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22/01/2014

Et si l’on reparlait du SMIC jeunes ?

Et si l’on reparlait du SMIC jeunes ?
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne



Tribune de Bertrand Martinot, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, auteur de Chômage: inverser la courbe, publié par l'Institut Montaigne aux Editions Manitoba/Les Belles Lettres, parue dans Le Figaro du 22 janvier 2014 (version intégrale).

Puisque la question du coût du travail et sa relation avec le chômage de masse semblent enfin solidement installées au cœur du débat politique, il est peut-être temps de réfléchir de nouveau à la question du SMIC jeunes. Bien que marqués par l’échec du contrat d'insertion professionnelle (CIP) porté par le gouvernement Balladur il y a 20 ans, nous devrions pouvoir aujourd’hui en discuter de manière constructive et dégager un consensus assez large autour des quatre constats qui suivent.

Premier constat. Le coût du travail au niveau du SMIC reste, malgré les allégements de charges, une barrière à l’entrée sur le marché du travail pour de nombreuses personnes sans expérience professionnelle et non ou peu qualifiées. Certes, la progression du SMIC a été très modérée depuis quelques années, mais nous continuons de payer les évolutions des trente – quarante dernières années, durant lesquelles le SMIC a progressé plus rapidement que la productivité. C’est pour les jeunes qui cumulent absence d’expérience professionnelle et faible niveau de formation initiale – et il y en a beaucoup en France… ! – que cette situation est la plus problématique. Et si presque 30 % des jeunes de moins de 26 ans en emploi sont rémunérés au SMIC, c’est bien que  le niveau de ce dernier pose question.

Deuxième constat. Tenant compte de la faible productivité des jeunes primo-demandeurs d’emploi peu qualifiés, presque tous les pays européens qui ont un salaire minimum ont institué une décote pour ces jeunes. Ce qui fait, par exemple, que le jeune anglais non qualifié de 20 ans coûte 6,15 euros à son employeur outre-Manche contre 11 euros de ce côté-ci. Le cas allemand sera évidemment à observer de près. Mais avec un salaire minimum de 8,50 euros à l’horizon 2016 – le SMIC français sera alors à 10 € - et assorti vraisemblablement de nombreuses exceptions, il est probable que les allemands parviendront à contourner les effets pervers du SMIC français.

Troisième constat. Des dérogations au SMIC existent déjà pour les jeunes en alternance et pour les stagiaires, sans que cela pose des problèmes d’acceptabilité politique ou sociale. Cela étant, pour certains jeunes non qualifiés en délicatesse avec l’enseignement général, l’alternance n’est pas toujours et immédiatement une solution pertinente. Quant aux stages, souvent utiles pour accumuler de l’expérience professionnelle s’ils ne sont pas abusifs, ils ne concernent par définition que des jeunes en formation.

Quatrième constat. Les jeunes non qualifiés sont en France victimes d’une "double peine". D’un côté, on érige avec le SMIC une barrière à l’embauche, non pas pour protéger les jeunes mais – disons – le - pour éviter les risques de pression à la baisse sur les salaires de leurs aînés. De l’autre, les jeunes, contrairement à d’autres pays, sont exclus de la solidarité nationale, le RSA ne leur étant pas accessible dans la grande majorité des cas. Il en résulte des niveaux de pauvreté insupportables dans ces tranches d’âge, générateurs de comportements anti - sociaux et de révolte que l’on peut comprendre.

Nous sommes donc face à un dilemme assez simple, de type "emploi ou assistance". Soit, nous favorisons l’entrée de ces jeunes sur le marché du travail, ce qui implique une modération du SMIC, au moins en cas d’embauche en CDI, dans l’idée qu’il vaut mieux vivre avec un SMIC, même abaissé de 20 ou 25 % que rester sans ressources… Soit, pour des raisons symboliques, nous persistons à ne rien vouloir faire et laisser le marché du travail faire le tri. Mais dans ce cas, des considérations élémentaires d’équité commanderaient que la solidarité nationale intervienne pour les jeunes exclus, comme elle le fait pour leurs aînés, pour qu’ils ne s’enfoncent pas dans la grande pauvreté.

Bien entendu, la création d’un "SMIC jeunes" ne saurait être l’alpha et l’oméga d’une grande politique d’insertion des jeunes. Un effort sur l’apprentissage, un renforcement des moyens du service public de l’emploi à leur endroit, un véritable pilotage des missions locales par la performance, ou encore des tentatives d’accompagnement intensif vers l’emploi comme ce que tente le gouvernement avec la "garantie jeune" seraient les bienvenus. Mais la situation des jeunes est trop grave en France pour que l’on néglige certains leviers d’action. Et la mise en place d’une décote sur le SMIC est à coup sûr l’un de ces leviers.

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