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28/11/2016

L’Europe face au défi de la régression démocratique

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L’Europe face au défi de la régression démocratique
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Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

La Hongrie de Viktor Orbán et la Pologne de Jaroslaw Kaczynski sont-elles l’avant-garde d’une contre-révolution culturelle qui est en train de gagner le monde ou une simple parenthèse malheureuse pour l’Europe centrale  ?

"Le temps du multiculturalisme est terminé" déclarait à l'été 2015 le Premier ministre hongrois Viktor Orban. "Ceux qui se sentent citoyens du monde, ne sont citoyens de nulle part" renchérissait Theresa May, la nouvelle Premier ministre britannique, à la fin de l'été 2016.

Après le succès du Brexit et plus encore l'élection de Donald Trump, la Hongrie de Viktor Orban a-t-elle simplement été à "l'avant-garde" de la "contre-révolution culturelle" qui semble gagner le monde démocratique ? En Europe, peut-on encore parler, comme on le faisait hier, d'une division Est/Ouest sur le plan des valeurs, comparable à la division Nord/Sud qui existe en matière de performances économiques ? La Hongrie, et la Pologne de Jaroslaw Kaczynski - quelles que soient les différences significatives qui existent entre ces deux pays - ont-elles simplement été au début d'un cycle populiste ?

Ce qui apparaissait marginal et presque secondaire hier peut être perçu désormais comme un avertissement ultime, sinon une préfiguration de ce qui nous attend demain. Il est important d'analyser les ressorts du populisme en Europe centrale pour comprendre ce qui pourrait se produire dans notre pays si le Front National arrivait au pouvoir en 2017.

Sur un plan historique il est ironique de constater que pendant toute la période de la Guerre Froide, l'Europe du centre et l'est, "l'Europe kidnappée" pour reprendre la formule de Milan Kundera, a rêvé d'Europe, symbole de liberté et de prospérité.

Vingt-sept ans après la chute du Mur de Berlin, ce cycle libéral est-il simplement en train de se refermer sous nos yeux ? L'Europe ne fait plus rêver comme vient de le démontrer de manière spectaculaire le vote des Britanniques. La démocratie libérale est en crise des deux côtés de l'Atlantique. L'économie de marché est victime de la montée brutale des inégalités. Hongrois et Polonais voulaient l'Europe, la démocratie et le capitalisme. Ils les ont eus, mais cette "trinité" n'est plus synonyme de succès. Elle est devenue porteuse de contradictions qui ont littéralement explosé lorsque l'afflux des réfugiés, réels ou virtuels - à travers les images des médias - a accéléré au sein de ces pays un mouvement de repli frileux sur soi. Les déçus de l'Europe, de la démocratie et du capitalisme, animés par une politique de colère, elle-même produit d'une culture de peur, se sont retrouvés derrière les propos des dirigeants populistes Centre Européens.

Comment expliquer autrement cette "régression démocratique" pour reprendre les termes utilisés par le grand écrivain hongrois Istvan Bibo ? La démocratie est en danger dit-il "lorsque la cause de la Nation semble menacée par la cause de la Liberté". Hier la nation hongroise faisait face aux Ottomans. Aujourd'hui elle est menacée par "la politique d'ouvertures des frontières" mise en place par l'Union Européenne. C'est en tout cas la présentation qu'en donne le Premier ministre hongrois.

Peut-on aller jusqu'à dire, comme le pensent certains, qu'en Europe centrale nous sommes en train d'assister à la revanche de Rousseau sur Montesquieu? Viktor Orban met en avant "la volonté générale du peuple" par opposition à "l'Etat de droit" cher à l'auteur de "L'Esprit des Lois". Armé d'une vision rousseauiste de la démocratie, il s'attaque à l'indépendance des médias et à la neutralité de l'administration publique.

Le nationalisme ethnique, porté par la crise migratoire, devient ainsi la source principale de légitimité démocratique. La Hongrie ne défend-elle pas une certaine idée de l'identité européenne menacée par l'ouverture des frontières'

Autre ironie de l'histoire, la vision hongroise et polonaise actuelle, n'est pas loin du concept de Kultur Nation au coeur de l'identité allemande. Aujourd'hui, c'est l'Allemagne qui donne l'exemple de l'ouverture et ce sont ses voisins du Centre et de l'Est qui sont à l'avant garde du nationalisme ethnique.

Mais au delà de la dimension des valeurs, il existe une contradiction intrinsèque entre la volonté de la Hongrie et de la Pologne de prendre leurs distances par rapport à l'Union et la dépendance économique qui continue d'être la leur face à Bruxelles. Il existe surtout une contradiction en matière de politique étrangère et de sécurité. C'est une chose de s'opposer à l'Europe - l'Allemagne et la France en particulier - et de dénoncer la politique d'accueil des réfugiés de l'une ou les contrats d'armements signés avec l'autre. C'en est une autre de définir une politique cohérente face à la Russie de Poutine. Le Président tchèque Milos Zeman peut bien se présenter à ses concitoyens comme un "Donald Trump tchèque". L'élection d'un Président américain qui veut se rapprocher de Poutine et ne veut plus payer pour la défense du continent européen complique singulièrement les choses pour l'Europe du Centre/Est. Peut-on rejeter "les valeurs" de l'Union Européenne au moment où l'on a le plus besoin d'elle ? Ce n'est pas l'axe Budapest/Varsovie qui va protéger les deux pays des ambitions toujours plus grandes de Moscou.

Il fût un temps où la Pologne se réjouissait d'être considérée comme un membre d'un potentiel "Club des Six" au sein de l'Union Européenne, un nouveau "Grand d'Europe" aux cotés de l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie. En ce temps, le Triangle de Weimar (Allemagne/France/Pologne), était aussi perçu par les Polonais eux-mêmes comme le symbole de leur nouveau statut. En choisissant la voie identitaire, la Pologne s'est surtout isolée et marginalisée au grand dam de près de la moitié de sa population.

Assistons nous à une simple parenthèse "provinciale" et malheureuse pour l'Europe centrale ? Ou bien, est-ce l'Europe de l'Ouest - à commencer par la France - qui va la rejoindre sur le chemin de la "régression démocratique" ? On peut parfois sembler "en retard" alors que l'on est "en avance".

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