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02/11/2010

Claude Bébéar : "Il y a une religion de la retraite dont on peine à sortir"

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Claude Bébéar :
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Retraites, emploi des jeunes, fiscalité, modèle économique... Claude Bébéar, président de l’Institut Montaigne, s’est exprimé sur les grands enjeux auxquels la France est confrontée dans une interview livrée au Monde (édition du 31/10 – 01/11). Retrouvez l’intégralité de ses propos recueillis par Françoise Fressoz et Philippe Le Cœur, alors que l’Institut vient de publier son Rapport 15 propositions pour l’emploi des jeunes et des seniors.

Comprenez-vous la résistance des Français à la réforme des retraites ?

A vrai dire non. Il me semble que des évidences démographiques s’imposent. Quand le système de retraite a été créé en 1945, il y avait, pour le financer, quatre actifs pour un retraité et la durée de vie, après la retraite, n’était que de deux ans. Aujourd’hui, on compte moins de deux actifs pour un retraité et la durée de vie après la retraite s’est considérablement allongée. Quelqu’un qui a 67 ans a une durée de vie et donc de retraite identique à celle qu’avait une personne de 60 ans en 1981. Les données démographiques bouleversent tout. C’est simple à comprendre et pourtant la question de l’âge de la retraite est devenue un combat idéologique.

Qu’est-ce qui a coincé ? La méthode ?

Nicolas Sarkozy a voulu aller vite. Il considère que, si on ne fait pas les réformes dans un certain laps de temps, on ne les fait jamais. De plus, la crise financière a créé une obligation de s’attaquer tout de suite à la réduction des déficits. M. Sarkozy a cru que le dossier des retraites était déjà bien préparé. C’est vrai que le sujet ne date pas d’aujourd’hui. Il y a trente ans, nous, les assureurs, avions confié à deux jeunes économistes, Denis Kessler et Dominique Strauss-Kahn, une étude sur le financement des retraites. Ils concluaient à la nécessité de créer des fonds de pension. Mais la culture économique reste faible dans notre pays. Il faut prendre le temps d’expliquer. Et les Français ont une relation très particulière au travail. Ils sont productifs, appréciés comme tels à l’étranger. En même temps, ils dénigrent le travail, se disent fatigués, aspirent aux congés, à la retraite. Au Canada, aux Etats-Unis, jamais vous n’entendrez un tel discours.

A quoi cela tient-il ?

Avoir mis la retraite à 60 ans en 1981 a créé une sorte de religion de la retraite dont on peine à sortir. Martine Aubry a commencé par parler de la retraite à 62 ans avant de revenir aux 60 ans. Elle connaît pourtant suffisamment bien le dossier pour savoir que ça ne tient pas la route.

Vous niez qu’il y ait du stress au travail, de la pénibilité ?

Il y a plus de stress qu’avant, mais moins de pénibilité, en tout cas globalement. Pour la pénibilité, le gouvernement aurait dû laisser faire les partenaires sociaux, rendre obligatoire l’ouverture de négociations, comme pour les salaires, et pousser à des accords d’entreprise. La pénibilité varie dans le temps, d’une entreprise à l’autre et au sein d’une même entreprise. Il faut l’appréhender dans ce cadre-là. Et si elle est reconnue, l’entreprise doit verser un salaire différé sur un compte de capitalisation.

La capitalisation, c’est votre dada !

Il en faudra, c’est une évidence ! La réforme qui vient d’être votée est en réalité une réforme insuffisante. En raison des déséquilibres démographiques, beaucoup d’autres s’imposeront. La CFDT prône un changement de système, elle milite pour la retraite par points. J’y suis favorable. L’Institut Montaigne défend cette idée depuis longtemps. Notre système de protection sociale est devenu opaque. On ne sait pas ce qui relève de l’assurance et ce qui relève de la solidarité, on empile les mesures. C’est vrai pour la retraite comme pour la santé.

Avec la retraite par points, tout devient plus lisible : je travaille, j’ai des points qui m’assurent un salaire différé. La valeur du point dépend de l’équilibre actifs/retraités. On la fixe pour un âge pivot, 60, 62, 65 ans, peu importe. Je peux prendre ma retraite avant. Dans ce cas, la valeur du point est plus basse et je cesse d’acquérir de nouveaux points. Je peux la prendre après, elle est plus haute et j’ai acquis plus de points. C’est le libre choix.

A côté, on organise un système de solidarité qui donne des points supplémentaires à telle ou telle catégorie de salarié qui connaît des difficultés. Et vous complétez le tout par un système d’épargne individuelle.

Est-ce vraiment nécessaire ?

On n’a pas idée de ce que peut être l’allongement de la durée de la vie humaine. L’INSEE parle de 200 000 centenaires à l’horizon 2060, mais le professeur Beaulieu pense que nos enfants pourraient très bien vivre cent quarante ans.
Comment les générations futures pourront-elles supporter une telle charge ? Certains pays sont obsédés par cette incertitude. En Australie, on vous oblige à mettre de côté 6 % de vos rémunérations tous les ans pour garantir votre retraite. En France, la capitalisation est indispensable en complément de notre système de solidarité entre générations qui consiste à faire payer nos retraites par nos enfants, nos petits-enfants et, bientôt, par nos arrière-petits-enfants.

Vous savez bien que les fonds de pension restent en France très impopulaires…

C’est vrai et ça reste pour moi un mystère. Les syndicats y sont décisionnaires. Ils disposent d’un pouvoir de gestion financière. Je ne comprends pas qu’ils soient contre ce concept. Je reconnais en revanche qu’il y a un problème de réglementation. Les engagements d’un fonds de pension courent sur trente à quarante ans. Les gestionnaires qui s’en occupent sont payés au résultat instantané, ça ne peut pas marcher.

Un tiers des Français auront plus de 60 ans en 2060. Comment éviter que la société arbitre en faveur des « vieux » ?

Ma réponse : le vote obligatoire. c’est la seule façon d’obliger les jeunes à voter. Sinon les choix politiques, budgétaires, fiscaux se feront systématiquement en faveur des plus âgés. Le grand danger, c’est la démagogie. Il faut intéresser les jeunes à la politique.

Laurence Parisot estime que les entreprises ne sont pas responsables de la mauvaise insertion des jeunes sur le marché du travail. Partagez-vous son avis ?

Non, nous sommes tous responsables de cette situation. Et les entreprises sont de plus en plus nombreuses à reconnaître qu’elles ont une responsabilité sociétale.

Les difficultés que connaissent les jeunes ont des causes multiples, qui tiennent à l’éducation, aux erreurs d’orientation, au mauvais fonctionnement du marché du travail, à cette stupidité que représente le contrat à durée déterminée, devenu le moyen d’utiliser le personnel comme variable d’ajustement. Il faut le supprimer et le remplacer par un contrat de travail unique, avec des droits renforcés au fil des ans.

Pour créer un électrochoc, certains évoquent l’idée de quotas de jeunes en entreprise. Je n’y suis pas hostile à condition que le système soit temporaire. Et surtout qu’on ne vienne pas faire dire aux entreprises : vous prenez des jeunes ou vous payez une pénalité financière. C’est dévalorisant. François Hollande propose un contrat entre les générations : l’entreprise garde un travailleur âgé qui sert de tuteur à un jeune. Elle ne paie pas de cotisations sociales sur les deux emplois…

L’idée est bonne, mais j’ai des réserves sur les allégements de charges sociales. Elles financent la protection sociale, pourquoi l’Etat les allégerait-il ? S’il veut agir, qu’il passe par l’impôt en baissant le taux d’imposition des entreprises qui s’engagent.

Quel regard portez-vous sur la situation économique ?

Nous ne sommes pas si mauvais que cela. Mais le modèle français doit évoluer. Il est trop rigide, pas assez transparent, et nous sommes en train de perdre de la compétitivité. Il faudrait tailler plus vigoureusement dans les dépenses publiques et les niches fiscales.

La suppression annoncée du bouclier fiscal vous émeut-elle ?

Non, pas du tout. Le bouclier a été mal fait, mal expliqué. Il n’existe que parce qu’on n’a pas osé toucher à l’impôt sur la fortune qui est un mauvais impôt : il surtaxe des biens qui ne rapportent rien. Il faut revoir toute la fiscalité du patrimoine, supprimer le bouclier fiscal et l’ISF et taxer le capital lors de la réalisation d’une plus-value ou d’une succession.

Quel regard portez-vous sur l’action de Nicolas Sarkozy ?

Il a beaucoup réformé, mais sa méthode est stressante. Or, il a une grande capacité d’explication. Tout en restant offensif, il faut qu’il adopte un style moins agressif, qu’il explique, et qu’autour de lui aussi on explique. C’est aujourd’hui possible, car les partenaires sociaux sont plus ouverts au dialogue.

Propos recueillis par Françoise Fressoz et Philippe Le Coeur

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