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22/09/2010

Garde à vue - Le bon maître et le bon esclave

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Garde à vue - Le bon maître et le bon esclave
 Kami Haeri
Auteur
Avocat associé chez August & Debouzy

Dans une déclaration liminaire à l’AFP le 7 septembre dernier, Mme le Garde des Sceaux annonçait que le futur projet de réforme de la garde à vue prévoirait la présence de l’avocat "durant toute la garde à vue". Nous ne pouvions que nous réjouir de cette innovation attendue, formulée dans des termes aussi clairs, destinée à rééquilibrer un acte de procédure grave et symbolique. Car la garde à vue n’est pas un acte anodin. C’est une mesure exceptionnelle permettant d’enfermer, pour l’interroger, une personne qui n’est pas encore condamnée et qui est présumée innocente. Procédure coercitive et traumatisante, affaiblissant l’esprit et le corps, la garde à vue facilite l’aveu, le provoque quelquefois.

L’avant-projet finalement déposé au Conseil d’Etat ne reflète nullement ce qui nous était annoncé de manière aussi radicale. Certes, la déclaration de Mme le Garde des Sceaux n’était pas inexacte. Le projet prévoit effectivement la présence de l’avocat pendant la garde à vue et limite celle-ci aux délits passibles d’emprisonnement. Mais l’on a omis de nous préciser qu’est instituée une procédure de garde à vue d’exception au cours de laquelle, en cas de "circonstances particulières", le mis en cause peut être interrogé pendant 12 heures sans avoir pu s’entretenir avec son conseil. Tout comme l’on a omis de nous préciser que la garde à vue pouvait être remplacée par une "audition libre", sans la présence de l’avocat, proposée par l’enquêteur au suspect à titre soi-disant "optionnel".

Ce n’est, au fond, pas tant le projet lui-même qui est déroutant – dans sa lettre et son esprit – que la dénégation qu’il exprime envers des normes incontournables, à l’égard d’un contexte juridique et judiciaire qui ne peut être ignoré.

Le 30 juillet dernier, par une décision courageuse et humble, le Conseil Constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 62, 63, 63-1, 63-4 (alinéas 1 à 6) et 77 du Code de procédure pénale. Décision courageuse parce que le Conseil Constitutionnel a accepté d’examiner, sur le fondement de circonstances nouvelles, un texte qui lui avait déjà été soumis. Décision humble parce que le Conseil Constitutionnel, qui ne souhaite pas se substituer au législateur, a laissé à celui-ci le soin de fixer les nouvelles conditions de la garde à vue avant le 1er juillet 2011.

Aussi remarquable soit-elle, cette décision n’était toutefois pas le seul précédent incitatif dont le législateur disposait afin de dessiner les règles nouvelles de la garde à vue. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, siégeant à Strasbourg, avait rendu plusieurs arrêts qui ne laissaient aucune ambigüité sur le sujet. L’arrêt Salduz c. la Turquie du 27 novembre 2008 a déclaré contraire au principe du procès juste et équitable (tel que défini par l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) un jugement de condamnation qui se fonde sur des déclarations faites dans le cadre d’une procédure de garde à vue excluant l’assistance d’un avocat. L’arrêt Dayanan c. la Turquie rendu le 13 octobre 2009 a clarifié ce que l’on entendait par la notion d’assistance effective de l’avocat : la préparation de l’intéressé aux phases d’audition, l’accès au dossier, la présence d’un avocat pendant les interrogatoires et le contrôle des conditions de la privation de liberté. Enfin l’arrêt Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010 a rappelé l’ensemble de ces principes en ajoutant que le droit de garder le silence est un droit absolu dont la personne gardée à vue doit être formellement informée. Ce n’était pas le cas en France ; l’avant-projet rétablit cette obligation de notification.

La proposition faite par la Chancellerie, en raison de ses timidités, constitue malheureusement la dénégation de décisions de justice majeures, rendues par les plus hautes juridictions française et supranationale, alors qu’elles constituent des normes applicables auxquelles nous sommes soumis, et qui doivent être respectées au nom de l’Etat de droit et de la crédibilité que la France revendique.

Plus encore qu’une dénégation de notre corpus normatif, cet avant-projet de loi constitue une dénégation de notre histoire. En France, la police a depuis toujours la possibilité d’enquêter sur une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la procédure d’instruction se déroulait sans la présence de l’avocat. Lorsque la loi Constans y imposa en 1897 la présence effective de l’avocat, au nom d’un procès plus équitable, un phénomène curieux et malheureux se produisit : les phases préalables de l’enquête – celles desquelles l’avocat était éloigné - prirent peu à peu une part prépondérante dans la procédure judiciaire, permettant ainsi aux policiers de continuer à interroger des suspects livrés à eux-mêmes. La course-poursuite ainsi engagée pour assurer la protection des libertés individuelles a duré tout au long du XXème siècle. A chaque fois que les droits de la défense étaient valorisés, les thuriféraires de la phase d’enquête cherchaient à conquérir de nouveaux territoires, élargissant les pouvoirs de l’enquête préliminaire, repoussant aussi tard que possible le moment où, enfin, le suspect pouvait trouver dans la présence et la parole de son conseil le recul et le soutien nécessaires à l’exercice élémentaire de ses droits de la défense.

C’est, malgré la décision du Conseil Constitutionnel, malgré les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ce même phénomène qui se reproduit dans la proposition faite aujourd’hui par la Chancellerie.

L’instauration d’une période de douze heures au cours de laquelle, en raison de "circonstances particulières", un suspect pourra être interrogé sans intervention de son avocat éclipsera la protection accordée par les nouvelles garanties consenties à la garde à vue de droit commun. Ces circonstances "particulières" ou "exceptionnelles" finiront, comme d’autres, à devenir le principe établi. Rappelons que la garde à vue ou la détention provisoire, mesures privatives de liberté, constituent déjà, dans leur définition même, des mesures exceptionnelles. Elles se sont simplement généralisées.

De même, l’instauration d’une "option" procédurale laissée au suspect pour qu’il choisisse entre une garde à vue assistée et une audition libre sans assistance, laisse perplexe. Confronté à une autorité légitime, soumis à la pression de la coercition, risquant d’être privé de liberté pendant 24 ou 48 heures, difficile d’imaginer le suspect exprimer un consentement éclairé. Revoici un peu le temps du bon maître et du bon esclave : il faudra préférer le moindre mal, la confrontation solitaire à l’entretien assisté.

Les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, aux attendus sans équivoque, ont été rendues et la France en a malheureusement nié la teneur pendant plusieurs mois. C’est une décision rendue par le Conseil Constitutionnel lui-même, aux termes d’une procédure de saisine instituée par sa propre majorité parlementaire, qui semble aujourd’hui ignorée par le gouvernement. C’est dommage et incohérent. La France participe chaque jour à la construction de la norme internationale et à la consolidation des Droits de l’Homme. Nous contribuons, sur le plan spirituel, matériel et humain, à des institutions internationales et des juridictions au sein desquelles nous nous efforçons de propager notre influence afin que notre système juridique, notre pensée, notre philosophie et le sens que nous donnons à nos actes soient diffusés et médités à travers le monde pour lui servir d’exemples. Et voilà que nous ignorons les progrès que ces mêmes institutions, pire, nos propres juridictions, nous réclament.

L’avant-projet de loi sur la réforme de la garde à vue présenté par Mme le Garde des Sceaux va susciter au cours des prochains mois une multitude de discussions animées. L’Institut Montaigne participe déjà activement à ce débat et consacrera d’ici quelques semaines l’une de ses Etudes à la question de la garde à vue.

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