Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
22/02/2016

"Financement de l'innovation en santé : quels rôles pour quels acteurs ?"

Imprimer
PARTAGER
 Elena Scappaticci
Auteur
Chargée de mission


ArchiMed, Bpifrance, et l'Institut Montaigne inauguraient le 8 février dernier un cycle de conférences consacré à l'innovation en santé. Au cours de cette séance centrée sur le thème "Financement de l'innovation : quels rôles pour quels acteurs ?", Nicolas Revel, directeur de la CNAMTS, Pierre Leurent, président du directoire de Voluntis, et Marie Meynadier, directrice générale d'Eos Imaging, sont intervenus pour rappeler le réel potentiel dont dispose la France dans le secteur des industries de la santé. Les entreprises françaises sont leaders mondiales dans plusieurs secteurs de pointe : le vaccin, les médicaments vétérinaires… Mais la France se donne-t-elle aujourd’hui les moyens de conserver cette position ? Retour sur les trois enjeux qui ont orienté le débat de cette matinée :

1. Renforcer le poids des investissements de long terme

Les jeunes entreprises françaises font aujourd’hui preuve d’une très bonne capacité à attirer du capital-amorçage (apport de capital au stade de la "preuve de concept") et du capital-risque (apport de capital aux premiers stades de développement), c’est-à-dire à lever les financements dits "amont" (R&D). Comme le rappelait à profit le directeur de l’innovation de Bpifrance, Paul-François Fournier, la Bourse de Paris bénéficie ainsi d’une forte visibilité dans le domaine de l’innovation sur les marchés de capitaux européens, avec notamment près de 60 jeunes sociétés de croissance dans le secteur de la santé.

Dans leur phase de pré-développement, les start-up françaises disposent en effet de nombreux leviers de financement : facilité à lever des capitaux propres, multiplicité des aides et partenariats publics comme privés. A titre d’exemple, la start-up Voluntis peut ainsi compter sur des partenariats très solides avec plusieurs groupes pharmaceutiques internationaux. Pourtant, de nombreuses start-up innovantes échouent aujourd’hui à consolider leur activité. Richement dotées en capital dans leurs premières phases de développement, elles ne parviennent pas à transformer l’essai et à basculer vers un statut de PME, encore moins d’ETI. Une situation qui s’explique en particulier par un manque d’investissements de long terme des acteurs financiers au stade des financements dits "aval" (le capital-risque "late stage"), qui sont pourtant indispensables au déploiement commercial et à l’internationalisation, notamment vers les États-Unis, premier débouché mondial pour les acteurs des industries de santé.

Ainsi, dans le domaine de l’e-santé, alors que les États-Unis ont mobilisé l’an dernier plus de 4 milliards de dollars de capitaux de ce type, ce montant n’a été que de 115 millions d’euros en Europe. La start-up Voluntis, en parvenant à réunir 21 millions d’euros de capital pour du financement aval, fait donc figure d’exception dans le paysage des start-up européennes spécialisées dans l’e-santé. C’est pourquoi il paraît aujourd’hui essentiel d’accroître les mécanismes susceptibles d’encourager de plus grosses levées de fonds en faveur des jeunes entreprises de santé innovantes, afin de leur permettre de se déployer commercialement sans être contraintes de se vendre pour bénéficier de la puissance financière et des réseaux commerciaux de grands Groupes, souvent américains.

Les pays européens auraient tout intérêt à suivre la logique d’impulsion initiée en France grâce à la création du Fonds Large Venture mis en place par Bpifrance en 2014. Doté de 600 M€, Large Venture repose sur une logique de co-investissement avec des investisseurs professionnels privés (au maximum 50 % de la levée de fonds) dans les sociétés innovantes des secteurs prioritaires de la santé, du numérique ou de l’environnement. En France également, le Label French Tech, attribué depuis janvier 2014 à des pôles métropolitains reconnus pour leur écosystème de start-up, constitue un autre dispositif innovant susceptible de faire rayonner l’industrie numérique française à l’international. Mais c’est bien l’échelon européen qui semble aujourd’hui le plus pertinent pour espérer accroître les levées de fonds en faveur des start-up. Si quelques initiatives privées commencent à émerger, à l’instar de la société de capital-risque Sofinnova, aujourd’hui un des leaders dans le financement en venture des start-up européennes, elles sont encore insuffisantes, faute d’une règlementation européenne suffisamment favorable à la coopération financière des États européens.

2. Surmonter les blocages administratifs


De nombreuses caractéristiques administratives propres au système français contribuent à ralentir considérablement le cycle de développement économique des jeunes entreprises de santé. Alors que le secteur de la santé se caractérise déjà par des cycles très longs avant de générer des revenus, puis d’atteindre la rentabilité, la lenteur des procédures de commercialisation des dispositifs innovants renforce ces pesanteurs structurelles et contribue à dissuader de nombreux acteurs privés d’investir sur le marché français. Comme le reconnaissait ainsi Nicolas Revel, directeur de la CNAMTS, l’accumulation des délais d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou d’inscription à la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP) pèse très fortement sur l’accès au marché : plusieurs années peuvent parfois être nécessaires avant la commercialisation d’un nouveau produit. Finalement, le manque de cohérence du pilotage administratif de la politique de santé, et surtout la gouvernance émiettée des acteurs publics du financement de la santé, contribuent également au rallongement des délais d’accès au marché public.

3. Faciliter l’accès aux données de santé pour les jeunes entreprises innovantes

Alors que la France dispose aujourd’hui avec le SNIIRAM (Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie) de la base de données de santé la plus importante d’Europe, les multiples règles de gouvernance qui pèsent sur le dispositif le rendent aujourd’hui peu accessible aux entreprises françaises. Bien que la Loi de modernisation du système de santé, promulguée le 26 janvier 2016, facilite cet accès en limitant l’interdiction d’exploitation des données fournies par le SNIIRAM à deux usages très circoncis, la CNAMTS doit encore aller plus loin dans l’accélération des procédures d’accès aux données et dans l’accompagnement technique des projets d’exploitation de données les plus pertinents. 

L’identification de ces trois principaux blocages a permis de faire émerger un certain nombre de propositions :

  • Renforcer les mécanismes de coopération financière européens et les incitations fiscales déjà existants, de manière à faire émerger davantage de fonds de financement "late stage" pour le financement aval des sociétés de santé innovantes, cotées ou non cotées.
  • Améliorer la gouvernance des acteurs publics du financement de la Santé afin de favoriser le développement des start-up françaises du secteur en phase de déploiement commercial.
  • Multiplier les expérimentations locales d’accès au marché français, et accélérer les procédures de généralisation des dispositifs médicaux les plus efficaces.

Pour plus d’informations, consultez notre rapport, Santé : le pari de l’innovation, une ambition au service de nos finances publiques et de notre compétitivité, décembre 2013.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne