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05/01/2016

Pour une réforme vraiment utile du Code du travail

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Pour une réforme vraiment utile du Code du travail
 Institut Montaigne
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Tribune parue dans Les Echos, le 4 janvier, de Bertrand Martinot, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, auteur de "Pour en finir avec le chômage", Fayard/Pluriel, 2015 et Franck Morel, avocat associé Barthélémy avocats, ancien conseiller de plusieurs ministres du travail

La réforme du Code du travail, qui va s'étaler sur plusieurs années, va connaître en ce début d'année sa première étape avec une esquisse remise par la commission Badinter. Ces travaux sont particulièrement attendus par des employeurs et des salariés déboussolés par un droit du travail pléthorique et instable. Dans ce contexte, rien ne serait pire qu'un nouvel espoir déçu qui rendrait la situation de l'emploi encore plus bloquée et alimenterait un peu plus la spirale chômage-faible croissance-montée des extrémismes.

Pour que cette réforme soit vraiment utile, il ne faut toutefois pas se tromper d'objet. Il s'agit de ne pas tomber dans le mirage de la fausse simplicité consistant à organiser la réécriture du Code du travail autour seulement de quelques grands principes, nobles et flous, comme pourrait y conduire une certaine lecture de l'opuscule de MM. Badinter et Lyon-Caen, "Le Travail et le Droit". Car, en pratique, un principe réduit à quelques mots, c'est souvent l'assurance que le droit concret sera le fait de la jurisprudence. On n'y gagne ni en sécurité ni en stabilité. Le véritable objectif de la réforme ne doit donc pas être le nombre de pages du code, mais la souplesse dans la sécurité. Il doit être d'équiper les partenaires sociaux, les entreprises et les salariés d'outils juridiques clairs et précis leur permettant d'adapter les règles qui leur sont applicables tout en réduisant l'incertitude juridique qui les inquiète tant.

Pour y parvenir, une approche pragmatique consiste à distinguer trois catégories de règles seulement. L'ordre public absolu concerne les règles de droit impératives que la négociation collective ne peut pas aborder, même pour les "améliorer" ou les décliner. Il s'agit par exemple des règles de représentativité des syndicats, des pouvoirs des juridictions et administrations, des sanctions judiciaires et administratives. L'ordre public social regroupe les règles où la négociation collective ne peut intervenir que pour fixer des dispositions plus favorables au salarié, comme par exemple en matière de protection de la santé au travail. Dans ces deux premières catégories figurent aussi les engagements internationaux de la France, comme les temps de repos minima. Enfin, tout le reste, qui constitue la troisième catégorie, doit pouvoir être renvoyé à la négociation collective, avec des règles légales, drastiquement simplifiées, applicables à défaut d'accord collectif. Le droit des congés payés est un bon cas d'école de cette nécessaire simplification, les règles étant inutilement complexes (période, fractionnement, calcul de l'indemnité...).

S'en tenir à cette approche avec une bonne dose de réalisme constitue une condition essentielle de l'utilité de la réforme. A contrario, l'ajout d'un quatrième niveau de grands principes, dont la valeur serait, de fait, située au-dessus de plusieurs des règles fixées dans ces trois ensembles et dont l'imprécision ne viendrait qu'ajouter à l'incertitude ambiante, serait contre-productif.

L'exemple du principe général d'égalité de traitement entre salariés illustre ce risque à merveille. Ce principe n'a jamais été posé comme règle de droit par le législateur. Mais le juge, qui le visait dans plusieurs arrêts, s'est débattu avec lui dans un feuilleton jurisprudentiel au long cours considérant justifiées ou non certaines différences de traitement dans l'entreprise en alimentant l'incertitude dans la vie des entreprises et des partenaires sociaux.

En réalité, pour éviter un exercice académique qui passe à côté de la nécessaire sécurisation du droit du travail, de tels principes ne peuvent que figurer parmi les règles d'ordre public absolu ou d'ordre public social, et être suffisamment précis et opérationnels. Une présomption de conformité de la norme négociée au droit qui lui est applicable s'avère aussi nécessaire, comme le juge a commencé à l'affirmer au sujet des différences de traitement conventionnelles entre catégories de salariés.

L'enjeu est d'importance. Il implique qu'un ensemble de praticiens divers et variés s'approprient cette réforme. Il faut en faire un mouvement réellement populaire et pratique, avec des mécanismes juridiquement stables, compréhensibles, et dont l'application sera connue et maîtrisable par les acteurs eux-mêmes.

Pour aller plus loin :
Pour en finir avec le chômage, Septembre 2015, Ouvrage
Sauver le dialogue social, Septembre 2015, Rapport
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