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20/06/2016

Henri de Castries : "Bremain ou Brexit : que ce choc soit salutaire pour l’Europe !"

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Henri de Castries :
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Tribune d'Henri de Castries, Président de l'Institut Montaigne et Président Directeur Général du Groupe AXA, parue dans Le Journal du Dimanche, le 19 juin 2016.

A la veille d’une échéance cruciale pour l’avenir de l’Union européenne, regardons la réalité en face.

Certes, l’histoire de la relation entre le Royaume-Uni et l’Europe est unique et complexe, pour un ensemble de raisons souvent étrangères à la nature de l’UE. Le référendum que David Cameron soumet au peuple britannique s’inscrit directement dans le prolongement de cette histoire.

Mais celui-ci est aussi le symptôme douloureux des maux dont souffre l’Union européenne aujourd’hui : manque de vision et de volonté politiques partagées, absence de coordination, repli sur soi, indécision constante, immobilisme sur l’essentiel, activisme bureaucratique sur l’accessoire. La construction européenne est embourbée, le désir d’Europe muet.

Conséquence néfaste, la parole sur l’Europe est aujourd’hui accaparée par ceux qui la dénigrent. Les populismes de toute nature font leur terreau de cet affaiblissement, comme tous ceux qui voient dans l’avancée du projet européen une concurrence trop forte pour leurs propres intérêts.

Dès que le résultat du référendum sera connu, et quelle qu’en soit l’issue, l’Europe entrera dans une période de fortes turbulences, qui pourrait lui porter un coup très dur, alors que les effets de la crise économique et financière commencent à peine à se dissiper et que la reprise reste très fragile.

Ce sera évidemment le cas si le Brexit l’emporte, scénario qui a aujourd’hui la faveur des sondages. Aux yeux du monde, un tel départ dira beaucoup de l’état de l’UE et de la foi chancelante des peuples européens en ce projet commun. La procédure de sortie et la négociation de l’accord commercial qui liera les deux entités pourraient paralyser l’Europe pendant plusieurs années. Personne, d’un côté comme de l’autre, n’a aujourd’hui une vision claire de l’objectif à atteindre dans une telle négociation. Nul n’en connaît le mode d’emploi. A n’en pas douter, ces longs mois de palabres ouvriront la porte à tous ceux qui, ailleurs au sein de l’Union, sont tentés par la sortie ou la renégociation des termes de leur adhésion. Pour ces raisons, si le Brexit devait l’emporter, les gouvernements d’Europe continentale devront refuser tout accord complaisant qui renforcerait dans leurs propres opinions publiques le camp des populistes et des eurosceptiques.

Même s’il est infiniment plus souhaitable, le scénario du maintien (Bremain) ne sera exempt ni d’embûches, ni de secousses. Ceux qui pousseraient un soupir de soulagement devant cette issue auraient tort, car mettre en œuvre l’accord du 19 février dernier, qui s’appliquerait dans un tel scénario, constituera un exercice d’une grande difficulté, auquel ni les institutions européennes ni les gouvernements nationaux ne semblent préparés. Le tournant pourrait pourtant être radical et marquer le premier acte d’une intégration à la carte. Les termes de cet accord portent en eux de lourdes incertitudes (révélées dans la note de l’Institut Montaigne Bremain ou Brexit : Europe, prépare ton avenir !), qui profiteront aux forces qui poussent pour une remise en cause de l’Europe.

De ce moment grave il faut faire une opportunité. Plusieurs fois dans son histoire l’Europe a su construire sur les difficultés. Nos gouvernements doivent impérativement affirmer, ensemble et sans délai, leur ferme volonté de poursuivre la construction européenne et de dessiner la feuille de route qui nous permettra de le faire. L’absence de convergence économique et de réformes de structures ne permet plus d’espérer qu’un appel à une intégration plus poussée constitue la seule solution. En effet, les peuples européens souhaitent qu'on réponde à leurs profondes inquiétudes et préoccupations en redéfinissant les priorités de la construction européenne. A force de ne pas les entendre, nos dirigeants politiques ont laissé se créer un fossé considérable entre l’Europe et les Européens.

Trois enjeux sont particulièrement propices à une telle action : notre sécurité commune, la compétitivité de nos économies au service de l’emploi et l’éducation de nos enfants pour redonner une chance à tous de réussir.  C’est aux plus hauts responsables allemand et français de montrer la voie en s’engageant de concert à œuvrer pour des actions concrètes dans ces domaines, fût-ce au prix d’une restructuration lourde du fonctionnement et des priorités de la Commission européenne.

Renoncer à des initiatives courageuses nous entraînerait sur le chemin de la lente dislocation qu'a déjà connu le Saint-Empire Romain Germanique, alors que nous savons que lorsqu’ils travaillent de concert, les Européens sont capables de succès que tous nous envient. En revanche, vues d’Asie ou des Etats-Unis, nos querelles risquent de nous emmener sur le chemin de l’insignifiance à un moment où la combinaison des défis géopolitiques et technologiques rend plus que jamais nécessaire une défense efficace des valeurs de nos démocraties. Obtenir des résultats sur les sujets qui correspondent aux véritables défis qui inquiètent nos sociétés est la meilleure des voies pour sortir durablement l’Europe de l’ornière dans laquelle elle se trouve.

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