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04/10/2023

Législatives polonaises, un test pour les démocraties européennes ?

Législatives polonaises, un test pour les démocraties européennes ?
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Il y a une semaine, la Slovaquie déclenchait la stupeur chez les Européens. Le parti populiste pro-russe de l’ex Premier ministre Robert Fico remportait les législatives. Un tel scénario noir est-il en passe de se reproduire en Pologne ? 

Les Polonais sont appelés aux urnes le 15 octobre pour élire une nouvelle assemblée à la Diète, la chambre basse du parlement. Les forces en présence rejoueront le duel de 2015 : d'une part, le PiS de Jaroslaw Kaczynski, de l’autre, "Plate-forme civique" (PO), de Donald Tusk, qui fédère le centre droit. 

Face à ces deux partis majoritaires, les autres forces en présence auront un rôle d’arbitre déterminant : le PiS semble dépassé sur sa droite par la Konfederacja ("Confédération") et, plus au centre ou à gauche, deux partis qui ne se rangent pas directement sous la houlette de Donald Tusk, Nouvelle Gauche et Troisième Voie, lui seraient néanmoins indispensables pour former une coalition. 

Si le contexte domestique est lourd d’enjeux, le contexte européen, marqué par les relations complexes de Varsovie avec l'Union Européenne et les enjeux de la guerre en Ukraine, est lui aussi houleux.

Ces élections cruciales vont-elles confirmer ou infléchir les dynamiques politiques européennes ? Dominique Moïsi nous propose sa lecture. 

1. Les Polonais sont appelés aux urnes le 15 octobre pour élire une nouvelle assemblée dans un contexte tendu, marqué par la marche organisée ce dimanche 1er octobre à Varsovie : un million de personnes se sont mobilisées pour marquer leur soutien à la démocratie. Cette marche dément-elle l’idée que la population polonaise serait majoritairement acquise aux valeurs défendues par le PiS et plus pro-européenne qu’on ne le dit ? Quel est l’état des forces politiques polonaises en présence ? 

Les sondages indiquent l’avantage du PiS, et ce de manière assez claire. Le parti, au pouvoir depuis 2015, avec Jaroslaw Kaczynski comme figure de proue, est crédité de 36 % des votes. Le parti, attaché aux valeurs sociétales traditionnelles, patriotique, anti-migrants, s’attache sa base rurale par des programmes sociaux généreux. 

L’opposition, fédérée par Donald Tusk, premier ministre polonais de 2007 à 2014 puis président du Conseil Européen entre 2014 et 2019, n’obtient, avec son parti de centre droit "Plate-forme civique" (PO) que 28  % des intentions de vote. Certes, cet écart se réduit légèrement en faveur de Donald Tusk et nous ne disposons pas encore de sondages après la manifestation monstre de dimanche à Varsovie. 

Oui, une dynamique positive existe bel et bien, non, on ne peut pas exclure une "divine surprise" le 15 octobre, mais ce n'est pas le scénario le plus probable.

Il faut néanmoins souligner que Varsovie n'est pas la Pologne : les campagnes rurales votent pour le PiS. Oui, une dynamique positive existe bel et bien, non, on ne peut pas exclure une "divine surprise" le 15 octobre, mais ce n’est pas le scénario le plus probable. Le résultat des élections législatives en Slovaquie incite également à la prudence : le parti populiste et pro-russe de l’ancien premier ministre Robert Fico y est arrivé en tête avec 23,3  % des voix et ce, en dépit des scandales de corruption. 

Bien sûr, les situations demeurent différentes : la droite extrême a beau être forte en Pologne, avec le PiS ou le parti de la Konfederacja ("Confédération", coalition de partis xénophobes et anti-système qui rejette les migrants et prospère sur un électorat catholique et un programme social généreux) qui le dépasse sur la droite, le consensus sur l'opposition à la Russie, l'ennemi héréditaire, reste ferme. On est donc très loin de la situation de Budapest ou de Bratislava. 

Le PiS d'ailleurs, malgré un climat tendu, reste clairement pro-européen et sait que la Pologne ne peut se passer de l'Europe. 

2. Quels sont les enjeux de ces élections ? 

Ces élections sont peut-être les plus importantes que l'Europe ait connues depuis juin 2016. En 2016, les Anglais se prononçaient sur la question de savoir s'il fallait sortir ou non de l'Europe. De même, le 15 octobre, les électeurs polonais vont devoir décider s'ils veulent quitter les valeurs de l'Europe. 

Depuis 2015, Donald Tusk fait le pari de la fatigue du pouvoir mais ce n'est peut-être pas la bonne lecture : à l'inverse, Jaroslaw Kaczynski estime que les Polonais sont conscients qu'avec une guerre aux frontières et une situation de crise, face à une menace russe d'une intensité inconnue depuis longtemps, tout changement serait une périlleuse et inutile prise de risque. 

Jaroslaw Kaczynski peut aussi s'appuyer sur l'image défavorable de Donald Tusk, à qui on prête de manquer d'empathie et auquel on reproche sa froideur, sa rigidité. Ce serait un candidat inféodé à l'UE, au capitalisme libéral, déconnecté des besoins des gens… Alors que le parti au pouvoir fait valoir sa politique sociale généreuse… Jaroslaw Kaczynski répète par exemple que le premier voyage de Donald Tusk, s’il était élu Premier ministre, serait à Berlin : de fait, ses ancêtres sont en partie allemands, son grand-père a servi, malgré lui (mais le PiS ne se précipite pas de le préciser) dans la Wehrmacht… alors que, bien sûr, si le PiS restait au pouvoir, la première visite de Jaroslaw Kaczynski serait pour Washington.  

Avec une guerre aux frontières et une situation de crise, face à une menace russe d'une intensité inconnue depuis longtemps, tout changement serait une périlleuse et inutile prise de risque.

Ce genre d'attaque est représentatif de la politique atlantiste plus qu'européenne de la Pologne actuelle. Ainsi, alors que la Pologne était le plus gros fournisseur d’armes à Kiev, Varsovie a annoncé le 20 septembre sa décision de mettre fin à ces livraisons, afin de concentrer ses efforts financiers à sa propre défense nationale : 4 % du PIB seront dévolus aux dépenses militaires (la Pologne restera néanmoins un pays de transit et respectera ses engagements passés mais n'en contractera plus de nouveaux). L'objectif affiché est de faire de l’armée de terre polonaise une des premières forces de l'OTAN sur le flanc Est, avec la Turquie sur le flanc sud. 

Une victoire du PiS, ce qui est le plus probable, conforterait l'idée en Europe et ailleurs que l’heure est au populisme et confirmerait que les démocraties sont prises dans un cycle noir. 

Partout, des pays basculent : la Slovaquie de Robert Fico qui devient pro-Russes, Giorgia Meloni et Fratelli d'Italia à Rome, Donald Trump qui menace de nouveau aux États-Unis, Marine le Pen de plus en plus audible en Franc, l’AFD qui monte en Allemagne, pays dont on croyait que son passé l'avait vacciné de ce type de mouvance, maintenant la Pologne… Une victoire du PiS, ce qui est le plus probable, conforterait l'idée en Europe et ailleurs que l’heure est au populisme et confirmerait que les démocraties sont prises dans un cycle noir. Encore une fois, c’est à moins qu’une "divine surprise" polonaise ne vienne redonner espoir pour les démocraties…

3. Dans un contexte européen houleux, quel impact pourrait avoir le résultat des législatives à venir sur les suites de la guerre en Ukraine ? 

La Pologne s'est bien comportée face à la guerre en Ukraine : soutien militaire, accueil des réfugiés… Néanmoins, ses positions sont ambiguës et, en même temps, elle a pris des décisions choquantes. Je pense au revirement sur les livraisons d’armes ou, tout aussi récemment, au chantage céréalier : Bruxelles avait interdit l’importation de céréales ukrainiennes sur son territoire pour protéger ses agriculteurs mais est revenu sur sa position pour soutenir l'économie de Kiev : le 15 septembre, la Commission européenne a levé les restrictions temporaires qu'elle avait imposées à l’exportation de céréales ukrainiennes vers cinq pays (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie). La Pologne, comme la Hongrie et la Slovaquie, a décidé de passer outre la décision de la Commission et de maintenir son interdiction d’importation des céréales ukrainiennes au mépris des règles du marché unique et de la solidarité à Kiev. 

Les dissensions avec l'Europe s’observent sur d'autres sujets, comme l’accueil des migrants non-européens. Le film récent de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, Green Borders, qui dépeint la crise migratoire à la frontière polono-biélorusse et en montre la violence, a suscité des réactions d’une rare hostilité. 

Donald Tusk ne prend pas toujours ses distances avec ce genre de polémiques : il n’a par exemple pas hésité à reprendre des arguments populistes en critiquant un pouvoir hypocrite (le PiS) qui a "fait entrer en Pologne des centaines de milliers de migrants d'Afrique et d'Asie". C'est un des problèmes majeurs de la politique actuelle : même les partis plus modérés sont entraînés par leurs adversaires dans leurs positions radicales pour ne pas prêter le flanc aux accusations de naïveté ou d'irénisme. On le voit aussi en France avec le parti Les Républicains… 

Même les partis plus modérés sont entraînés par leurs adversaires dans leurs positions radicales pour ne pas prêter le flanc aux accusations de naïveté ou d'irénisme. 

Néanmoins, la Pologne reste très différente de la Hongrie d’Orbán ou de la Slovaquie, pour des raisons historiques et géographiques. Si son comportement est en violation de certaines règles européennes, elle ne met pas en cause son rapport d’opposition à la Russie. 

On ne peut être une grande nation européenne en divorçant d'avec ses valeurs.

Nous sommes encore à 10 jours de ces élections cruciales et les lignes politiques peuvent encore bouger. Ce que l'on peut affirmer à ce stade, c'est qu'une nouvelle victoire du PiS serait une extrêmement mauvaise nouvelle pour l'UE et, avant tout, pour la Pologne elle-même… 

Ce pays, qui voudrait s'affirmer parmi les grandes nations de l'Europe, oublie un peu vite qu'on ne peut être une grande nation européenne en divorçant d'avec ses valeurs.


Propos recueillis par Hortense Miginiac. 

Copyright Image : Wojtek Radwanski / AFP

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