AccueilExpressions par MontaigneLa nouvelle ère de la Présidence TrumpLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques26/06/2025ImprimerPARTAGERLa nouvelle ère de la Présidence TrumpAuteur Amy Greene Experte Associée - États-Unis La première phase de la présidence Trump laisse voir une nouvelle ère pour la démocratie et la société américaines. Enhardissement de l'opposition, fragilisation des institutions, atermoiements, violence politique, désordre croissant : quelles sont les normes qui s'imposent ? Esquisse d'un paysage politique bouleversé, par Amy Greene.La première phase de la présidence Trump touche à sa fin, après une période marquée par une salve d’actions tous azimuts qui ont offert l’image d’un président invincible et imperturbable dont l’approche unilatérale du pouvoir – comme en témoigne le recours massif aux décrets exécutifs – semble annoncer une refonte totale des délicats équilibres qui caractérisent le système politique américain. Ses opposants craignaient - leurs craintes n’ont pas été démenties - qu’il ne démantèle de l’intérieur la démocratie américaine : de fait, la première séquence de cette nouvelle présidence Trump est en train de reconfigurer les structures institutionnelles et les normes politiques américaines. Quelle en sera l’issue ? Il est trop tôt pour le dire mais une nouvelle phase s’ouvre à présent, qui place Trump au centre d’un maelstrom politique. Cela nécessitera de l’équipe présidentielle une approche plus tactique, face à des adversaires républicains et démocrates enhardis face à un Trump 2 faillible.Les conséquences de la présidence sur l’équilibre institutionnel restent à déterminer. La stratégie et l’objectif principal de l’administration Trump sont d’étendre l’autorité présidentielle selon la doctrine du “pouvoir exécutif unifié"Les conséquences de la présidence sur l’équilibre institutionnel restent à déterminer. La stratégie et l’objectif principal de l’administration Trump sont d’étendre l’autorité présidentielle selon la doctrine du “pouvoir exécutif unifié” - que l’équipe Trump n’a pas inventée mais qu’elle s'attache à mettre en œuvre. Le pouvoir judiciaire – les tribunaux fédéraux et la Cour suprême, à majorité conservatrice – examine encore la validité de certains ordres exécutifs mais les décisions à venir pourraient, entre autres exemples : supprimer la capacité des juges fédéraux à suspendre immédiatement l’application nationale des décrets présidentiels, redéfinir certains pouvoirs du Congrès et donc l’équilibre entre les branches exécutive et législative, et affirmer la capacité du président à révoquer les dirigeants d’organismes de surveillance indépendants ou à procéder plus librement aux expulsions.En plus des conséquences institutionnelles, encore incertaines, s’ajoutent les transformations normatives de la politique et de la société américaines que le président Trump et son équipe ont commencées à opérer. La violence politique, sous différentes formes, constitue un autre changement normatif majeur. Trump, depuis son irruption sur la scène politique en 2016, en est à la fois la victime et un acteur. Cette violence s’impose sur le terrain propice de la polarisation profonde et persistante, sur fond d’érosion de l’unité nationale et d’affaissement de toute ambition collective. La décision de Trump de déployer la Garde nationale en réponse à des manifestations - qui étaient majoritairement pacifiques - contre l’ICE (police de l'immigration) à Los Angeles, sans demande expresse du gouverneur de Californie Gavin Newsom, constitue une rupture normative. Le dernier président à avoir déployé la Garde en dépit de la volonté d’un gouverneur était Lyndon Johnson en 1965, mais, loin de réprimer les manifestants, il s’agissait à l’époque de protéger les militants des droits civiques lors de leur marche de Selma à Montgomery, en Alabama. Que l’armée soit impliquée dans des opérations menées par les services de l’immigration ou dans la répression de manifestations constitue le franchissement d’un nouveau seuil : la présence militaire dans les rues américaines - non pas au service de, mais en opposition aux citoyens - est désormais une possibilité presque banale. Trump, loin de chercher à apaiser la situation, met de l’huile sur le feu, comme en témoignent ses déclarations à l’encontre des manifestants de Los Angeles, qualifiés d’ “insurrectionnels” et menacés d’être “frappés plus durement que jamais”. Donald Trump s’est même déclaré prêt à arrêter le gouverneur Newsom.Le déploiement de la Garde nationale en Californie et le désordre qu’il a généré ne sont qu’un des nombreux épisodes de violence qui émaillent l’actualité aux États-Unis. Dans le même temps que survenaient les manifestations de Los Angeles, de nouvelles violences - jusqu’à peu inimaginables - se sont produites. Le 12 juin, le sénateur américain Alex Padilla, démocrate de Californie, a été évacué de force par les forces de police lors d’une conférence de presse que tenait la secrétaire à la sécurité intérieure, Kristi Noem. Dans le couloir, le diplômé du prestigieux MIT (Institut de technologie du Massachusetts) a été contraint de s’agenouiller, plaqué au sol, puis menotté. Deux jours plus tard, le 14 juin, la députée démocrate de l'Assemblée de l’État du Minnesota, Melissa Hortman, a été assassinée à son domicile avec son mari par un partisan de Donald Trump, qui portrait avec lui une liste de 70 autres cibles qu’il prévoyait également de tuer (élus, leaders communautaires, praticiens de l’avortement, etc.). Peu avant ce meurtre, l’agresseur avait tenté de tuer un autre député démocrate de l’État, John Hoffman, et sa femme, chez eux ; tous deux sont dans un état critique. Hoffman a reçu neuf balles.Ce même 14 juin, Trump organisait un défilé militaire pour célébrer le 250e anniversaire de l’armée américaine - qui coïncidait par ailleurs avec son propre 79e anniversaire. Environ 250 000 personnes étaient présentes à Washington. En parallèle, une manifestation nationale baptisée No Kings s’est tenue avec plus de 2 000 manifestations, organisées dans chacun des 50 États. Rassemblant plus de 5 millions de participants, No King's est devenue la plus grande manifestation sur un jour de l’histoire américaine, dépassant de près la Women’s March du lendemain de la première investiture de Trump.Donald Trump reste une figure politique profondément clivante. Les sondages montrent qu’une majorité d’Américains désapprouve son action. Son taux d’approbation actuel est le plus bas jamais enregistré pour un président en fonction à ce stade de son mandat.Donald Trump reste une figure politique profondément clivante. Les sondages montrent qu’une majorité d’Américains désapprouve son action. Son taux d’approbation actuel est le plus bas jamais enregistré pour un président en fonction à ce stade de son mandat (entre 45 % et 48 % selon les enquêtes). Il bat ainsi son propre record - établi lors de son premier mandat. Dans douze des États fédérés qu’il a remportés en 2024, y compris les sept swing states, Trump perd du terrain. Le pourcentage d'Américains qui estiment que ses actions sont pires que prévu est en hausse de 13 points depuis février, ce qui fait monter le chiffre à près de la moitié de la population. Plus révélateur encore, Trump perd également du terrain sur les trois thèmes centraux de sa campagne 2024 : l’économie, la fin des guerres, et – dans une moindre mesure – l’immigration clandestine.L’immigration reste toutefois son point fort. Une étroite majorité de 51 % des Américains soutient sa politique. À la suite des manifestations de Los Angeles, certains sondages indiquent une perte de 5 points. L’immigration illégale reste un sujet mobilisateur pour sa base, bien plus que pour les électeurs non pro-Trump, qui la classent en priorité juste après l’économie. Mais si l’immigration constitue un relatif point positif, Trump doit s’inquiéter de la perception négative de l’économie.Les inquiétudes face au risque de récession sont croissantes : les prix demeurent élevés, l’inflation stagne, 58 % des Américains jugent mauvais l’état de l’économie, et 54 % estiment qu’elle se détériore. 34 % déclarent que leur situation financière s’est dégradée au cours de l’année écoulée, et 45 % disent n’avoir vu aucun changement. Une petite majorité (51 %) pense que les tarifs douaniers de Trump vont empirer leur situation dans l’année à venir. Le projet phare du président, son budget – surnommé One Big Beautiful Bill – est très impopulaire. Seuls 27 % des électeurs inscrits l’approuvent, tandis que 53 % y sont opposés. Chez les indépendants, seuls 20 % soutiennent le texte, contre 57 % qui s’y opposent. Plus de la moitié des électeurs pensent que le projet aurait un effet négatif sur le pays. À peine 2 adultes sur 10 approuvent les propositions du texte sur les politiques fiscales, budgétaires et sur Medicaid. À l’inverse, plus de la moitié préférerait maintenir les niveaux actuels de dépenses sur des programmes comme Medicaid, que le projet de budget cherche à réduire. On estime que ces coupes entraîneraient la perte de couverture santé pour 8 à 10 millions d’Américains – une mesure jugée inacceptable par deux tiers de la population. Les Américains désapprouvent également (56 % contre 44 %) la décision du président de lancer une intervention militaire en Iran. Près de 6 sur 10 pensent que ces frappes augmentent la menace iranienne envers les États-Unis. Les avis sont très polarisés entre démocrates et républicains, mais 6 indépendants sur 10 – soit les électeurs susceptibles de basculer – désapprouvent l’opération et estiment qu’elle accroît le danger pour les États-Unis. Moins de 4 sur 10 d’entre eux expriment une confiance modérée ou élevée dans la capacité du président à prendre les bonnes décisions en matière d’usage de la force. Plus de 6 sur 10 pensent qu’il devrait obtenir l’autorisation du Congrès avant d’agir.Même si les républicains ont fini par soutenir massivement le bombardement de sites nucléaires iraniens, certaines figures influentes du mouvement MAGA, comme Tucker Carlson, ont exprimé leur opposition, arguant que l’Iran n'était pas leur combat” et que l'opération militaire constituait une rupture avec la doctrine “America First”. Ce type de dissidence était impensable dans les premières semaines de ce mandat.Les électeurs ne sont pas la seule source de pression croissante sur l'administration. Alors que les démocrates peinent à former une opposition cohérente et crédible, des responsables républicains expriment publiquement leur désaccord avec le programme du président. Il y a quelques mois, la sénatrice républicaine de l'Alaska, Lisa Murkowski, avait exprimé sa réticence à toute critique ouverte de l'administration, en raison du risque de représailles. L’échec d’Elon Musk à tenir sa promesse concernant le DOGE, sa rupture très médiatisée avec Trump, et son engagement ultérieur à ne plus financer de politiciens ont sans doute, cependant, attenué le climat de peur qui règne autour du président.Une autre source de contestation politique vient de la perspective de défaites électorales lors des élections de mi-mandat de l’année prochaine, notamment à cause du soutien au “Big Beautiful Bill”. Les représentants républicains Thomas Massie (Kentucky) et Warren Davidson (Ohio) ont voté contre le projet de loi budgétaire de Trump lorsqu’il est passé à la Chambre. Andy Harris (Maryland) s’est contenté de voter “présent”, un geste qui aurait pu faire échouer le projet en cas d’égalité des voix. Certains membres républicains de la Chambre, ainsi que quelques-uns de leurs collègues du Sénat qui doivent se représenter l’année prochaine, craignent que le soutien au projet de budget ne leur coûte leur siège — et, à terme, leur majorité au Congrès. Le représentant Don Bacon (Nebraska) a déclaré qu’il ne suivrait pas son parti qui allait “droit dans le mur” en votant en faveur de la proposition telle que formulée.Pour les républicains qui considèrent Medicaid comme un point de rupture pour leurs électeurs — comme la sénatrice républicaine du Maine, Susan Collins, en lice pour une réélection en 2026 — il y a urgence à marquer leur désaccord avec l’administration. Pour d’autres, l’opposition au projet de loi repose sur une idéologie conservatrice plus profonde : limiter les dépenses publiques et réduire la dette nationale, qui s’élève à 36,2 billions de dollars. Le représentant Massie s’est montré particulièrement virulent dans sa critique du budget de Trump, le qualifiant de “bombe à retardement de la dette”. Les sénateurs républicains Rand Paul (également du Kentucky), Ron Johnson (Wisconsin) et Lisa Murkowski figurent aussi parmi ceux qui ont critiqué le projet publiquement. Protégés par leur mandat de six ans, ces sénateurs peuvent se sentir à l’abri des conséquences potentielles de la colère présidentielle et restent donc fidèles aux principes du conservatisme budgétaire, aux préférences de leurs électeurs, et à la santé à long terme de l’économie américaine.Ces signes précoces d’opposition de principe ne signifient pas que les républicains sont prêts à organiser une résistance coordonnée contre le président Trump sur tous les fronts.Ces signes précoces d’opposition de principe ne signifient pas que les républicains sont prêts à organiser une résistance coordonnée contre le président Trump sur tous les fronts. Ils montrent toutefois qu’il existe des failles. La réalité de la politique électorale locale constitue un puissant contrepoids face à une présidence qui voudrait se croire toute-puissante. Si la méthode des décrets présidentiels peut donner l’illusion d’une action rapide et radicale, elle comporte une limite fondamentale : l’absence d’ancrage politique sous forme de lois, qui demeurent bien plus difficiles à abroger que des décrets exécutifs.À présent que le flot initial de décrets présidentiels s’est tari, cette administration se retrouve confrontée à l’érosion de la confiance, au mécontentement croissant des électeurs américains, à une dissension ouverte au sein des délégations républicaines à la Chambre et au Sénat, et à l’approche des élections de mi-mandat, prévues à l’automne 2026. Cela ne suffira peut-être pas à refroidir les ardeurs du président, mais cela indique qu’il ne pourra plus échapper aux contraintes extérieures qui s’imposent à lui… Copyright Mandel NGAN / AFP Donald Trump et son épouse Melania lors de la parade militaire du 14 juin 2025 à Washington. ImprimerPARTAGERcontenus associés 30/04/2025 [Trump II] - Cent jours pour un chaos Amy Greene