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09/08/2011

Fallait-il dégrader les Etats-Unis ?

Fallait-il dégrader les Etats-Unis ?
 Frédéric Bonnevay
Auteur
Economiste, Associé chez Anthera Partners


Tribune de Frédéric Bonnevay parue dans Les Echos du 9 août 2011

L'abaissement de la note financière des Etats-Unis par Standard & Poor's, intervenue dans la nuit du vendredi 5 au samedi 6 août, fut d'autant plus brutale qu'elle était universellement attendue.

Le déséquilibre budgétaire américain reste objectivement intenable à long terme. Rapporté au PIB, l'endettement net fédéral, à 75 % seulement contre 152 % pour la Grèce et 80 % pour la France, semble mesuré ; rapporté aux recettes fiscales annuelles, en revanche, ce chiffre bondit à plus de 350 %, un niveau proche, voire légèrement supérieur à son équivalent grec, et environ égal au double du niveau français.

Le plan de relèvement du plafond d'endettement annoncé le 31 juillet n'a rien d'un plan de redressement. Sur les 2.400 milliards de dollars d'économies prévues sur les dix prochaines années, seuls 917 milliards ont d'ores et déjà été identifiés. A ce manque de clarté s'ajoute la faiblesse de l'enveloppe totale, incapable de stabiliser à elle seule le passif public suivant les propres estimations du Congrès. Enfin, privilégiant une réduction des dépenses à une hausse d'impôts dans un pays que caractérise une charge fiscale faible, ce plan expose les Etats-Unis à un lourd ralentissement. Confus, insuffisant et déséquilibré, le programme des parlementaires tient de l'expédient plus que du traitement de fond. Rétrospectivement, le jugement de S&P paraît sans appel.

Le coeur du problème, pourtant, est ailleurs. Schématiquement, la réponse à la crise de 2008 s'articule autour d'un transfert de dettes privées sur des bilans publics par émission de bons du Trésor et d'un généreux achat de ces bons par les banques centrales. Au coeur de ce dispositif, les Etats-Unis ont laissé le volume de leur dette atteindre près de 15.000 milliards de dollars - près du quart du PIB mondial. La dégradation des T-Bonds, pilier de soutènement des marchés obligataires, sape donc les fondements d'une économie globale toujours fragile.

Accentuant la désaffection des investisseurs pour les bons du Trésor, un déclassement obligataire poussera à la hausse la charge d'intérêts des Etats-Unis, étouffant davantage la consommation et la croissance, au risque de pénaliser leurs partenaires commerciaux. Car l'onde de choc ne se cantonnera ni aux frontières américaines ni au seul secteur public. Un possible décrochage généralisé, dont la crise des endettements souverains en Europe avait ressuscité le spectre, semble désormais inévitable. Un renchérissement du coût de financement fédéral entraînera dans sa foulée les entreprises, contraintes de mieux rémunérer leurs emprunts obligataires, en vertu d'une loi du "plancher souverain" contestée mais toujours largement valable.

La perspective de telles catastrophes appelle à se tourner vers leur immédiate origine : la décision de S&P. L'utilisation abusive, car aveugle et unanime, d'avis financiers privés - du reste parfaitement légitimes -dans la gestion des affaires mondiales est un facteur de graves déséquilibres, un accélérateur de tensions sur les marchés. S'impose donc une réforme visant moins à "briser le thermomètre quand le mercure monte" qu'à distinguer thermomètre et thermostat, en vue de réguler efficacement la température des échanges.

La mauvaise tenue des finances américaines semble justifier pleinement la décision de S&P. Ses conséquences, néanmoins, ont toutes les chances d'être cataclysmiques, en raison de l'utilisation irresponsable qui est faite des analyses rendues par les agences de notation, "marteaux sans maître" d'une économie mondiale menacée de rechute. La "nuit du 4 août" marque l'abolition des privilèges seigneuriaux et la fin du système féodal. La "nuit du 5 août" marquera, elle aussi, la fin d'une ère : celle du "privilège exorbitant" dévolu au dollar. En cela, elle prélude à un ordre économique neuf au sein duquel les Etats-Unis ne joueront plus seuls le premier rôle.

Frédéric Bonnevay est également l'auteur pour l'Institut Montaigne de l'étude Pour un Eurobond : une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (2010)

À lire aussi :

- Crise grecque : du plan de sauvetage au sauvetage du plan - Tribune de Claude Bébéar et Frédéric Bonnevay parue dans Le Figaro du 1er août 2011
- Vers un nouveau "miracle grec" - Tribune de Claude Bébéar et Frédéric Bonnevay parue dans Le Figaro du 8 juillet 2011

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