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07/11/2016

Hillary, le seul choix possible

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Hillary, le seul choix possible
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Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

Jamais une campagne électorale aux États-Unis n'a été marquée par autant de violence et de dérive, digne de la fin de l'Empire romain. L'Amérique doit se ressaisir, choisir un président rationnel. Ce ne peut être Trump.

Le moment de vérité est enfin venu. Mais quel que soit le résultat des urnes - et je n'arrive pas à contempler la possibilité de la victoire de Donald Trump -, la campagne présidentielle de 2016 restera, par sa violence et sa décadence, comme une dérive inquiétante, digne de la fin de l'Empire romain.

Pour saisir la profonde tristesse de ce que nous venons de vivre, il suffit de relire l'éloge funèbre prononcé par Richard Nixon, en 1969, lors de la disparition de Dwight D. Eisenhower. "Il représentait ce que des millions de parents espèrent que leur fils devienne : il était fort, courageux, honnête, attentionné. Et avec ses grandes qualités de cœur, il personnifiait le meilleur de l'Amérique."

Refuser de considérer que Donald Trump puisse devenir le successeur de George Washington, Abraham Lincoln, Franklin D. Roosevelt ou Barack Obama, c'est ne pas se résigner à ce que l'Amérique verse dans l'indécence et le ridicule, et le monde dans le chaos.

Certes, de nombreux médias sembleraient presque se réjouir de l'incertitude du scrutin, de ce suspense qui s'annonce "jusqu'au bout de la nuit". C'est bon pour les audiences, n'est-ce pas ? Mais cette confusion toujours plus grande entre divertissement et politique est dangereuse. On ne demande pas aux politiques de nous divertir par leurs excès, mais de nous guider par leurs qualités, par leur expertise, par la profondeur de leur jugement, et de nous rassurer par leur capacité à se contrôler eux-mêmes. Aboutissement de décennies de dérapages, produit de la rencontre entre l'afflux de l'argent et la révolution des techniques de l'information, la politique spectacle se retourne contre ses protagonistes, entraînant dans une même crise de légitimité politiques et médias.

Comment, si l'on est attaché à une certaine idée de l'Amérique - positive et universaliste -, ne pas être bouleversé par le contraste entre le climat actuel et celui qui prédominait il y a huit ans ? En 2008, le candidat du Parti républicain, John McCain, était un conservateur estimable, héros courageux et malheureux de la guerre du Vietnam. Les sondages donnaient son rival démocrate, le jeune et inexpérimenté sénateur de l'Illinois, Barack Obama, vainqueur. Le monde retenait son souffle dans une attente heureuse, pleine d'espoir, en dépit de la violence de la crise financière et économique qui frappait l'Amérique et, au-delà d'elle, l'Union européenne. Le "mur" de la couleur de la peau était sur le point de tomber. Tout était possible, comme toujours en Amérique. Dès le lendemain de l'annonce des résultats, les commentaires dans notre pays allaient bon train. Quand la France aura-t-elle "son Obama", c'est-à-dire un président issu probablement de l'immigration maghrébine ?

Aujourd'hui, après deux mandats, le bilan d'Obama apparaîtra sans doute, au regard des historiens, comme plus que "globalement positif" - plus sur le plan intérieur que sur le plan international. Mais tout semble avoir changé si brutalement ! Les vagues de l'espoir ont laissé place à celles de la peur, comme si l'élection de Donald Trump - un risque jusqu'au bout - était un événement s'inscrivant dans un cycle populiste, commençant avec la victoire du camp du Brexit en Grande-Bretagne et se poursuivant avec le résultat de l'élection américaine.

Pourquoi le monde n'est-il pas en train d'attendre l'élection de la "première femme", en deux cent quarante-quatre ans d'histoire présidentielle américaine, avec la même espérance que le "premier Noir" ? Une explication purement fondée sur la misogynie serait un peu courte, même si elle ne doit pas être totalement exclue. Au-delà du "genre", il y a bien sûr la personne. Contrairement à Barack Obama, Hillary Clinton n'est pas charismatique. L'étendue de ses compétences et son incroyable ténacité n'effacent pas le goût du secret de son entourage et l'attirance trop visible pour l'argent de son couple. Bref, on ne l'aime pas, même si elle demeure le seul choix possible, la candidate de la raison face à un opposant vraiment différent, dans son mélange unique de racisme, de sexisme, de protectionnisme, de xénophobie et d'incompétence autoritaire. En cette année 2016 qui se termine dans la confusion et la montée des périls, l'Amérique et le monde ont plus que jamais besoin d'un président américain fort, compétent, rationnel et rassurant. Ce ne peut être en aucun cas Donald Trump.

Mais si Hillary Clinton finit par l'emporter - ce qui demeure quand même le scénario le plus probable -, sa tâche sera doublement difficile. Il lui faudra tout à la fois réconcilier l'Amérique avec elle-même et la réconcilier avec le monde. Le plus grand défi - celui qui conditionne tous les autres - est d'ordre interne. Comment réparer l'Amérique ? Et il ne s'agit pas seulement d'infrastructures, mais avant tout d'identités. Pour plagier Gogol, ce qui est en cause, ce ne sont pas les "Âmes mortes", mais les "Âmes blessées" de l'Amérique blanche.

L'Amérique blanche de Ronald Reagan avait un problème noir. L'Amérique multiculturelle de 2016 a un problème blanc, dont la cause n'est pas essentiellement économique mais identitaire. Comment lutter contre le racisme spontané d'une minorité blanche qui se sent sur le déclin et réagit avec colère et dépit ? Le Parti républicain a une part de responsabilité considérable dans ce qui vient de se produire. Fuite en avant idéologique, "trahison des clercs" ayant perdu tout sens commun pour ne pas perdre contact avec "la base", abandon de la notion même de vérité au nom d'un relativisme moral autodestructeur... Sera-t-il possible de réparer le Parti ­républicain ?

Et comment réparer le rapport de l'Amérique avec le monde, alors que depuis plus de dix ans les États-Unis ont été de déconvenue en déconvenue, alternant le trop et le trop peu, dans une course erratique à l'échec ?

Une chose est certaine : on ne peut confier la responsabilité de l'Amérique, et donc pour partie celle du monde, à un homme si parfaitement, si totalement, impropre à l'exercer.

Les chroniques de Dominique Moïsi


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