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14/06/2023

Crédit d’impôt recherche : Verdir, ne pas verdir

Crédit d’impôt recherche : Verdir, ne pas verdir
 Raphaël Tavanti-Geuzimian
Auteur
Chargé de projets - Économie
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice adjointe des études France et Experte Résidente

Le gouvernement a déposé le 16 mai dernier au Sénat son projet de loi relatif à l’industrie verte, qui prévoit une série de mesures destinées à favoriser la réindustrialisation décarbonée du territoire national. Elles poursuivent notamment trois objectifs : favoriser l’implantation des sites industriels, privilégier la commande publique, et améliorer les conditions de financement des projets. Sur ce dernier point, très inspirée par l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, la réflexion a abouti à la mise en place d’un crédit d’impôt, qui sera soumis au vote du Projet de Loi de Finances 2024. Les contours de celui-ci, encore flous, soulèvent de nombreuses questions, mais apportent au moins une certitude : le crédit d’impôt recherche (CIR), principale mesure de soutien à l’innovation, ne sera pas réformé. Comme l’expliquent Lisa Thomas-Darbois et Raphaël Tavanti-Geuzimian dans ce décryptage, ce choix nous invite aujourd’hui à réinterroger la pertinence du mécanisme, alors que l’urgence climatique avait ouvert la voie à un possible "verdissement" du dispositif.

Un dispositif de soutien massif à la recherche et au développement

Le CIR se conçoit comme un instrument de soutien à l’innovation, et pour cause la Recherche & Développement (R&D) est un élément clef de compétitivité. La pertinence du soutien de la puissance publique n’est débattue par personne. La R&D est en effet un bien public qui génère des externalités positives. Le rendement social d’un investissement en R&D est supérieur à son rendement privé. Le soutien de la puissance publique s’en trouve ainsi justifié, car il œuvre de façon à rapprocher les investissements du niveau socialement optimal. La France accuse pourtant un certain retard en la matière. Avec la stratégie de Lisbonne de 2000, les États membres de l’UE s’étaient engagés à atteindre un niveau de dépenses publiques et privées en R&D à hauteur de 3% du PIB. D’après des données du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’OCDE, en 2020, ce niveau en France n’atteignait que 2,3% du PIB, derrière la moyenne de l’OCDE (2,7%), et loin derrière l’Allemagne (3,1%) ou le Japon (3,3%), notamment en raison d’un faible investissement privé, à 1,4% du PIB contre 1,7% dans le reste de l’OCDE.

Les aides à l’investissement en R&D peuvent fonctionner selon une logique verticale (comme le programme d’investissement d’avenir), ou transversale. Le CIR appartient à la seconde catégorie, et agit comme n’importe quel autre crédit d’impôt : plutôt que de verser directement des subventions, il offre la possibilité aux entreprises de déduire de leur base fiscale (assis sur l’impôt sur les sociétés) toutes leurs dépenses relevant de leurs activités de R&D. Imaginé en 1983 et soutenu par Jean-Pierre Chevènement, le CIR a beaucoup évolué, en particulier à partir des années 2000, durant lesquelles il voit son périmètre s’élargir - aux activités agricoles et artisanales - et son dispositif se pérenniser en 2004. C’est en 2008 cependant que survient la plus importante modification. La loi de finances de l’époque étend l’instrument au-delà du simple accroissement des dépenses, dont le montant du CIR était fonction jusqu’alors. Elle prévoit que 30% des investissements de R&D sont éligibles au crédit d’impôt jusqu’à 100 M€, et 5% au-delà. Cet élargissement des critères fait de la France le pays de l’OCDE le plus généreux en matière d’aides à la recherche. Les dépenses fiscales de l’État en la matière ont atteint 6,75 Md€ d’euros en 2021 et constituent trois cinquièmes de l’ensemble des soutiens publics à l’innovation et la recherche en France.

Le secret fiscal empêche de savoir précisément quelles entreprises bénéficient du CIR, et à quelle hauteur. En revanche, les bilans de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’utilisation du CIR permettent de dégager les plus grands bénéficiaires de façon sectorielle. Au-delà de l’impact mécanique sur les activités industrielles (60% du total) à raison des dépenses de R&D plus importantes, le bilan provisoire pour l’année 2020 du Ministère offre une vue détaillée des secteurs qui bénéficient des créances les plus importantes. Le secteur “Industrie électrique et électronique” occupe la première position, (15,6 %), suivi de la “Pharmacie, parfumerie et entretien” (10,9 %). Viennent ensuite, les entreprises des secteurs “Construction navale, l’aéronautique et le ferroviaire” (6,9 %), “Industrie automobile” (6,6 %) et “Chimie, caoutchouc, plastique” (4,3 %).

Une efficacité et une efficience contestées

Depuis 2008 et à mesure que son coût pour les finances publiques s’est alourdi, le CIR a fait l’objet de plusieurs études d’impact et s’est invité au cœur des débats. Le rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) met en avant les effets positifs mais modérés du CIR sur la R&D. Selon lui, les impacts statistiques et quantitatifs sont significatifs. Le CIR a notamment incité les entreprises, en particulier les PME, à accroître leur niveau de dépenses de R&D d’un montant à peu près équivalent à la dépense fiscale additionnelle. Néanmoins, l’absence d’études économétriques sérieuses portant sur l’élargissement du dispositif au-delà des accroissements de dépenses a été critiquée par la Cour des Comptes en 2013. À cela s’adossent des constats chiffrés, comme celui de l’Office européen des brevets, qui démontre que les brevets européens émanant d’entreprises françaises n'ont pas augmenté plus vite que ses voisins sur la même période. Au-delà de la R&D, le CIR se voulait être un élément d’attractivité fiscale, en compensant le différentiel de la France avec ses voisins européens. Il devait permettre d’attirer de nouvelles entreprises sur son sol, en retenir d’autres de s’en aller, et gripper ainsi les vagues successives de délocalisations. Ici encore, le CIR peine à démontrer son efficacité, soulignant en creux la moindre importance de l’environnement fiscal sur l’écosystème d’innovation, bien mis en évidence par la littérature économique (voir les publications de Von Zedtwitz et Gassman, Hollenstein, Belderbos et al.).  

Enfin, le CIR profite mécaniquement aux grandes entreprises, qui, si elles ne composent qu’autour de 1% des bénéficiaires, captent la majorité des créances, en raison notamment du très élevé seuil d’éligibilité au rabais de 30% fixé jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses en R&D. Or on peut raisonnablement présumer qu’en l’absence d’incitation fiscale, une part importante de ces entreprises auraient néanmoins investi une somme équivalente. À l’inverse, les PME captent moins de 32% de la créance, alors qu’elles représentent 91% des bénéficiaires. Cette situation est d’autant plus regrettable que l’efficacité du CIR se déploie de façon inversement proportionnelle à la taille des entreprises : plus les entreprises sont petites, plus l’effet de levier est important. Des rapporteurs du Sénat en 2022 estiment que pour 1 euro de CIR versé, les PME augmentent de 1,4 euros leurs dépenses de R&D. On tombe à 0,4 euro pour les grandes entreprises.

Malgré ces limites, le CIR n’a jamais été véritablement remis en question, ni même réformé depuis 2008. Et pour cause, le CIR comporte des effets positifs, comme l’a montré la CNEPI. Un exercice contrefactuel plus approfondi qui aurait pour cadre la suppression du CIR ou la réduction de son enveloppe totale permettrait sans doute de mettre en évidence la criticité du CIR pour le tissu économique. Il n’en demeure pas moins que le dispositif pourrait être repensé, à enveloppe constante, c’est-à-dire sans engager de dépenses supplémentaires, de façon à corriger les effets de distorsion qui agissent en faveur des grandes entreprises au détriment des PME, dont l’impact marginal sur l’innovation est pourtant supérieur.

Le difficile verdissement du CIR

Dans son projet de loi Industrie verte, le gouvernement n’a pas souhaité envisager un verdissement du dispositif, pourtant fréquemment cité comme l’une des pistes de réflexion. Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoire sur la fiscalité et l’innovation, deux logiques étaient avancées pour faire du CIR un outil de transition écologique. L’une, coercitive, aurait cherché à conditionner l’octroi des créances à l’absence d'incidence néfaste sur l’environnement d’un projet de recherche. L’autre, plus incitative, aurait visé  à introduire un taux majoré de CIR pour les recherches en faveur de l’environnement. Par ce mécanisme, verdir le CIR aurait donc permis de rejoindre, au moins conceptuellement, une partie de son objet d’origine, en œuvrant comme une fiscalité correctrice pour subventionner les agents qui suscitent des externalités positives, ici, des innovations vertes ou des efforts de décarbonation. Le gouvernement a opté, à la place, pour un crédit d’impôt supplémentaire, le "crédit d’impôt investissement industries vertes" (C3IV), cumulable avec le CIR, d’un montant de 500 millions d’euros annuels. Il doit servir à inciter aux investissements dans les technologies vertes et être ciblé sur le photovoltaïque, l’éolien, les pompes à chaleur et autres batteries. À noter toutefois que seront exclus de son périmètre l’industrie du nucléaire et les solutions de stockage carbone. Le gouvernement compte financer ce nouvel instrument à coût constant. Il envisage à cette fin, de viser les niches fiscales brunes, soit jugées défavorables à l’environnement. Sans être précisément arrêtées, plusieurs pistes semblent être à l’étude, en particulier le relèvement de certains taux réduits de Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), comme l’avantage fiscal sur le gazole non-routier utilisé par les entreprises du BTP. 

De façon plus opérationnelle, établir une taxonomie des investissements en matière de recherche pour distinguer les dépenses vertes de celles qui ne le sont pas, semble délicat. Elle demande une agilité intellectuelle, scientifique et doctrinale sur les sujets environnementaux dont ne semblent pas faire montre les administrations ou les entreprises aujourd’hui. La difficulté procéderait notamment de l’application d’un cadre d’analyse binaire "vert ou pas vert", alors que sur le spectre économique figurent des secteurs qui ne relèvent ni de l’un, ni de l’autre, comme la santé ou la défense. Derrière, elle présuppose des capacités de contrôle fiscal étendues, et qui font déjà défaut à l’actuel CIR, ainsi que la mise en place d’un cadre d’analyse économique ex-post de l’impact de la réforme. Enfin se poserait le sujet de la compatibilité avec le régime des aides d’État de l’Union européenne. L’établissement d’un CIR vert risquerait de déclencher une nouvelle examination du dispositif par la Commission, et supposerait donc de mener en amont une étude juridique approfondie.

La crainte la plus importante qui couve derrière la décision de ne pas toucher au CIR tient en réalité dans la dépendance actuelle du tissu économique au dispositif, en particulier des PME et ETI. Pour une partie d’entre-elles dont le résultat net était égal voire inférieur au montant du CIR, la crise pandémique a accentué les difficultés de trésorerie. Une refonte “verte” du CIR les mettrait en grande difficulté, et compter sur elles pour assurer seules, en bonne intendance, les impératifs de transformation des modes de production n’est  pas raisonnable, d’autant qu’elles sont souvent sous-capitalisées et n’ont pas la taille critique nécessaire. La décarbonation de l’industrie relève de la transition structurelle, et s’inscrit dans le temps long. La métrique temporelle est donc centrale ici, car une refonte trop brutale du CIR risquerait de briser le tissu productif avant-même qu’il n’ait eu le temps de se verdir, et de rendre caduques les efforts de réindustrialisation. C’est dans un second temps que le CIR gagnera à être progressivement détourné des activités les plus polluantes, et que devront être mises sous contrainte les entreprises réfractaires. En adossant cette réalité à l’avantage plus important que tirent les grandes entreprises, on pourrait imaginer une refonte du CIR qui imposerait un "critère vert" ou "non-brun" pour les plus grands groupes, donc fléché sur le chiffre d’affaires et dont seraient mécaniquement exemptées les PME/ETI. D’autres voix s’opposent à toute perspective de verdissement du CIR, arguant de l’incompressible incertitude quant à la nature des innovations qui permettront de décarboner demain. Les efforts de recherche et d’innovation se déploient également dans la recherche fondamentale, qui est publique, et que l’on pourrait songer à subventionner davantage, en coupant d’autres dépenses moins utiles. Par ailleurs, verdir le CIR viendrait brouiller le signal-prix, seul véritable outil économique en mesure d’infléchir les agents vers la transition.

 

Copyright Image : Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Sur cette photo prise le 22 juin 2021, un technicien remplit des flacons avec une solution liquide pour séparer les terres rares des déchets miniers au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) à Orléans, dans le centre de la France.

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