déstabilisées, politiquement et socialement : l’envolée des prix – en dollars – des matières premières agricoles n'est probablement pas sans lien avec les événements intervenus ce printemps dans le Maghreb et la péninsule arabique. En somme, prévient Édouard Tétreau au terme de son analyse, c’est notre économie globalisée qui risque de basculer, si les États-Unis remboursent leur dette en "monnaie de singe". Les assignats de la Constituante et les Marks de la République de Weimar ont laissé en France et en Allemagne des cicatrices profondes ; un dollar désancré frapperait le monde entier en plein cœur.

Écrit dans un style efficace, illustré par l'expérience personnelle d'un insider, arpenteur éclairé des allées du pouvoir des deux côtés de l'Atlantique, ce livre remet en question le mythe du dollar fort, clef de voûte de l'ordre politique et économique moderne.

Édouard Tétreau ne prédit pas, cette fois, l'explosion d'une bulle ou la difficile conclusion d'un cycle, mais bel et bien la fin d'une ère. L'importance vitale des enjeux qu'il analyse et la clarté du raisonnement qu'il bâtit font de cet ouvrage une référence à mettre entre toutes les mains.

(1) Expert associé à l'Institut Montaigne, Édouard Tétreau a participé à deux de ses travaux sur la crise financière. Il est co-auteur des notes Reconstruire la finance pour relancer l’économie (mars 2009) et Entre G2 et G20, l'Europe face à la crise financière (septembre 2009).

(2) Egalement expert associé à l'Institut Montaigne, Frédéric Bonnevay est l'auteur de l'étude Pour un Eurobond - Une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (février 2010).

Crise financière - Les publications de l'Institut Montaigne :

- Pour un Eurobond - Une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (Étude de Frédéric Bonnevay, 2010)
- Entre G2 et G20, l'Europe face à la crise financière (Note, 2009)
- Reconstruire la finance pour relancer l’économie (Note, 2009)

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