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08/12/2015

Expérimentation, frais d'inscription, sélection : quelle université en 2020 ?

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Expérimentation, frais d'inscription, sélection : quelle université en 2020 ?
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Interview de Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, et Laurent Bigorgne, directeur général de l'Institut Montaigne parue dans l'AEF, le 2 décembre 2015

Après le colloque organisé en partenariat avec AEF le 6 octobre 2015, Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, et Laurent Bigorgne, directeur général de l'Institut Montaigne, reviennent pour AEF sur l'enjeu crucial, selon eux, de l'autonomie des établissements et plaident pour la diversité des modèles d'université, de leur gouvernance et la différenciation des parcours de formation. Terra Nova souhaite un "État régulateur" tandis que Laurent Bigorgne s'interroge sur la nécessité même d'un ministère. Les deux Think Tanks se retrouvent pour réclamer plus de moyens à l'État, condition pour amorcer une augmentation "modérée" des frais d'inscription. Ils souhaitent également plus de stabilité mais prônent, pour faire évoluer le système, le droit à l'expérimentation. Thierry Pech et Laurent Bigorgne jugent enfin qu'il faut sortir des clivages habituels et avoir des consensus larges.

AEF : À vous entendre, le modèle français d’ESR est à bout de souffle car il briderait les acteurs, en particulier les universités. Lors du colloque, vous avez l’un et l’autre plaidé pour un système différencié, avec un droit à l’expérimentation, y compris sur la gouvernance. Cela veut-il dire que pour vous le clivage gauche-droite sur l’ESR est dépassé et qu’il se situe désormais entre les partisans d’une autonomie assumée et les partisans d’un cadre national strict ?

Thierry Pech : Il serait très exagéré de dire que le système français est à bout de souffle : il produit quand même de belles réussites, surtout si on le rapporte aux moyens investis ! Ce qui est urgent, c’est de tirer les conséquences de l’autonomie des universités, sur laquelle il y a heureusement eu continuité de principe entre les deux quinquennats, mais avec une mise en pratique toute relative, les ministères de l’enseignement supérieur et des finances successifs ayant bien du mal à faire confiance aux acteurs et appliquant la loi selon une interprétation restrictive. Quand l’État ne fait pas confiance aux universités, n’est-il pas normal que les universitaires ne fassent pas confiance à l’État ? C’est dans ce cadre de l’autonomie qu’il faut parler du droit à l’expérimentation, inscrit dans la loi mais très peu utilisé !

Sur ce sujet comme sur d’autres, il peut y avoir en effet un certain nombre de points communs entre une partie de la droite et de la gauche. Mais aussi des désaccords qui font que les uns et les autres mettent l’accent sur des points différents lorsqu’ils sont au pouvoir. N’oublions surtout pas que le temps nécessaire aux réformes est plus long que celui des alternances politiques. Pour nous, l’autonomie assumée ne peut se comprendre qu’avec un État régulateur et un système efficace d’évaluation, ce qui ne veut pas dire que l’État doit imposer un modèle unique d’université, avec un modèle unique de gouvernance, adapté à la fois aux grandes universités où la recherche rayonne au niveau international, et aux structures plus petites, assurant le maillage territorial, et pour lesquelles l’enseignement en licence est prédominant. Dans un paysage diversifié, où les établissements développent les projets où ils peuvent apporter leur meilleure contribution, un paysage régulé par la reconnaissance de la qualité de ces projets quels qu’ils soient, au total les besoins du pays et des jeunes seront mieux couverts. Cela, un modèle unique n’y arrivera pas plus demain qu’aujourd’hui.

Laurent Bigorgne :
Il n’y a pas d’enseignement supérieur de droite ou de gauche : il y a une bonne ou une mauvaise politique. Et la bonne politique, c’est celle qui est décidée et conduite par les établissements eux-mêmes. Il faut passer d’une politique universitaire centralisée et désincarnée à une politique voulue et portée par les établissements. En termes de comparaison systémique, il s’agit de la même transformation que le dialogue interprofessionnel dont on sent qu’il ne produit plus de résultats. Désormais, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire vivre le dialogue dans les branches et au niveau des entreprises. C’est la même logique.

On n’est pas allé au bout des conséquences de l’autonomie, car le MESR n’a pas été transformé, ni dans son fonctionnement ni dans ses objectifs. Pendant ce temps, les établissements ont accompli une mutation considérable. La conséquence, c’est que le système est aujourd’hui bloqué. Pourtant il y a un consensus très fort pour aller au bout de cette transformation. À mes yeux, elle pourrait même aller à terme jusqu’à la dissolution de ce ministère.

AEF : Vous souhaitez tous les deux un relèvement des droits d’inscription à l’université, les boursiers restant exonérés. Dans le même temps, vous demandez que l’ESR devienne une véritable priorité budgétaire pour les pouvoirs publics. N’est-ce pas contradictoire ?

Thierry Pech : Terra Nova a été une des premières voix à gauche à affirmer que le sujet des droits d’inscription ne devait pas être tabou. Mais il faut le considérer dans sa globalité. Tout d’abord du point de vue du poids financier des études sur les étudiants ; ce que nous voulons, c’est réussir la démocratisation : l’argent ne doit pas être un frein à l’accès aux études. Aujourd’hui, c’est le logement étudiant (2) qui constitue la dépense principale. Il faut améliorer la justice et l’efficacité des aides au logement, des bourses.

Si l’on se place maintenant du point de vue des finances des universités, pour l’instant les droits d’inscription représentent une part extrêmement faible des recettes (aux alentours de 2 %) : il est certain que même un triplement des montants actuels - avec une plus grande part d’étudiants exonérés, et pourquoi pas une progressivité pour réduire les effets de seuil - ne pourrait en aucun cas constituer une solution miracle au sous-financement chronique des universités dans notre pays.

Nous demandons un "new deal" : l’État assume sa part dans les moyens supplémentaires qui sont nécessaires à la réussite des étudiants et à une recherche de qualité, et il alloue ses moyens de manière plus équitable entre les universités et les autres composantes de l’enseignement supérieur ; les universités augmentent leurs financements propres : contrats de recherche avec l’industrie, formation continue, etc. Mais, dans ce cadre, et dans le contexte social que nous connaissons, avec le développement de poches de pauvreté et d’exclusion, il faut aussi se poser la question d’un partage de cet investissement supplémentaire par les familles, à commencer par les plus aisées. Après tout, le bénéfice des études est certes collectif, mais il est aussi privé. À ce titre il sera intéressant d’enrichir le débat par exemple avec les propositions d’Alain Trannoy à propos des prêts à remboursement contingent (lire sur AEF).

Laurent Bigorgne : Ce n’est pas contradictoire du tout, à une condition : il ne faut pas donner aux familles le sentiment que l’augmentation des droits de scolarité est un impôt supplémentaire, mais bien plutôt un investissement. Elle doit être modérée, car personne n’envisage des droits à l’américaine, et elle est un levier indispensable pour mettre à niveau la qualité de recherche, de l’encadrement pédagogique et celle des services rendus aux étudiants. Lorsque Sciences Po a augmenté ses droits d’inscription, la condition était que l’État ne diminue pas ses moyens et que cet établissement puisse investir pour exister dans un environnement très compétitif.

Pour réussir ceci, il y a quatre conditions : des droits modérés, une transparence sur le coût des études dans la durée, une simplicité de mise en œuvre, et de l’équité, avec des services et des aides sociales supplémentaires. Si ces conditions sont réunies, ce qui avait été le cas à Sciences Po, on peut parvenir à faire comprendre l’utilité d’une telle démarche.

AEF : Vous prônez la mise en place, dès la première année et à côté des filières dites "classiques", de filières sélectives comportant des exigences plus fortes. Au-delà de la critique qui vous est faite de promouvoir un système à deux vitesses, ne copiez-vous pas au sein de l’université le système des classes prépas ?

Thierry Pech : Il y a un principe général qui est de n’exclure personne : tout bachelier doit se voir proposer une place dans l’enseignement supérieur, dans une filière où il a de véritables chances de succès, et notre enseignement supérieur doit permettre, bien mieux qu’actuellement, la reprise d’études. Ensuite, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que le système d’enseignement supérieur dans son ensemble est d’une part fortement différencié, non pas à 2 vitesses mais à de multiples niveaux, et ce bien plus que dans d’autres pays ; et d’autre part la coexistence de filières sélectives (classes préparatoires, IUT, STS) à côté des universités qui ne le sont pas, engendre des erreurs catastrophiques d’orientation.

La différenciation n’est pas fondamentalement une mauvaise chose, si les différents acteurs pouvaient jouer à armes égales ! Les étudiants ont des besoins, des capacités, des ambitions, des contraintes personnelles fortement différents, et les études qu’ils ont faites auparavant les ont plus ou moins bien préparés. Le moule unique : le même parcours, à la même vitesse conduit au gâchis que l’on connaît. Nous proposons que les universités puissent généraliser les parcours adaptés aux différents profils : il ne s’agit pas, pour les étudiants les plus en difficulté, de leur proposer une licence au rabais, mais au contraire d’identifier les domaines où ces étudiants peuvent avoir besoin de mises à niveau spécifiques, qui les amèneront au même diplôme accrédité par l’instance nationale - mais peut-être en plus de temps.

L’Université doit aussi prendre sa place dans l’accueil des meilleurs étudiants, en proposant des parcours adaptés, demandant tout autant de travail que les classes prépas mais peut-être plus d’autonomie, plus en lien avec la recherche et l’international. A la fin, reste la question essentielle d’un dispositif d’orientation efficace, et qu’on l’appelle dispositif de "sélection" ou d’"orientation" n’est qu’une question d’affichage : sur le fond, il doit s’agir d’un contrat entre un étudiant qui s’engage à fournir un travail adapté, et une filière qui, au vu de son dossier, s’engage à lui donner les moyens d’une véritable réussite, ce qui peut passer par une remise à niveau si certains prérequis ne sont pas remplis. Enfin, si nous saluons les objectifs d’augmentation du taux de diplômation du supérieur, c’est tout l’enseignement supérieur, et pas les seules universités, qui doivent avoir la charge de cet objectif.

Laurent Bigorgne : L’université a su répondre au défi immense de la démocratisation par l’accès, avec la massification, il faut qu’elle réussisse à répondre à celui de la démocratisation par la réussite, avec les nouveaux publics qu’elle a dû accueillir. Et donc cette sélection que nous préconisons est en fait une orientation réussie. L’enjeu n’est pas de restreindre l’accès, ni de réduire le nombre de places, mais d’orienter mieux, d’accompagner mieux. C’est pourquoi il faut du travail en petits groupes, de meilleurs taux d’encadrement, des enseignants plus disponibles. Ce n’est donc pas un système de CPGE car la disponibilité des enseignants ne se ferait pas sur un nombre d’heures de cours élevé, mais sur l’attention portée à chaque étudiant.

Il s’agit d’abord d’une révolution intellectuelle dans les universités, par la mise en place de "collèges universitaires" pluridisciplinaires, tels qu’ils existent en Grande-Bretagne. Je remarque d’ailleurs que c’est ce que nous avons été capables de faire en partie avec les IUT.

AEF : Comment pensez-vous pouvoir faire prendre en compte vos propositions ? Par une nouvelle loi ?

Thierry Pech : Bien au contraire. Après des années de réforme incessante, le milieu de l’enseignement supérieur a besoin de stabilité. La très grande majorité des propositions que nous portons peuvent se réaliser non seulement sans changer la loi, mais en profitant enfin des marges de manœuvre que la loi permet mais que peu d’acteurs osent utiliser. Pour prendre un exemple simple du point essentiel de la sélection en master, un simple décret permettrait de lever l’ambiguïté juridique dans laquelle on se situe actuellement, en se mettant enfin en cohérence avec le principe du LMD… qui date de maintenant 10 ans !

Ainsi, chaque master pourrait décider, selon les spécificités qui lui sont propres, soit de sélectionner en M1 comme le voudrait la logique, soit à titre transitoire d’assumer une sélection entre M1 et M2…, soit de ne pas sélectionner du tout ! La culture de la négociation, du compromis, de la confiance réciproque doit devenir la règle et non pas l’exception : étudiants, enseignants, personnels administratifs partagent tous le même objectif !

Laurent Bigorgne :
Il y a eu deux aspects dans la méthode empruntée par Valérie Pécresse, la loi bien sûr, mais aussi la durée avec un suivi et sa mise en œuvre. Quel que soit le ou la ministre, elle ou il devra avoir la capacité de comprendre ce qui se passe ailleurs dans le monde, de la persistance, et surtout une capacité à laisser les établissements expérimenter en profondeur. Le prochain ministre devra accepter de "lâcher prise".

De ce point de vue, on aurait pu avoir beaucoup plus d’audace dans le cadre du périmètre des idex, que ce soit sur la carte des formations, les droits de scolarité, la gouvernance, les questions statutaires des personnels entre universités, écoles et organismes, ou encore sur le recrutement dans des conditions proches du marché des compétences dont les établissements ont besoin (RH, finances, immobilier, juridique, communication, etc.). Il faut par exemple que l’État cesse de fixer le salaire des dirigeants des établissements. En un mot, le devoir de réussite des idex est lié au devoir d’expérimentation. Il y avait une justification politique forte : des établissements mieux dotés par l’État, particulièrement dans de telles proportions, doivent faire plus d’efforts.

AEF : Vos propositions convergent sur de nombreux points : cela signifie-t-il que l’enseignement supérieur et la recherche peuvent être un sujet de consensus ?

Thierry Pech : L’enseignement supérieur et la recherche sont des sujets trop importants pour être ballottés au gré d’alternances quinquennales. Il y a consensus pour considérer qu’une partie de l’avenir du pays se joue là, et que cela va demander des investissements conséquents et croissants. Il faut aussi que le milieu de l’enseignement supérieur dans son ensemble montre qu’il sait se réformer - et un chemin considérable a été parcouru ces dernières années ! Nous saluons le fait, nouveau, que la droite s’intéresse à l’enseignement supérieur et à la recherche, depuis qu’elle y a été contrainte par le mouvement Sauvons la Recherche en 2004.

Cet intérêt partagé n’empêche pas des divergences fortes entre la droite et la gauche sur certains sujets, comme sur la démocratisation, l’importance de la dimension culturelle des études par rapport à leur caractère utilitaire, la sélection des élites ou le rôle de l’État. Mais nous espérons - et c’était le but de ce colloque - faire sortir le débat des clivages habituels : ces questions doivent devenir l’objet de véritables débats de société !

Laurent Bigorgne : Notre pays fait face à des défis intérieurs, européens et internationaux sans précédent. L’éducation est un des leviers dont il dispose pour y répondre et préparer l’avenir. Il serait normal que tous ces sujets produisent des consensus larges, une ambition renouvelée et commune, à la hauteur des efforts de la nation pour cette politique. Ce serait un signal fort adressé aux jeunes, aux étudiants, aux enseignants, à nos partenaires mais aussi à ceux qui veulent détruire notre modèle démocratique.

[Retour sur] "Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 ?"

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