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14/04/2016

Les réformes des marchés du travail en Allemagne

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Les réformes des marchés du travail en Allemagne
 Institut Montaigne
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La réforme du Code du travail par ordonnances, premier chantier du quinquennat Macron, annonce des débats virulents, tant sur la forme que sur le fond. Avant la France, de nombreux pays européens se sont engagés sur cette voie. Comment ont-ils réformé leur marché du travail ? Quels sont les résultats ? Tour d'horizon dans six pays. Aujourd'hui : l'Allemagne

Blanche Leridon, Chargée d'études à l'Institut Montaigne, explique comment ce pays est parvenu à inverser sa courbe du chômage de manière efficace, tout en rappelant les  nouveaux défis auxquels elle fait face.

  • Près de 10 % de chômeurs il y a 10 ans, moins de 5 % aujourd’hui 


En 1995, l’Allemagne comptait 8,1 % de sa population active au chômage et ce taux avoisinait les 10 %  en 2003. Aujourd’hui, l’Allemagne connaît le plein emploi avec un taux de chômage inférieur à 5 %. Au-delà des évolutions démographiques, qui ont vu la population allemande se réduire et la pression baisser sur le marché de l’emploi, l’Allemagne du début des années 2000 a su mettre en place des réformes structurelles qui ont profondément réformé la législation autour du travail.

  • Les lois Hartz ont transformé les conditions d’emploi en Allemagne


L’Allemagne ne dispose pas de Code du travail à proprement parler, mais une série de lois qui régule son marché.

Les réformes proposées par la commission Hartz, réunie au début des années 2000, ont été déclinées en quatre lois organisées autour de trois axes fondamentaux :

- Le développement d’incitations à la recherche d’emploi ;
- L’amélioration du fonctionnement du service public de l’emploi ;
- Le soutien de la demande de travail des entreprises par des incitations financières.


Entre janvier 2003 et janvier 2005, le gouvernement Schröder a souhaité inciter les chômeurs à entrer dans l’emploi ou à créer une entreprise. D’une part, les lois Hartz ont encouragé les formes d’emplois atypiques en introduisant davantage de flexibilité avec la dérégulation du travail intérimaire ou encore l’élargissement de la gamme des emplois marginaux avec les mini et midi jobs subventionnés et les « jobs à un euro » (dispositifs d’insertion dans le secteur non marchand).

D’autre part, le gouvernement a souhaité renforcer les droits et devoirs des demandeurs d’emploi. En effet, la loi Hartz I a restreint la possibilité de refus d’une offre d’emploi en précisant que le demandeur doit désormais démontrer que l’emploi proposé n’est pas acceptable. La loi Hartz IV a ensuite  réduit les conditions générales d’attribution des allocations-chômage. En parallèle, l’ensemble des allocataires chômage a la possibilité de bénéficier de mesures d’accompagnement renforcé et d’une aide à l’insertion sur le marché du travail, notamment en termes de formation.

L’amélioration du service public de l’emploi a permis la mise en place d’une gestion par objectifs de l’Agence fédérale de l’emploi, davantage d’autonomie locale, un meilleur taux d’encadrement des demandeurs d’emploi ainsi qu’un durcissement des conditions d’indemnisation.

La loi qui régit les licenciements économiques a été largement circonscrite. En effet, elle ne s’applique pas lors des six premiers mois d’un CDI, ce qui signifie que le juge ne peut exercer un contrôle des motifs du licenciement. Une entreprise de moins de 4 ans d’ancienneté échappe aussi à l’application de cette loi. Depuis 2003, ces règles ne s’appliquent pas non plus aux entreprises de dix salariés et moins : auparavant, le seuil était de cinq salariés ou moins. Si plusieurs catégories de salariés échappent à cette protection contre le licenciement, il n’en reste pas moins que l’OCDE juge la protection de l’emploi permanent (CDI) en Allemagne plus forte qu’en France.

  • Un système d’apprentissage et un dialogue social extrêmement performants


Au-delà des réformes structurelles menées au cours des années 2000, le marché du travail allemand dispose de deux atouts forts : son dialogue social et son système d’apprentissage.

Comme l’Institut Montaigne le montre dans son rapport Sauver le Dialogue social (septembre 2015), le modèle social allemand est fondé sur une forte autonomie des partenaires sociaux et un pouvoir central de la branche. Un modèle inscrit dans le Loi fondamentale de 1949 et dont les principaux atouts sont l’efficacité et l’adaptabilité de la négociation sociale. D’un côté, l’État assure la réforme des régimes de protection sociale (c’est l’exemple de l’Agenda 2010 du chancelier Schröder) et fixe les normes légales minimales de protection. De l’autre côté, la négociation sociale est conduite de manière autonome, hors de toute emprise des pouvoirs publics, par les partenaires sociaux, principalement au niveau de la branche. Par ailleurs, le dialogue au sein de l’entreprise est lui aussi très développé grâce au pouvoir accru et central du conseil d’entreprise, instance unique aux attributions étendues. Les conseils d’entreprise viennent prolonger la négociation de branche au niveau de chaque entreprise.

Autre atout du modèle allemand : son système d’apprentissage, souvent cité en exemple. Dans son étude L’apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes (mai 2015), l’Institut Montaigne décortique les raisons de son succès et formule des propositions pour la France. En effet, on compte 1,5 million d’apprentis en Allemagne contre 440 000 en France. En plus d’un système scolaire fléché très tôt vers la voie professionnelle qui constitue une voie valorisée par les employeurs et les familles, c’est la répartition claire et structurée des compétences institutionnelles, la forte régionalisation et l’implication du service public de l’emploi et des entreprises qui garantissent le succès de l’apprentissage en Allemagne. En somme, la voie professionnelle a une véritable place dans le système d’éducation allemand, mais aussi sur le marché du travail : les contrats d’apprentissage durent trois ans, sont bien répartis entre toutes les entreprises, et sont utilisés comme des pré-embauches.

  • Les défis des prochaines années


La mise en place en janvier 2015 d’un salaire minimum (8,50 euros par heure) ne semble pas avoir eu d’impact sur le taux de chômage allemand qui reste inférieur à 5 %. Reste à voir si la hausse du coût du travail aura un impact de long terme sur la compétitivité allemande.

Le plus grand défi auquel le marché de l’emploi allemand va être confronté dans les mois et années à venir est celui de l’intégration des migrants : avec plus d’un million de demandeurs d’asile arrivés en Allemagne en 2015 et un nombre sans doute encore supérieur en 2016, le marché du travail allemand doit faire face au défi de l’intégration d’une main d’œuvre faiblement qualifiée et souvent non germanophone. Si les migrants constituent une chance pour l’économie allemande et sa démographie vieillissante, les enjeux sont forts en termes de formation et d’accompagnement des populations migrantes.

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