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19/11/2010

Fuite des cerveaux aux États-Unis : l’Institut Montaigne relance le débat

Fuite des cerveaux aux États-Unis : l’Institut Montaigne relance le débat
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Premier volet de notre partenariat¹ avec letudiant.fr/Educpros.fr. : Educpros a rencontré Ioanna Kohler, ancienne diplômée de l’enseignement supérieur français établie à New York et auteure de la dernière Etude de l'Institut Montaigne Gone for Good ? Partis pour de bon ? Les expatriés de l'enseignement supérieur français aux Etats-Unis.

Selon les chiffres collectés pour votre enquête, seuls 1,3 % des chercheurs français étaient expatriés aux États-Unis en 2000 et à peine 2 % des docteurs français sont formés chaque année outre-Atlantique. Ces chiffres relativisent fortement la fuite des cerveaux. Y a-t-il néanmoins péril en la demeure pour la recherche française ?

Vous avez raison. Ces chiffres sont limités, mais ils sont incomplets. Par exemple, l’inscription consulaire des Français aux États-Unis n’est pas obligatoire. L’ambassade de France à Washington et les services consulaires, pourtant très coopératifs, ne disposent pas de données quantitatives ou nominatives complètes. Il y a un contraste frappant entre le discours alarmiste entendu parfois en France et l’absence de véritable mesure de la mobilité des enseignants-chercheurs. De même, la France dépense beaucoup d’argent pour former des doctorants étrangers à travers les bourses Chateaubriand ou Eiffel, sans se préoccuper ensuite de suivre leurs traces. Il n’y a pas d’annuaires d’anciens de ces boursiers. Il faudrait donc commencer par recenser précisément la mobilité scientifique sortante et entrante, c’est d’ailleurs l’une des propositions du rapport. Mais, au-delà du faible nombre d’expatriés outre-Atlantique, il y a un impact plus qualitatif qui semble préoccupant.

C’est-à-dire ?

Si l’on regarde les grands prix internationaux de la recherche, on s’aperçoit que nos meilleurs chercheurs sont souvent à l’étranger. Prenez le Nobel de médecine : sur les cinq derniers attribués à la France depuis 1945, deux ont été décernés à des Français travaillant aux États-Unis. C’est la même chose pour le Prix du meilleur jeune économiste de France, qui a également récemment récompensé deux jeunes chercheurs français vivant dans ce pays : Esther Duflo, professeur au MIT récompensée en 2005, et Thomas Philippon, Associate Professor à la NYU en 2009.

Cette expatriation des jeunes chercheurs qui montent est inquiétante. Mon étude montre également que, parmi les Français qui enseignent dans les grandes universités américaines, une part importante est constituée d’anciens diplômés de Polytechnique et de l’ENS.

Vous avez rencontré une soixantaine de chercheurs français aux États-Unis. Avez-vous été surprise par leur retour d’expérience ?

Plus de la moitié d’entre eux soulignent l’insuffisance des liens avec le système de recherche français et leur volonté d’être mieux informés, par exemple sur les opportunités de carrière en France. Il y a des mécanismes incitatifs comme les retours postdoc de l’ANR ou les contrats ATIP Action thématique et incitative sur programme, mais qui sont encore méconnus des expatriés. Parmi les propositions du rapport figure ainsi la création d’une base de données ouverte sur la diaspora scientifique et académique aux États-Unis ainsi que chez nos principaux concurrents scientifiques pour garder, rétablir et renforcer le contact avec cette population. Le consulat de France à Shanghai a lancé cette année un portail Internet « Aurore » qui vise à développer la coopération entre les communautés scientifiques française et chinoise. C’est une initiative très intéressante.

Vos interlocuteurs aux États-Unis sont d’ailleurs nombreux à suivre avec intérêt les développements de la loi LRU.

C’est vrai. Plusieurs d’entre eux ont été sollicités pour participer à des audits ou à des conseils d’administration d’établissements français. D’une manière générale, il me semble que les universités françaises ne profitent pas assez des marges de manœuvre offertes par la loi. Elles pourraient utiliser l’autonomie de la gestion de la masse salariale pour sortir de la grille de salaires, et proposer des salaires plus compétitifs à des chercheurs d’exception. Il pourrait aussi y avoir plus de souplesse par rapport aux procédures habituelles du CNU afin de pouvoir dispenser de la qualification les meilleurs candidats français ou étrangers titulaires d’un Ph.D. Par ailleurs, les établissements français qui vont bénéficier du grand emprunt devraient être plus présents sur le marché international. Pour l’instant, seule l’école d’économie de Toulouse participe aux forums de recrutement internationaux que l’on désigne sous le terme de « Job Market ». Il faudrait aussi envisager de publier les offres de recrutement dans des revues spécialisées comme The Chronicle of Higher Education, The Times Higher Education ou The Economist.

Vous soulignez la déperdition d’investissement pour la nation, mais face à la globalisation de la recherche, une approche strictement nationale a-t-elle encore un sens ?

Vous avez raison. Il ne s’agit pas de défendre une position protectionniste et de faire absolument revenir les chercheurs français au pays. L’intérêt de cette étude est de montrer, d’une part que ces derniers sont bien formés donc exportables, mais aussi que la mobilité pourrait davantage s’effectuer dans les deux sens.

Il s’agirait par exemple d’attirer plus de chercheurs étrangers, ce qui constitue une grande faiblesse du système français par rapport à la recherche américaine. Un système de package attractif permettrait d’attirer des chercheurs américains ou d’inciter de jeunes docteurs étrangers formés en France à y rester. Arrêtons donc de nous lamenter sur le brain drain et tentons de capitaliser sur le formidable réseau dormant qui existe déjà.

Propos recueillis par Mathieu Oui

¹ Tous les deuxièmes mardis de chaque mois, l’Institut Montaigne publiera une tribune sur des problématiques liées à la jeunesse, à l’emploi et/ou à l’éducation, sur letudiant.fr/Educpros.fr..

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