Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
17/05/2023

Prévention et lutte contre les feux de forêts : quels enjeux ?

Imprimer
PARTAGER
Prévention et lutte contre les feux de forêts : quels enjeux ?
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

En avril dernier, le Sénat adoptait à l'unanimité une proposition de loi visant à prévenir les risques d'incendie sur le territoire. Quels enjeux cristallisent la multiplication et l'intensification de ces méga-feux de forêts ? Hugues Bernard, chargé de projet environnement et climat à l’Institut Montaigne, décrypte leurs conséquences humaines et écologiques.

En 2022, des feux de forêts d’une ampleur et d’une intensité inédites sont survenus en France. Sur l’année, les surfaces sinistrées représentent 72 000 hectares, soit 0,5 % de la surface totale occupée par les forêts françaises (17 millions d’hectares). Ces feux représentent aussi plus d’un million de tonnes de CO2 relâché dans l’atmosphère et des dégâts irréversibles sur la biodiversité.

Si certains territoires comme la Gironde, avec ses 25 000 hectares brûlés de juin à septembre 2022, restent encore marqués à vif, l’été 2023 laisse présager une situation tout aussi risquée. La sécheresse hivernale de début d’année, avec un record de 32 jours d’affilée sans pluie, n’a pas permis le bon rechargement des nappes phréatiques. Mi-avril, 1 000 hectares ont brûlé dans des incendies dans les Pyrénées-Orientales, une date "extrêmement précoce" pour un phénomène d’une telle ampleur.

Les feux de forêts doivent désormais être appréhendés comme un "enjeu d’avenir qui le restera longtemps" (Clémenceau). L’intensification des changements climatiques, en particulier des épisodes de sécheresse, accentue les conditions d'émergence et de propagation des mégafeux. Pour protéger les populations et l'environnement, les pouvoirs publics entendent tirer les leçons de l’an dernier. Depuis la mi-mai, une proposition de loi, portée par les groupes Les Républicains et l’Union Centriste et qui vise à renforcer la prévention des feux de forêts, est étudiée à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit d’agir tant sur les volets de l’intervention (augmentation des moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le feu, identification précoce des départs de feux) que de la prévention (sensibilisation des populations aux bons comportements, réagencement des forêts pour limiter la propagation des feux…).

Avec le dérèglement climatique, la fréquence et l’intensité des feux de forêts s’accentuent

Le dérèglement climatique intensifie et étend le risque de feux de forêts. La hausse des températures contribue à une sécheresse croissante de la biomasse, rendant cette matière végétale plus inflammable. Les vents violents, dont la fréquence augmente avec le dérèglement climatique, accélèrent la propagation des flammes. Ces vulnérabilités sont aggravées par la faiblesse des précipitations pendant la période de recharge (septembre à mars) qui empêche les nappes phréatiques de se remplir. Les incendies records de l’année 2022 ont été provoqués par une combinaison de ces trois phénomènes : un nombre inhabituel de vagues de chaleur, un déficit pluviométrique de près de 25% et des conditions très venteuses durant la période estivale. D'ici la fin du siècle, l'Office national des forêts estime que le risque d’incendies concernera l'ensemble du territoire national.

Les conditions météorologiques de début d’année 2023 laissent présager un été chaud et sec, particulièrement propice aux départs de feux. La France a connu une succession de 32 jours sans pluie en début d’année, une sécheresse hivernale sans précédent. Ce déficit de précipitations, à une période déterminante de recharge des nappes phréatiques (de septembre à mars), a empêché la bonne reconstitution des réserves en eau souterraines. Or c’est l’eau stockée dans ces nappes qui agit en protection face à la sécheresse : ces réserves en eau sont en effet puisées par la végétation lors des vagues de chaleur. À l’approche de l’été 2023, la vigilance est forte : selon le dernier bilan du Bureau de Recherche Géologiques et Minières, 68% des niveaux des nappes phréatiques restent sous les normales mensuelles en avril 2023 (75% en mars 2023, 58% en mars 2022). Quelques récents signes laissent entrevoir une situation estivale inflammable : le département des Pyrénées-Orientales vient d’être placé en état de vigilance “très sévère” pour les feux de forêts.

Les feux de forêts ont des conséquences importantes sur le climat, l’environnement et les populations

Les feux de forêt provoquent une double peine pour le climat : en plus de dégager un surplus de CO2 dans l’atmosphère, ils réduisent nos capacités de séquestration de carbone. Les feux de forêts constituent de véritables bombes climatiques. Ils provoquent le relâchement d’importantes quantités de CO2 par la combustion de matières végétales et le rejet dans l’atmosphère d’une partie des stocks de carbone contenus dans la biomasse et les bois morts. Les feux de forêts de l’année 2022 en France ont relâché près d’un million de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. De façon encore plus impressionnante, les incendies de 2019 en Australie ont relâché près de 700 millions de tonnes de carbone. Dans le même temps, la destruction des forêts constitue une réduction des puits carbones naturels que sont les arbres (c’est-à-dire des réservoirs absorbant du carbone pour éviter qu’il ne se propage dans l'atmosphère). Un seul arbre, (par la photosynthèse) peut en effet absorber en moyenne 10 à 40 kg de CO2 par an. Au niveau global, l’impact des forêts dans la lutte contre le réchauffement climatique est décisif : les forêts captent entre 14 % et 20 % des émissions d’origine humaine, soit entre 1,3 et 1,8 gigatonne de carbone chaque année.

Les feux de forêts provoquent également une dégradation importante de la biodiversité. Les feux menacent les espèces animales : en Australie par exemple, les feux de forêts de 2019 ont provoqué la mort de près de 3 milliards d’animaux, dont de nombreuses espèces en extinction. La flore n’est pas non plus épargnée, et certaines forêts peuvent mettre jusqu’à 100 ans pour se régénérer entièrement, soit autant de temps durant lequel le cycle naturel du vivant est bouleversé.

Enfin, les feux de forêts causent des dommages sociaux et économiques considérables. Sur le plan sanitaire, les incendies provoquent des pics de pollution records : à la suite de l’été 2022, plusieurs départements ont enregistré une concentration de particules fines jusqu’à 8 fois supérieure aux seuils limites fixés par l’OMS. Au niveau mondial, une étude de l’AAS montre que la fumée des feux provoquerait près de 339 000 morts en moyenne par an. À ces menaces pesant sur la santé s’ajoutent de fortes répercussions économiques : les seules interventions des pompiers en 2022 ont coûté plus de 100 millions d’euros à la France. Ce chiffre est d’ailleurs largement sous-dimensionné puisqu’il ne comprend pas les coûts économiques ex-post liés à la reconstruction des dommages (notamment des habitats), le relogement de milliers de personnes et la désertion des touristes. À titre d’exemple, le coût total des incendies en Californie en 2018 aurait avoisiné les 150 milliards de dollars : 30 milliards en perte de capital (maisons détruites), 30 milliards de dollars en coût direct sur la santé, et le reste en coûts indirects (diminution du tourisme, arrêt temporaire de l’économie…).

L’action des pouvoirs publics entend s’adapter à la nouvelle nature du risque

Face au développement de feux hors normes, les députés examinent une proposition de loi portant sur deux axes majeurs : un renforcement des capacités d’intervention en situation d'incendie et l'aménagement du territoire forestier en amont. 

Sur le premier point, les pouvoirs publics entendent réhausser les moyens matériels et humains. Par rapport à 2022, neuf avions et hélicoptères bombardiers d’eau (portant le nombre d’appareils de 38 à 47) et 500 sapeurs-pompiers supplémentaires ont été annoncés par le gouvernement à la mi-avril.  La proposition de loi prévoit en outre une augmentation des dotations à destination des Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS) et de la protection civile (notamment pour l’acquisition de moyens aériens).

Ensuite, la proposition de loi souhaite renforcer le volet prévention. Une ‘stratégie nationale de défense des forêts’ a été annoncée pour se préparer à la multiplication et l’intensification des feux. Alors que 90 % des incendies sont d’origine humaine, la sensibilisation des populations aux bons réflexes est un enjeu de taille. Le législateur prévoit à cet effet de durcir les interdictions de fumer aux alentours des zones boisées et d’alourdir les sanctions, lesquelles pourront atteindre 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende. Les préfets auront également la possibilité d'interdire un certain nombre de travaux agricoles à certains horaires "en cas de risque d'incendie très sévère". Ensuite, mieux responsabiliser les propriétaires forestiers, publics comme privés, à l'entretien de leurs forêts permettrait de ralentir la propagation des feux. En premier lieu, le renforcement de l’obligation légale de débroussaillement (c’est-à-dire l'élimination des matières végétales susceptibles de brûler (herbes, ronces…) est à l’étude. Notons aussi que certaines solutions naturelles, comme l’intégration de chèvres dans les sous-bois, permettent un débroussaillement efficace. Toujours dans le même registre, l’obligation de procéder à des coupes tactiques et la mise en place de pare-feux permettraient de freiner considérablement la propagation des incendies.

Le texte, en cours d’examen à l’Assemblée, suscite plusieurs critiques. Si la majorité des parlementaires s’accordent sur l’urgence à agir, certains, parmi les membres de l’opposition, reprochent au texte son caractère court-termiste. Le principal reproche, jugé “légitime” par la rapporteure Sophie Panonacle, tient au manque de considération pour l’adaptation de nos forêts au dérèglement climatique. Il s’agit en effet, à terme, de reconstituer des forêts plus résilientes en remplaçant progressivement le résineux (espèce aujourd’hui majoritaire en forêt et très inflammable) par du feuillu, plus adapté aux températures élevées. Enfin, d’autres critiques ont ciblé les faibles moyens prévus dans ce texte : le gouvernement entend supprimer un rabais fiscal sur le carburant utilisé par les services d’intervention.

De façon plus large, la lutte contre les feux de forêt gagnerait à s’inscrire dans une réponse européenne collaborative. Depuis déjà quelques années, la solidarité européenne permet d'accroître les moyens à disposition des forces d’intervention. Lors des incendies de 2022, une dizaine d’avions étrangers avaient été mobilisés sur le sol français, tandis que quatre-vingt pompiers français avaient été envoyés en Grèce en 2021. Ces entraides bilatérales peuvent être complétées par une base d’équipements coopératifs à disposition des États membres. Considérant le coût très élevé de l’acquisition d’avions canadair, le mécanisme “rescEU” met déjà à la disposition des États une réserve de douze avions et un hélicoptère bombardier d’eau. Ce mécanisme peut encore s’étoffer : étant donné la multiplication des feux et leur concentration pendant l’été, une réserve d’une dizaine d’avions semble une moindre chose.

Enfin, la technologie constitue un levier de performance au service des forces d’intervention. Les pompiers français utilisent déjà des drones pour repérer les feux naissants et les éteindre avant qu’ils ne prennent de l’envergure. D’autres technologies en cours de développement doivent permettre de mieux anticiper les risques d’incendies : une mission menée par l’INRAE et le CNRS vise à créer un premier modèle de prédiction de la teneur en eau des végétaux en période de grande chaleur. Enfin, des outils de protection civile à destination des citoyens sont en train de voir le jour : les individus situés à proximité d’un incendie en France pourront être informés en temps réel sur leur portable de l’évolution du feu, tel que le dispositif californien (California Fire & Air quality Map) le permet déjà.


Analyse coécrite avec Maxence Delespaul, assistant chargé d’études à l’Institut Montaigne

 

Copyright Image : NICOLAS TUCAT / AFP

Un Canadair CL 415 largue de l'eau sur une forêt pour tenter d'éteindre un feu de forêt, près de Gonfaron, dans le département du Var, dans le sud de la France, le 17 août 2021.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne