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22/10/2012

Des mesures fiscales inadaptées

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Des mesures fiscales inadaptées
 Alexia de Monterno
Auteur
Directrice adjointe de l'Institut Montaigne



Tribune parue dans la rubrique Idées du Monde.fr le 22 octobre 2012

Ces dernières semaines ont été marqués par deux annonces fiscales, passées relativement inaperçues tant l'actualité a été dominée par les tensions internationales. Tout d'abord l'institution en 2013 d'un dispositif alternatif à la loi Scellier afin d'encourager l'investissement dans l'immobilier locatif. Le dispositif "Duflot" permettra une réduction d'impôt pour les particuliers comprise entre 17 % et 20 %, étalée sur une période de neuf à douze ans. Autre annonce gouvernementale : les investissements Outre-mer ne seront pas concernés par le plafonnement à 10 000 euros des réductions d'impôts liées aux niches fiscales. Ces décisions peuvent paraître anodines voire bénéfiques pour l'économie française (la relance de l'activité par la construction). En réalité, c'est tout le contraire.

Elles révèlent tout d'abord l'abandon en rase campagne d'un principe fort, affirmé à maintes reprises par le gouvernement : celui de rétablir la progressivité et l'efficacité de l'impôt sur le revenu par la suppression des niches fiscales inutiles et le strict plafonnement des autres. Au cours des dernières années les effets combinés de la suppression des tranches les plus élevées du barème et la multiplication des niches ont contribué à réduire la progressivité de l'impôt sur le revenu, alimentant le ressentiment des Français face à ce qu'ils considèrent comme une montée des inégalités. En outre, ces niches coûtent cher, très cher : le rapport de l'IGF d'août 2011 sur ce sujet avait pointé un manque à gagner pour l'Etat de 52,5 Md€ pour des mesures au mieux inefficaces. Parmi elles, était expressément visé l'abattement pour les investissements dans les DOM-TOM pour un peu moins d'1Md€... Renoncer – avant même toute discussion à l'assemblée au cours du vote du projet de loi de finances 2013 à plafonner ces niches sonne comme une invitation à tous les lobbies à venir défendre leurs intérêts et avantages acquis. Ce qu'ils ne manqueront pas de faire...

On rétorquera ici que le dispositif "Duflot" est, lui, placé sous la barre des 10 000 euros et qu'à ce titre il est parfaitement défendable. On touche là un autre mal français, profondément ancré dans notre histoire : la tentation permanente de manipuler l'outil fiscal pour orienter l'épargne, le plus souvent à mauvais escient. On sait que, si la fiscalité est neutre sur le niveau d'épargne, elle est en revanche déterminante pour la sélection des actifs détenus, notamment pour le choix entre épargne financière et épargne immobilière ou entre différentes catégories d'actifs financiers. En France, les deux tiers du patrimoine des ménages sont constitués d'actifs immobiliers qui bénéficient de multiples avantages : dispositif "Scellier" puis "Duflot" ; traitement très privilégié de la résidence principale (exonération de plus-value lors d'une revente, abattement de 30 % à l'ISF, abattement sur les droits de mutation à titre onéreux, déductibilité des intérêts d'emprunt jusqu'à leur remplacement par un PTZ renforcé au 1er janvier 2011...), ou encore livrets réglementés pour le financement du logement social. Un chiffre est emblématique de cette préférence pour la pierre : l'avantage fiscal sur les investissements directs en actions est plafonné à quelques dizaines de milliers d'euros selon les dispositifs (ISF PME, dispositif "Madelin" ...), alors que le Plan Epargne Logement (PEL) est plafonné à 61 000 € et le "Scellier" avant sa suppression à 300 000 € (soit le niveau auquel sont plafonnés les avantages fiscaux à l'IRPP au Royaume-Uni, pour les investissements en faveur des entreprises – l'équivalent du dispositif "Madelin" français).

L'exemple de l'immobilier est symptomatique d'une politique fiscale mal orientée, qui avantage les placements de court terme ou improductifs. Si l'on élargit l'analyse à l'ensemble des produits d'épargne, le tableau est en effet inquiétant : 45 % de l'épargne non risquée bénéficie d'un soutien fiscal. C'est également l'épargne non risquée qui draine 82 % des flux d'épargne financière des ménages et qui bénéficie des plus gros avantages (9 Md€ en 2011).

Or, l'économie française connaît aujourd'hui d'importants besoins en financement. Sous l'impact des règles prudentielles (Solvency II et Bâle III), banques et compagnies d'assurances sont contraints de se retirer du financement de long terme des entreprises. Il est vital que la politique fiscale soit rééquilibrée en faveur de classes d'actifs délaissés mais nécessaires à l'économie comme les actions, ou de produits d'épargne d'une duration longue qui puissent être transformés en investissements risqués.

On peut concevoir que la fiscalité soit neutre, à chacun d'arbitrer entre le rendement et le risque qu'il souhaite prendre. On peut également concevoir qu'elle contrebatte l'aversion naturelle des ménages au risque et qu'elle rémunère fortement les placements de long terme et-ou incertains comme les actions. On peut difficilement accepter que l'Etat se prive de ressources fiscales pour encourager une épargne liquide, de court terme ou improductive. En la matière, les choix sont désormais contraints et urgents.


- Une fiscalité au service de la "social compétitivité" - Rapport (mars 2012)

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