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02/05/2016

[Nouvel ouvrage] Oui, un autre droit du travail est possible !

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[Nouvel ouvrage] Oui, un autre droit du travail est possible !
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Acteurs de nombreuses réformes du droit du travail, Bertrand Martinot et Franck Morel dressent, en partenariat avec l'Institut Montaigne, un diagnostic sans concession des impasses dans lesquelles la France se trouve aujourd'hui. Un autre droit du travail est possible sera disponible en librairie le 11 mai 2016.

72 propositions pragmatiques et réalistes sont présentées. Elles offrent une occasion d’œuvrer pour un droit du travail plus audacieux, axé sur les enjeux prioritaires auxquels il est urgent de s’attaquer pour libérer le travail, mieux organiser l’activité économique et protéger les travailleurs. L’Institut Montaigne est convaincu que cet ouvrage porte un projet dont les candidats à l’élection présidentielle doivent se saisir.

"La refondation du droit du travail ne peut pas se limiter à la critique du code du travail. Afin de lever les blocages actuels, il faut appréhender le problème dans sa globalité et associer l’ensemble des acteurs : ceux qui élaborent le droit du travail, ceux qui le mettent en œuvre mais aussi les juges qui l’interprètent".

Bertrand Martinot est économiste. Ancien conseiller social à la présidence de la République et ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle. Il est l’auteur de plusieurs essais, dont Pour en finir avec le chômage (Pluriel, 2015).

Franck Morel est avocat (Barthélemy avocats). Il a été conseiller de quatre ministres du Travail, inspecteur du travail, responsable de formations au ministère du Travail, cadre en entreprise et élu local. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur le sujet.

Quelques citations...

La loi qui écrase la convention


L’articulation entre loi et convention est, sur le papier, au cœur du droit du travail français. Comme le note Jean- Denis Combrexelle, ancien directeur général du Travail et président de la section sociale du Conseil d’État, « notre droit est sans doute un de ceux [en Europe] qui a été le plus loin dans le renvoi à la négociation collective sous toutes ses formes ». De fait, à en juger par le nombre de pages qu’y consacre le Code du travail, ce domaine n’a pas été épargné par l’explosion normative des dernières années, bien au contraire. Et pourtant, comme une mère trop aimante, la loi étouffe bien souvent la convention qu’elle appelle tellement de ses vœux.

Plutôt que de laisser davantage de marges de manœuvre aux acteurs de l’entreprise pour qu’ils s’adaptent et dérogent aux normes nationales, la loi française a multiplié à l’infini les obligations de négociation et de consultation. Il est d’ailleurs plaisant de constater que l’État, tellement envahissant quand il s’agit de la vie des entreprises, ne va pas jusqu’à imposer ce luxe d’obligations à ses propres administrations et à ses établissements publics, où les informations communiquées aux syndicats sont généralement beaucoup plus sommaires !

Une loi envahissante qui limite l’intérêt des négociations d’entreprise en encadrant strictement les dérogations possibles, une loi qui prescrit jusque dans les plus petits détails le contenu et le calendrier de ces négociations, tout cela témoigne d’une conception infantilisante du dialogue social.

Les risques contentieux excessifs

L’issue des procédures contentieuses est d’autant plus aléatoire que, contrairement à d’autres pays européens, les indemnités accordées par le juge en cas de licenciement infondé ne sont pas plafonnées. Là où les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne et, plus récemment, l’Espagne et l’Italie imposent un plafonnement à ces indemnités, généralement exprimé en mois de salaires par année d’ancienneté, le juge français est, selon les cas, totalement libre ou seulement lié par un plancher. Il en résulte des indemnités aléatoires, variables selon les prud’hommes, parfois à des niveaux manifestement disproportionnés à la gravité du manquement.

Le ventre mou de la négociation de branches

Au final, c’est aujourd’hui dans les entreprises, pas dans les branches, qu’ont lieu les accords les plus innovants, que ce soit sur le temps de travail, le travail de nuit ou du dimanche, ou encore sur les mobilités professionnelles. Malheureusement, ces accords ne peuvent voir le jour que dans des entreprises d’une certaine taille. Si nous voulons promouvoir un système qui concilie garanties collectives et adaptabilité économique, il ne faut donc pas faire l’impasse sur le niveau des branches. Mais, pour ce faire, il faut rénover en profondeur notre architecture conventionnelle. Et, ici comme ailleurs, les incantations du législateur ne suffiront pas. Les partenaires sociaux devront eux aussi démontrer qu’ils sont capables de se réinventer.

Un droit qui segmente le marché du travail

Pour résumer, là où notre droit prétend construire un statut général du salarié, il contribue dans les faits à le fragmenter. Une partie de la population active est sans cesse plus précarisée et exclue des promesses mirobolantes que lui fait notre législation. Et, loin de se restreindre aux marges de l’emploi, cette situation délétère gagne progressivement l’ensemble du monde du travail.

Finalement, le calage du droit du travail sur le statut de l’ouvrier de la grande entreprise induit dans bien des cas des effets pervers : celui de surprotéger le travailleur en état de subordination mais disposant grâce à son autonomie, son niveau de responsabilité ou son « pouvoir de marché » de la capacité de négocier son contrat de manière avantageuse, bénéficiant ainsi d’un filet de protection qui n’a pas initialement été conçu pour lui ; celui, inverse, de laisser sans protection celui qui n’est pas juridiquement en état de subordination mais dont les relations contractuelles sont déséquilibrées en raison d’un état de dépendance économique.

L’inflation normative : Tous coupables !

D’une certaine manière, les partenaires sociaux interprofessionnels reproduisent tous les travers des gouvernements et des législateurs : qualité contestable des textes produits, dérives technocratiques, normes détaillées et uniformes, difficultés à accepter des dérogations locales aux règles nationales… L’ hubris normative saisit les négociateurs interprofessionnels aussi sûrement que le chef de bureau élaborant sa circulaire ou le député qui cherche à tout prix à attacher son nom à un amendement.

Refonder le collectif

Ne fonder le droit du travail que sur un colloque singulier entre l’employeur et son salarié sous les auspices de la loi et du juge ne serait dans l’intérêt de personne. Ni dans l’intérêt du travailleur isolé, que la loi ne protégerait jamais assez contre les possibles abus de son employeur. Ni dans l’intérêt de l’entreprise qui ne saurait se réduire à une juxtaposition de contrats individuels et qui aurait beaucoup à perdre, en termes de sécurité juridique, avec une régulation des conflits par le juge. Aussi bien, l’autonomie de l’individu ne s’exerce de manière pleinement libre que si elle s’appuie sur  un collectif puissant, avec des règles souples mais légitimes.

Le besoin de nouvelles protections

À l’heure de la mondialisation, l’affrontement entre le travail et le capital n’a évidemment pas disparu. Mais, comme le capitalisme lui-même, il prend des formes sans cesse renouvelées. Tandis qu’autrefois les risques étaient liés à la dangerosité des tâches, au travail des enfants ou à des salaires de misère, ceux que fait courir le capitalisme du XXIe siècle sont de tout autre nature. Ainsi, le risque le plus grave encouru aujourd’hui par un ouvrier français n’est pas de devoir travailler trente-six heures sans majoration d’heure supplémentaire ; pour un cadre, il n’est pas de devoir renoncer sans compensation à trois jours de RTT ou à une prime. Il est, pour tous, de perdre son employabilité ou de voir son emploi de salarié en CDI sécurisé se transformer en des enchaînements de CDD précaires ou en un emploi soi-disant indépendant mais économiquement dépendant, avec toutes les insécurités économiques et sociales qui en découlent.

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