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25/02/2021

La confiance des Français à l'épreuve de la crise

Trois questions à Bruno Cautrès

La confiance des Français à l'épreuve de la crise
 Bruno Cautrès
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

Défiance : ce mot semble décrire l’état d’esprit des Français depuis plusieurs années. Comment le phénomène a-t-il évolué avec la crise ? Le Centre de recherches politiques de Sciences Po a publié les résultats de son dernier Baromètre de la confiance politique, réalisé chaque année en partenariat avec l’Institut Montaigne, Fondapol et la Fondation Jean-Jaurès. Déployée dans quatre pays (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Italie), les résultats révèlent un manque de confiance des Français, plus que leurs voisins, à l'égard du gouvernement. Décryptage avec Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF.

Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eu sur la confiance des Français en leurs dirigeants ?

Tout d’abord, il faut distinguer les institutions et leurs dirigeants. L’impact de la crise sanitaire sur la confiance des Français dans les institutions publiques est assez net : les Français expriment une confiance élevée dans les fonctions régaliennes de l’État et les institutions qui incarnent la protection et le soin. Les Français sont très durement marqués sur le plan psychologique et ressentent un sentiment de lassitude et de morosité : les institutions de soin notamment sont alors fortement investies de leur confiance.

Concernant les dirigeants, c’est-à-dire ceux qui exercent le pouvoir, la crise a eu pour effet le retour d’un peu de confiance. Cela avait déjà été observé au printemps 2020 avec une remontée de confiance pour les grandes fonctions (comme le Premier Ministre et le Président de la République) par rapport au mois de janvier 2020. Ceux qui sont aux commandes de la gestion de la crise bénéficient d’un peu plus de confiance qu’il y a deux ou trois ans mais il y a une différence notable avec les institutions publiques.

Les élus possédant des mandats locaux sont bien plus investis de la confiance des Français : on observe 20 à 30 points d’écarts de confiance par rapport aux mandats nationaux.

Les élus possédant des mandats locaux sont bien plus investis de la confiance des Français : on observe 20 à 30 points d’écarts de confiance par rapport aux mandats nationaux. Cela confirme que le choc de la crise sanitaire et les moyens mis en œuvre par le gouvernement n’ont pas remis en cause une logique concentrique de la confiance : la proximité permet toujours une plus forte confiance. Les maires et les élus locaux incarnent une politique de proximité et de résolution de problèmes pratiques.

L'évaluation, par les Français, de la gestion de la crise par le gouvernement constitue l’une des principales différences avec les autres pays européens : si la confiance globale a un peu augmenté dans les dirigeants de l’exécutif, l’évaluation spécifique de gestion de la crise reste en France très négative. Dans l’enquête cette année, la France reste parmi les quatre pays étudiés celui où l'évaluation de l’action de l’exécutif est la plus basse. En Allemagne ainsi qu’en Angleterre, on a une évaluation moins bonne que l’an dernier mais il s’agit simplement d’un effet de la durée de la crise et le différentiel avec la France reste très important. Emmanuel Macron n’est pas parvenu, pour le moment, à regagner du terrain par rapport à ses homologues britannique et allemand qui restent nettement plus crédités que lui de leur action pendant la crise.

Les raisons en sont multiples. On peut expliquer la particularité de la situation dans laquelle se trouve l’exécutif français par trois facteurs principaux :

  • L’accumulation de crises vécues en France depuis la crise des Gilets Jaunes, qui n’a pas d’équivalent en Europe. Les Français ont commencé à regarder la crise sanitaire en ayant déjà en mémoire les Gilets Jaunes, ainsi que la crise des retraites. Cette succession de crises joue un rôle de filtre perceptif négatif sur l’action de l’exécutif.
  • L’exécutif français reste un exécutif en popularité minoritaire. On observe toujours davantage de Français qui se déclarent insatisfaits de l’action du président de la République.
  • Il n’est pas impossible que les problèmes très importants d’organisation et de communication au début de la crise comme la question des masques ou l’échec de l’isolement des personnes contaminées aient laissé une trace très prégnante dans la manière dont les Français perçoivent l’exécutif : un exécutif dans l’impréparation, qui s’est laissé surprendre.

Cette accumulation d’éléments de court-terme et de long-terme explique que les Français perçoivent la gestion de la crise de manière bien plus négative que leurs homologues européens.

Comment peut-on expliquer que ce sentiment de défiance soit supérieur en France face à la campagne de vaccination ? Est-ce le résultat d’un manque de transparence de la stratégie vaccinale ?

La première explication est celle du syndrome de défiance français. Il s’agit d’un manque de confiance sociale (soit la confiance que l’on a dans les autres) : cette confiance sociale est déjà inférieure par rapport aux trois autres pays étudiés. L’insatisfaction sur le système de prise de décision en France est un autre ressort explicatif de la moindre propension des Français à vouloir se faire vacciner. Le faible taux d’intention de se faire vacciner que nous constatons (49 %) en France, ne peut s’expliquer, en comparaison avec les autres européens également très touchés par la crise et les confinements, que par un effet en ricochet de cette défiance politique et sociale.

Dans l’enquête, la forte différence d’intention de se faire vacciner entre la France, d’une part, et les trois autres pays, d’autre part (Allemagne, Royaume-Uni, Italie), est le résultat de ce filtre de défiance qui pèse beaucoup plus fort dans notre pays. Pourtant, la confiance dans les hôpitaux et dans les médecins est très élevée, mais les Français doutent de la capacité de leurs gouvernants à faire des choix sans risques. La première raison invoquée dans l’enquête lorsque un individu ne souhaite pas se faire vacciner est le manque de recul sur les vaccins : il s’agit donc d’un enjeu de communication. Il faut continuer à communiquer sur les points positifs et négatifs de la vaccination.

Les Français, plus que les autres européens interrogés, considèrent que le gouvernement ne leur fait pas assez confiance pour faire face à la crise.

À la question "faites-vous confiance au gouvernement pour vous informer correctement si des effets secondaires du vaccin venaient à apparaître ?", le manque de confiance dans les pouvoirs publics s’exprime très clairement. Il s’agit de l’un des résultats les plus spectaculaires de l’enquête. Par ailleurs, les Français, plus que les autres européens interrogés, considèrent que le gouvernement ne leur fait pas assez confiance pour faire face à la crise.

La France est un pays qui très souvent va se présenter comme un pays civique, au sein duquel les valeurs de la citoyenneté républicaine sont très ancrées. Cependant, le fait que de nombreux citoyens déclarent ne pas avoir l’intention de se faire vacciner pose une série de questions à cet égard. Se faire vacciner, protéger les autres en se protégeant soi-même, semble moins aller de soi en France. Il y a beaucoup à faire au sujet de la politique de communication vaccinale, qui devrait considérablement monter en puissance. Il faut agir à travers la confiance dans le corps médical, car le corps médical est fortement valorisé et investi de confiance en France, notamment les médecins traitant.

Recul du sentiment de peur mais augmentation de la lassitude chez les Français, et ce, dans des proportions supérieures à leurs voisins européens, pourtant sous des mesures sanitaires plus strictes. Comment l’expliquer ?

Il y a en France cette trame très importante d’une défiance dans les autres, d’une moindre confiance sociale, politique et institutionnelle, ce qui introduit un sentiment général plutôt pessimiste.

À nouveau, il n’y a pas d’explication unique. Simplement, le sentiment que l’on ne sortira pas de cette crise qui persiste. Le président de la République avait balisé jusqu’à la mi-décembre un horizon avec des dates : donner des dates était un indicateur de sortie de la crise probable pour les Français. Le Président avait fait le choix, comme pour la sortie du premier confinement, de suivre un calendrier. Cependant, pour le second confinement, la dynamique de l’épidémie n’a pas permis de tenir deux des trois dates, qui avaient été données et cela a beaucoup perturbé les Français. L’absence de dates semble signifier une absence d’horizon et cela introduit ce sentiment de morosité, de lassitude.

De plus, il y a en France cette trame très importante d’une défiance dans les autres, d’une moindre confiance sociale, politique et institutionnelle, ce qui introduit un sentiment général plutôt pessimiste. Toutes les enquêtes d’opinion en France ces dernières années ont montré que les Français perçoivent l’avenir économique du pays comme difficile. La crise amplifie cette inquiétude et cela finit par entraîner un état assez pessimiste de l’opinion.

De nombreux indicateurs dans l'enquête montrent que le modèle de la promotion sociale en France, ce qu’on appelle la "méritocratie à la française", n’est plus perçu comme fonctionnant bien : les citoyens ont l’impression que l’on ne peut réussir en France que si l’on a des relations et que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

Dans un sens, la France est plongée, depuis l’automne 2018, dans une crise ininterrompue et les perceptions que les Français ont de la crise sanitaire sont en partie porteuses de ce sentiment d’une longue crise sans fin, dont on ne voit pas très précisément la sortie.

 

 

Consultez l'intégralité de l'étude

 

Copyright : Philippe LOPEZ / AFP

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