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23/02/2012

Droit des successions : "Le plus simple serait de donner la liberté de tester"

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Droit des successions :
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Dans une interview parue dans Le Monde daté du 24 février 2012, Claude Bébéar, président de l'Institut Montaigne, propose des pistes pour rééquilibrer la fiscalité au service de la compétitivité. L'Institut Montaigne publie dans quelques jours un rapport intitulé : Une fiscalité au service de la "social compétitivité", fruit d'un travail collectif mêlant des personnalités de droite et de gauche. L'intégralité de l'entretien :

Regrettez-vous la suppression du bouclier fiscal ?

Constater qu'à partir d'un certain niveau, l'impôt devient confiscatoire me paraît de bon sens. Ensuite, il faut définir le curseur : 50 %, 60 %, 70 % du revenu ? Cela relève d'un choix politique. J'entends des gens à gauche dire qu'en cas de victoire, il faudra en mettre un, car il est hors de question de prélever 100 % des revenus. Cela me paraît indispensable.

L'impôt sur le revenu est devenu dégressif pour les très hauts revenus. Cela ne vous choque-t-il pas'

Si c'est le cas, c'est une raison supplémentaire qui justifie une réforme fiscale en profondeur.

N'est-ce pas une atteinte au civisme ?

Non, l'incivisme, c'est quand vous ne respectez pas la loi. Là, c'est le résultat de la multiplication des niches fiscales, combinée aux exonérations liées à l'impôt sur la fortune. C'est parfaitement légal et cela se corrige en plafonnant les niches fiscales et en limitant les exonérations d'ISF (impôt de solidarité sur la fortune).

Y êtes-vous favorable ?

Oui, c'est ce que nous proposons à l'Institut Montaigne : augmenter le rendement de l'impôt sur le revenu de 15 milliards d'euros et celui de l'ISF de 500 millions d'euros en réduisant, voire en supprimant, les niches fiscales. Attention, cela ne veut pas dire que l'impôt sur la fortune est un bon impôt ! Il faudra le supprimer à terme mais, dans le contexte actuel, ce serait malvenu.

Vous convenez qu'en ces temps de crise, il faut taxer les riches ?

Souvenez-vous d'Yves Montand : il pensait qu'il avait gagné honnêtement sa vie et ne comprenait pas pourquoi le fisc venait lui demander des comptes, alors que la très grande majorité de ses compatriotes pensaient, eux, qu'il gagnait beaucoup trop. On ne peut pas traiter objectivement de cette question. On entre dans le champ politique : qu'est-ce qu'une société accepte à un moment donné ?

Simplement, dans les débats, il ne faut pas perdre de vue la réalité : l'impôt, en France, est devenu considérable. Il représente 45 % de la richesse nationale, dix points de plus que dans la moyenne des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). En lever davantage est exclu. Et, compte tenu de la dégradation de la situation économique, la réforme fiscale devra avoir pour premier objectif d'améliorer la compétitivité. La France taxe davantage le travail et le capital que les autres pays européens, et moins la consommation. Cela vous donne une idée de ce qu'il faut faire.

Vous dites : "Tant pis pour l'équité" ?

Je n'ai pas dit cela. Je dis simplement qu'il ne faut pas tout attendre de l'impôt. En France, la redistribution est assurée pour l'essentiel par les prestations sociales. C'est ce que montre l'Insee. On a cependant tendance à l'oublier, à raisonner impôt par impôt, à vouloir que chaque impôt soit équitable, alors que c'est le système dans son ensemble qu'il faut juger.

Approuvez-vous le transfert des charges sociales sur la TVA, préconisé par Nicolas Sarkozy ?

Oui, sur la TVA et peut-être aussi la CSG (contribution sociale généralisée). Mais, pour que la mesure ait un effet réel sur l'emploi et la compétitivité, il faut créer un choc, donc opérer un transfert d'au moins 30 milliards d'euros.

Le pays peut-il supporter une hausse de 3 points de la TVA ?

Je le crois. Des pays très redistributifs, comme la Suède et la Norvège, ont un taux normal de TVA encore plus élevé. Ils ont un système d'impôt plus proportionnel que nous.

Et l'inflation ?

Le risque est limité par la faible croissance d'économie.

M. Hollande veut fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG, tout en se donnant du temps pour y arriver. A-t-il raison ?

Les travaux de l'Institut Montaigne ne sont sans doute pas étrangers à sa prudence. Certains de ses amis y participaient, et ont pu l'alerter. Le grand risque de la fusion est que le mauvais impôt chasse le bon ; que, pour rendre acceptable ce nouveau prélèvement, on multiplie les abattements à la base, comme on l'a fait pour l'impôt sur le revenu. Ce serait une funeste erreur car, outre sa lourdeur, le système fiscal français pêche par son opacité. Chacun jalouse son voisin, car personne ne sait qui paie quoi. Si on veut faire une bonne réforme, il faut consolider la CSG et corriger les défauts de l'impôt sur le revenu en nettoyant les niches.

Pourquoi souhaitez-vous alourdir les droits de succession, alors que l'allégement décidé par M. Sarkozy est très populaire ?

Parce que ces droits sont moins importants qu'ailleurs et que, pour la compétitivité, mieux vaut taxer la fortune à la fin, lorsqu'elle est devenue une rente, plutôt qu'au début, lorsqu'elle est encore un outil de travail.

Peut-on proposer une réforme fiscale sans tenir compte de l'allongement de la durée de vie ?

Evidemment non. Il faut encourager les grands-parents à donner à leurs petits-enfants. L'âge moyen d'un héritier ou du bénéficiaire d'une donation est aujourd'hui supérieur à 53 ans, alors que ce sont les générations actuellement âgées de moins de 35 ans qui auraient besoin de cet apport pour se loger, financer des études supérieures, assumer des charges de famille ou créer des entreprises. Pour y arriver, le plus simple serait de donner la liberté de tester, mais ce serait une vraie révolution.

Y êtes-vous favorable ?

Oui. C'est ce que nous proposons, à l'Institut Montaigne. Il n'est pas normal que des enfants qui ne s'occupent pas de leurs parents se présentent à leur mort pour toucher l'héritage. Il y a une vraie logique à donner au plus compétent ou à celui qui a un projet à développer. La quotité disponible a été instituée sous la Révolution en réaction contre l'Eglise, qui était accusée de vouloir faire main basse sur les fortunes. Ce temps est révolu !

Propos recueillis par Françoise Fressoz

- En savoir plus sur le rapport à venir : Une fiscalité au service de la "social compétitivité"

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