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27/01/2015

Le temps consacré à l’apprentissage de la lecture, facteur clef dans la lutte contre l’échec scolaire

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Le temps consacré à l’apprentissage de la lecture, facteur clef dans la lutte contre l’échec scolaire
 Fanny Anor
Auteur
Ancienne chargée d'études senior

 

Le 22 janvier dernier, le gouvernement réaffirmait sa volonté de donner la "priorité au primaire" ; la ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait alors onze mesures "pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République".

Ces annonces seront-elles à la hauteur du défi que représente "la dégradation de la performance globale du système – et des acquis des élèves les plus fragiles – et celui d'un fort déterminisme précoce de la réussite scolaire" ?

Alors qu’il est notamment question d’"engager un chantier prioritaire pour la maîtrise du français", il est plus que jamais temps d’expérimenter sur la base de ce que préconisent les travaux de recherche sur l’éducation, comme ceux par exemple consacrés à l’apprentissage de la lecture.

35 heures pour apprendre à lire

À cet égard, les derniers travaux de Bruno Suchaut – Directeur de l’unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques (URSP) et professeur à l’Université de Lausanne – sont particulièrement éclairants. En effet, les observations qu’il a menées, avec Alice Bougnères, lui ont permis de formaliser le temps de sollicitation individuelle nécessaire, durant l'année de CP, pour qu’un enfant apprenne à lire : 35 heures.

Or, le temps actuel moyen de sollicitation individuelle en lecture a été évalué à 20 heures par l’association Agir pour l’école qui déploie un programme ambitieux depuis quatre dans les classes de grande section, CP et CE1. 15 heures manqueraient donc encore.Les deux auteurs de cette étude affirment que "la trop forte proportion d'élèves quittant l'école élémentaire sans pouvoir comprendre un texte écrit s'explique en grande partie par le temps trop réduit qu'ils auront eu l'occasion de consacrer à l'apprentissage de la lecture."

Ce faible volume horaire consacré à l’apprentissage actif de la lecture est en particulier expliqué par le décalage entre le temps passé en classe et le temps véritablement efficace.

Pourquoi ce temps d’apprentissage individuel est-il fondamental ?

Les élèves qui ne bénéficient pas chez eux des stimulations requises doivent compter sur l'école pour développer les compétences indispensables. Bruno Suchaut et Alice Bougnères rappellent que cinq compétences doivent être maîtrisées pour la compréhension d’un texte écrit : le vocabulaire, la conscience phonologique, la compréhension orale, la connaissance du son des lettres et la fluence de lecture ; or "toutes ces compétences supposent un apprentissage long et répétitif car aucune n'est acquise hors de l'école par certains enfants (nombreux dans les milieux défavorisés)."

Comment y parvenir ?

Bruno Suchaut et Alice Bougnères formulent quelques propositions :

En grande section

Agir sur le niveau de conscience phonémique, de manière ciblée, auprès des enfants dotés de compétences orales faibles.

Au CP - "Consacrer les moyens supplémentaires déployés à la rentrée 2013 au soutien des enseignants de CP. Avec un maître supplémentaire affecté à temps plein à cet objectif pour deux classes, ou avec le dédoublement des classes de CP, il serait possible d'atteindre le volume horaire d'engagement individuel exigé en CP" ; si les enseignants supplémentaires du dispositif "plus de maîtres que de classe" pourraient être un levier puissant, les conclusions mitigées d’un rapport remis au ministre de l’Éducation nationale en juin dernier invitent à imaginer d’autres pistes d’actions ; - recourir à un support numérique pour permettre à l'élève de s'engager sur une tâche d'apprentissage de la lecture pendant les séances des autres groupes ; - organiser des stages pendant les vacances scolaires ; "en deux semaines de stage, il est en effet possible d'atteindre le volume d'heures exigé".

En CE1 - "Envisager un allègement très significatif du programme et des exigences du CE1, ou au moins une différenciation marquée des objectifs selon le niveau des élèves".

Si les mesures annoncées le 22 janvier – et tout particulièrement celle qui explicite que "la recherche sera mise au service de l’amélioration de l’acquisition du langage dès la petite enfance", vont dans la bonne direction, les auteurs de cette étude rappellent que la dégradation des performances scolaires, plus importante encore dans les établissements relevant de l'éducation prioritaire, "interroge la capacité que peut avoir l'école à fournir, à tous les élèves, les moyens d'accéder aux savoirs fondamentaux.".

Stanislas Dehaene – Professeur au Collège de France – le rappelait le 13 novembre dernier, à l’occasion du colloque "L’apport des sciences cognitives à l’école : quelle formation des enseignants ?" : "L’un des enjeux majeurs est aujourd’hui de traduire en actes les avancées des sciences cognitives. Il faut donner aux futurs enseignants un bagage de principes fondamentaux sur les apprentissages, permettre aux enseignants et aux parents de s'emparer des découvertes dans le domaine de l'éducation et de les traduire en actes."

Le défi de la réussite scolaire et de l’égalité des chances ne pourra être relevé sans une véritable intégration des avancées de la recherche dans la formation des enseignants et sans une appropriation de ces évolutions dans leurs pratiques.

Pour aller plus loin

''B. Suchaut : Temps disponible et temps nécessaire pour apprendre à lire : le défi des 35 heures'', www.cafepedagogique.net, 21 janvier 2015.

Lire l’interview de Laurent Bigorgne, "Quelle part de science dans le métier d’enseignant", La Croix, 27 janvier 2015.


 

Lire le compte rendu du colloque "La petite enfance, clé de l'égalité des chances", septembre 2014.

Consulter la note, ''Contribution à la concertation sur l'école: priorité au primaire'', juillet 2012.

Consulter le rapport, ''Vaincre l’échec à l’école primaire'', avril 2010.

Revoir

Les vidéos du colloque "La petite enfance : clé de l’égalité des chances"

La Minute Montaigne – ''La France fabrique de l'inégalité sociale'' par Laurent Bigorgne

Interview de Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, par Marie-Christine Corbier, parue dans ''Les Echos'' du 3 décembre 2013.

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