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09/10/2015

Discriminations religieuses à l'embauche : une réalité

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Discriminations religieuses à l'embauche : une réalité
 Institut Montaigne
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Pendant toute une année, de septembre 2013 à septembre 2014, des candidatures fictives ont été envoyées à plus de 6 200 offres d'emploi afin de comparer les taux de convocation à un entretien d'embauche de candidates et candidats dont les profils sont identiques en tout point, à l'exception de la religion. Les résultats sont éloquents. Ils révèlent une forte discrimination à l'égard des candidats perçus comme juifs et ceux perçus comme musulmans, dont le taux de convocation à un entretien s'avère beaucoup plus faible que celui des candidats perçus comme catholiques.

"Pour pallier le manque de données sur cette question et fonder l’action publique sur des constats scientifiques, nous avons choisi, avec l’Institut Montaigne, de mettre en place un testing sur CV inédit par son ampleur – des candidatures fictives ont été envoyées à plus de 6 000 offres d’emploi  pendant toute une année dans toute la France, mais aussi par son champ d’étude - c’est la première fois qu’un tel travail concerne les trois grandes religions monothéistes présentes en France",  indique Marie-Anne Valfort, économiste à l’École d’Économie de Paris et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Des discriminations fortes à raison de la religion des candidats

Si les CV comparés sont identiques sur le plan académique et professionnel, au moment de chercher un nouvel emploi, les candidats ne reçoivent pas le même accueil. La probabilité des catholiques pratiquants d’être contactés par le recruteur pour un entretien d’embauche est supérieure de 30 % à celle des candidats réputés juifs pratiquants. Elle est par ailleurs deux fois plus forte que celle des candidats perçus comme musulmans pratiquants.

Ce dernier résultat cache par ailleurs une forte variation en fonction du sexe. Alors que le taux de réponse des candidates musulmanes est inférieur de 40 % à celui des candidates catholiques, les hommes musulmans sont encore plus discriminés : il leur faut envoyer quatre fois plus de CV comparativement à leurs homologues catholiques pour décrocher un entretien d’embauche. Michel décroche un entretien d’embauche au bout de cinq envois de candidatures, Dov doit en envoyer sept, et Mohammed doit, quant à lui, postuler 20 fois avant d’avoir une proposition d’entretien.

Les ressorts des discriminations à l’embauche

Pour tenter de bloquer certains stéréotypes négatifs associés aux candidats minoritaires et mieux appréhender cette discrimination, ce testing inclut des candidats laïcs.  Ainsi, lorsque les profils ordinaires sont laïcs, il est frappant de noter que les catholiques pratiquants passent d’un taux de convocation de 20,8 % à 16,1 %, alors que les profils musulmans y gagnent de manière assez significative, passant d’un taux de 10,4 % à 12,9 %. Les recruteurs semblent donc les associer à des pratiques religieuses transgressives qui les dissuadent de les embaucher.

Le protocole met également en scène des candidatures "d’exception" qui signalent l’excellence des candidats dans chaque rubrique du CV : mention "bien" au bac, expérience professionnelle plus riche et plus longue, niveau d’anglais courant, niveau confirmé dans la maîtrise de quatre logiciels de comptabilité, pratique du sudoku à un niveau de compétition. L’étude révèle ainsi qu’afficher un profil d’exception réduit la discrimination, mais ne la supprime pas. Ainsi, le taux de réponse des candidats juifs est inférieur de 50% à celui de leurs homologues catholiques lorsqu’ils affichent des profils ordinaires, et de 20% lorsqu’ils affichent des profils d’exception. De même, le ratio entre le taux de réponse des candidats catholiques et celui des candidats musulmans est de 2,4 sur les profils ordinaires et de 1,9 sur des profils d’exception. Cependant, l’impact varie fortement en fonction du sexe du candidat. Si l’affichage d’un profil d’exception anéantit la discrimination subie par les femmes juives et musulmanes, il exacerbe celle dont sont victimes leurs homologues masculins. Leur taux de réponse devient alors cinq fois plus faible que celui de leurs homologues catholiques. "Le fait de se montrer exceptionnel exacerbe la discrimination dont sont victimes les juifs et les musulmans. Notamment, les hommes musulmans ne gagnent rien à signaler leur excellence. Leur discrimination est donc maximale lorsqu'ils présentent aux recruteurs une candidature irréprochable.", précise Marie-Anne Valfort.

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Un protocole expérimental complet pour mesurer efficacement la discrimination à raison de la religion


Cette étude repose sur la méthode du testing sur CV qui consiste à envoyer des candidatures fictives en réponse à des offres d’emploi réelles, et à mesurer les taux de réponses en fonction des différents profils. Les CV ont été envoyés à plus de 6 200 entreprises publiques et privées, dans toute la France, représentants une diversité de secteurs d’activité et de tailles.  L’étude a comparé les taux de réponse de candidats issus du même pays d’origine (le Liban) et au parcours identique. Seule leur religion supposée diffère. Cette dernière est signalée par trois informations : leur prénom (Dov et Esther pour les juifs, Michel et Nathalie pour les catholiques, Mohammed et Samira pour les musulmans), leur collège confessionnel ou leur langue maternelle, et leur activité associative. Ils ont grandi dans le même quartier de Beyrouth. A l’issue du collège, ils ont convaincu leurs parents de les laisser partir en France pour y poursuivre leurs études. Ils choisissent le même parcours : passer le bac et s’inscrire en BTS pour devenir comptable. A 25 ans, ils ont tous les trois acquis la nationalité française, ont multiplié les expériences professionnelles en CDD, maîtrisent les logiciels communs de comptabilité, de paie et de gestion et parlent couramment l’anglais.
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Consulter l’étude de Marie-Anne Valfort et comprendre les résultats en images

Revoir l’émission "Placards, discriminations au travail : le grand tabou" dans Complément d’enquête diffusé hier soir sur France 2



A propos de l’auteure
Marie-Anne Valfort est économiste à l’École d’économie de Paris et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Diplômée d’HEC et titulaire d’un doctorat de l’École Polytechnique, elle est spécialiste de la discrimination sur le marché du travail. Elle a consacré de nombreux articles de recherche à la discrimination envers les musulmans dont une synthèse sera publiée en janvier 2016 par Harvard University Press : Why Muslim integration fails in Christian-heritage societies (avec Claire L. Adida de l’Université́ de San Diego et David D. Laitin de l’Université Stanford).

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