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17/12/2015

Comment l’Europe peut-elle contribuer à la stabilisation et la sécurité dans son voisinage ? L’exemple de l’Afrique [Compte-rendu]

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Comment l’Europe peut-elle contribuer à la stabilisation et la sécurité dans son voisinage ? L’exemple de l’Afrique [Compte-rendu]
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Dans le cadre de l'édition 2015 du Forum de Genshagen pour le dialogue franco-allemand (26 et 27 novembre) consacré au thème "la politique de sécurité européenne à la hauteur des défis du futur ? Jalons pour les 20 prochaines années",  l'atelier - "Comment l'Europe peut-elle contribuer à la stabilisation et la sécurité dans son voisinage ? L'exemple de l'Afrique" réunissait Damien Helly, directeur adjoint du programme "EU External Action Programme", European Centre for Development Policy Management (ECDPM), Maastricht, Serge Michailof, chercheur associé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), administrateur du Gret, Paris, Helmut Frietzsche, colonel, chef de département, Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ministère fédéral de la Défense, Berlin, il était modéré par Ronja Kempin, Senior Fellow, groupe de recherche "Union européenne / Europe", Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), Berlin.

La position stratégique et diplomatique de l’Union européenne vis-à-vis de l’Afrique est duale. S’il existe un consensus, tant du côté européen que du côté africain, sur la nécessité d’apporter aux Africains des solutions africaines à la résolution des problématiques sécuritaires du continent, les États membres ne parviennent pas s’accorder sur la forme que doit prendre leur implication militaire sur le terrain. Engagement unanime ? Solutions bilatérales ? Dans l’UE à 28, le niveau pertinent d’intervention reste difficile à définir, de même que les moyens à y consacrer. Il est pourtant urgent de trouver des solutions pour faire face aux nouvelles menaces qui planent sur toute une partie du continent (terrorisme, crime organisé, corruption, etc.). Le maintien de la sécurité, le déploiement de forces armées, mais aussi la formation, tant policière que militaire, des troupes africaines sont autant d’enjeux auxquels les Européens échouent à répondre de façon coordonnée. Ces enjeux doivent, par ailleurs, se concilier avec les problématiques d’aide humanitaire et d’aide au développement, axes prioritaires de la politique européenne en Afrique. Ainsi, quels formats l’UE doit-elle privilégier pour ces interventions ? Comment concilier politique de développement et aide au maintien de la sécurité ? Enfin, quel "livre blanc de la défense européenne" peut-on construire autour de ces enjeux ?

Entre armée européenne et opérations bilatérales : quelles alternatives ?


Le Sahel, l’Afrique du Nord et la corne de l’Afrique sont ébranlés par des crises qui menacent la sécurité et la stabilité du continent. L’avancée de Daech en Lybie, la prise d’otage de l’hôtel Radisson à Bamako ou les exactions de Boko Haram au Nigéria sont autant de menaces, prolixes et diffuses, qui concernent directement l’Union européenne. Pourtant, malgré l’ambition commune de maintenir la sécurité sur ces territoires, les États membres ne parviennent pas à agir de façon coordonnée sur le continent. Trop souvent encore, les initiatives demeurent unilatérales, à l’image des missions menées par la France dans la bande sahélo-saharienne. Le cadre européen, lourd et contraignant, souffre d’un manque de volonté politique doublé d’un manque de vision stratégique.

Les possibilités d’intervention européenne sont pourtant nombreuses : du déploiement de forces européennes armées, sous la forme de "Battle groups", à des services de conseil à destination des polices locales en passant par l’aide aux missions civiles. Ces interventions ne suscitent, néanmoins, pas l’égale adhésion des États membres. Leur réticence est d’ailleurs souvent partagée par les États africains eux-mêmes. En effet, certains pays perçoivent d’un mauvais œil l’installation de troupes européennes sur leur territoire et craignent que cela ne soit les prémisses d’une forme de contrôle imposée par les Européens. À cette politique parfois jugée "intrusive" peut se substituer une logique "de pilotage". Plutôt que de déployer une "armée européenne", dont l’existence même est toujours en question, l’Union pourrait privilégier l’accompagnement des gouvernements et des populations vers davantage de sécurité. Les opérations militaires menées dans le cadre d’une réponse européenne unanime ont d’ailleurs portées peu de fruits. L’exemple de l’Afghanistan est, à ce titre, particulièrement éclairant. Pays le plus aidé au monde entre 2008 et 2013, l’Afghanistan n’a pourtant pas bénéficié des résultats escomptés en termes de stabilisation et de sécurité. Les troupes étrangères installées en Afghanistan ont en effet, très vite été perçues comme des troupes d’occupation. Démontrant ainsi que la solution militaire ne peut être l’unique composante d’une politique de sécurité et de défense efficiente. Ajoutons enfin que cette politique doit être consubstantielle aux autres missions menées par l’UE en Afrique, dont la coopération pour le développement représente le principal pendant.

Quelle articulation entre aide au développement et renforcement de la sécurité ?


Les États membres de l’UE sont les premiers pourvoyeurs d’aide au développement sur le continent africain. L’Union européenne, qui finance 80 % du budget de l’Union africaine (plus de 300 millions de dollars de budget annuel), dispose de plusieurs instruments financiers pour la coopération. Le plus important d’entre eux, le fonds européen de développement (FED), fondé sur l'accord de Cotonou, s’élève à 31,5 milliards d'euros pour la période 2014-2020 . La contribution de l’Union à la stabilisation et à la sécurité du continent arrive en seconde position. Depuis 2004, l'UE a ainsi contribué à hauteur de 1,1 milliard d'euros au maintien de la paix en Afrique . Le programme Paix et sécurité, partie intégrante de la stratégie commune Afrique-UE, a soutenu différentes opérations militaires (EUTM Somalie depuis 2010, EUTM Mali depuis 2013) et civiles (EUCAP Niger / Sahel depuis 2012).

Sans remettre en cause la pertinence d’une telle répartition, il est important d’en soulever les dysfonctionnements. Tout d’abord, le risque d’une "compétition" entre les différents acteurs présents sur le terrain est réel. À ce risque de confusion, s’ajoute celui d’une mauvaise coordination entre aide au développement et aide au maintien de la sécurité. En effet, sans une structure étatique stable et un climat politique favorable, il est extrêmement délicat de structurer une aide humanitaire viable et pérenne. Sans prioriser ni hiérarchiser l’agencement entre ces deux formes d’aide, il est nécessaire de concilier ces deux politiques, qui ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre. La sécurisation des régions du nord de l’Afrique semble constituer un préalable à une aide au développement efficace. L’ajustement des crédits entre ces deux politiques doit donc se faire en ayant toujours à l’esprit les particularismes et les besoins locaux. Au Nigéria, par exemple, alors que le pays est la première économie d’Afrique, on voit se développer une vaste zone d’insécurité. La mauvaise allocation des aides est tenue pour partie responsable de ces désordres. Alors que la situation agricole y est extrêmement préoccupante, entraînant avec elle une forte misère rurale, source d’instabilité, peu d’aides y sont directement consacrées. L’absence de diagnostic et l’allocation hasardeuse des crédits ne permettent pas de combler le vide sécuritaire ni de contribuer efficacement au développement du pays.

Quel contenu pour le livre blanc de la défense européenne ?

Ce qu’il manque à la politique de sécurité et de défense de l’UE sur le front africain, c’est une véritable stratégie. Le déploiement de forces armées, à la hâte et sans définition préalable de priorités communes, a conduit à l’échec de nombreuses opérations. Si les États membres ont consacré de nombreuses réflexions à leurs valeurs communes, ils doivent aujourd’hui parvenir à la définition d’intérêts communs. Les institutions existantes doivent aussi être renforcées ; plutôt que de multiplier les structures, il s’agit désormais de consolider celles qui existent déjà et d’en tirer le meilleur parti, notamment stratégique. L’UE, si elle ne peut être directement opérationnelle, jouit par ailleurs de nombreux atouts d’expertise. Elle peut donc aider à la formulation de diagnostics qui seront essentiels pour une meilleure allocation des ressources. Sa capacité d’analyse peut aussi, dans ces régions, être infiniment plus porteuse que son seul soutien financier. Enfin, l’Union doit être capable de fédérer ses membres autour de projets communs et de développer ainsi une véritable politique étrangère européenne. La stabilité et la sécurité de ces régions sont un bien public mondial autant qu’ils sont la clé d’une partie de la sécurité internationale et doivent donc être conçus et financés à l’échelle mondiale.


Aller plus loin :
Penser l’Europe de la défense au Forum de Genshagen
L’Europe bénéficie-t-elle d’une organisation de sa sécurité à géométrie variable ? [Compte-rendu atelier 1]
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