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23/09/2016

Brexit : trois mois après le référendum, où en est-on ?

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Brexit : trois mois après le référendum, où en est-on ?
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Par Emmanuel Moulin, Managing Director France et Benelux, Mediobanca et contributeur de la note de l'Institut Montaigne : Bremain ou Brexit : Europe, prépare ton avenir !

Le 23 juin dernier, les Britanniques ont voté à 51,9 % pour la sortie de leur pays de l'Union européenne (UE). Ce vote a entraîné la démission immédiate de David Cameron et l'arrivée le 13 juillet 2016 d'un nouveau gouvernement conservateur dirigé par Theresa May.

Boris Johnson, l’un des principaux soutiens du Brexit durant la campagne, dirige maintenant le Foreign and Commonwealth Office (ministère chargé de la politique étrangère du Royaume-Uni), tandis que David Davis occupe le nouveau poste de Secretary of State for Exiting the European Union (Brexit Secretary).

Côté européen, Michel Barnier dirigera les négociations pour la Commission européenne et le belge Didier Seeuws aura la charge de la « task force sur le Brexit » du Conseil européen.

Le commissaire européen britannique, Jonathan Hill, a quant à lui démissionné quelques jours seulement après le référendum et le diplomate Julian King vient d’être nommé à sa place où il aura la charge de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme et le crime.

Le 29 juin 2016, quelques jours seulement après la tenue du référendum, les 27 Etats membres européens ont tenu une réunion informelle en l’absence de leur partenaire britannique. A cette occasion, ils ont affirmé leur volonté de respecter la décision du peuple britannique et d’attendre la notification officielle de la part du Royaume-Uni de sa volonté de quitter l’UE avant d’entamer des négociations.
 
1. En attendant l’activation de l’article 50

Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Theresa May continue de répéter que « Brexit means Brexit ». Cependant, le vote en faveur du Brexit a pris par surprise ses partisans qui n’avaient aucun plan préparé. Le Royaume-Uni est donc de moins en moins enclin à activer rapidement l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE) avant d’avoir clarifié sa stratégie. En attendant le lancement des négociations et durant les deux années prévues pour celles-ci, le Royaume-Uni demeure un Etat membre à part entière de l’UE et peut donc continuer à faire valoir ses droits dans chacune des institutions européennes.

Dans la note de l’Institut Montaigne, Bremain ou Brexit : Europe, prépare ton avenir !, nous demandons la mise en réserve immédiate des députés européens britanniques. En effet, leur maintien en poste pose problème puisqu’ils peuvent être tentés de favoriser le statut des Etats tiers dans la législation en anticipation du statut futur du Royaume-Uni. De même, le maintien en poste des fonctionnaires britanniques au sein des institutions européennes ainsi que la nomination d’un nouveau commissaire paraît pour le moins problématique.
 
2. Le risque économique à moyen terme

Le Royaume-Uni étant toujours membre de l’UE, la réglementation européenne continue à s’y appliquer pleinement. Dans les faits, le vote du 23 juin dernier n’a donc en rien modifié la capacité du Royaume-Uni à commercer avec ses voisins. Néanmoins, de nombreux commentateurs et analystes prévoyaient avant la tenue du référendum des conséquences économiques néfastes dans les mois qui suivraient un éventuel vote en faveur du Brexit.

A posteriori, l’économie britannique semble avoir bien résisté au vote du Brexit. L’intervention de la Banque d’Angleterre ainsi que la dévaluation de la livre sterling face à l’euro et au dollar peuvent en partie expliquer ce maintien de la croissance. En outre, l’absence d’un calendrier de négociation et d’un horizon défini de sortie du Royaume-Uni rend possibles toutes les spéculations et incite les acteurs économiques à adopter une posture attentiste.

Toutefois, c’est dans la durée que les conséquences du vote se feront sentir. Le report des décisions d’investissement devrait commencer à impacter l’activité économique en 2017. Le risque d’une possible récession économique s’accentuera à mesure que les négociations sur le futur accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE approcheront de leur terme. Les conséquences de ce nouvel accord sur le volume des flux économiques entrants et sortants du Royaume-Uni préoccupent Londres en premier lieu, mais également l’UE, ses Etats membres et de nombreux Etats tiers. A titre d’exemple, lors du G20 de Huanghzou, en Chine, le 5 septembre dernier, Shinzo Abe, Premier ministre japonais, a remis un document de 15 pages à son homologue britannique : "Japan's message to the UK and the EU", la mettant en garde contre la possibilité pour les entreprises nippones de quitter le Royaume-Uni si celui-ci ne conservait pas un accès direct au marché intérieur européen.

3. Vers un nouvel accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne

Par leur vote, les Britanniques ont exprimé leur souhait de recouvrer le contrôle de leur réglementation et de leur législation ainsi que de limiter la circulation des individus entre l’UE et leur territoire.

Dans les négociations qui s’ouvriront – tôt ou tard – avec l’UE, Theresa May devra donc préserver au maximum l’ouverture du marché intérieur européen aux entreprises britanniques tout en garantissant aux électeurs du Brexit que la réglementation européenne ne primera plus sur la réglementation britannique et que la libre circulation des travailleurs – principe fondamental du marché intérieur européen – cessera de s’appliquer pour le Royaume-Uni.
 
       a. Le commerce des biens et des services
 
Londres a le choix entre rejoindre l’Espace économique européen (EEE), négocier un accord bilatéral sur le modèle de ceux conclus entre l’UE et la Suisse, la Turquie et le Canada, ou se contenter des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Au regard des attentes des électeurs britanniques, seul un accord bilatéral ad hoc permettra au Royaume-Uni de conserver sa capacité à édicter sa propre réglementation et de limiter la circulation de citoyens européens sur son territoire, tout en offrant un certain niveau d’intégration économique entre les deux zones. A fortiori, un tel accord devrait mettre fin à toute participation du Royaume-Uni au budget de l’UE.

Néanmoins, pour parvenir à cet accord, les deux parties devront s’entendre pour assurer le maintien entre les deux zones de réglementations homogènes ou compatibles. De plus, l’UE devra se soucier de ne pas offrir au Royaume-Uni des conditions commerciales trop favorables qui pourraient remettre en cause les accords conclus avec d’autres pays de son voisinage.

Durant les négociations, le Royaume-Uni et l’UE devront analyser la réalité des échanges commerciaux entre leurs deux zones, secteur par secteur, et parvenir à un accord sur chacun d’eux. L’analyse économique détaillée des flux économiques permettra de déterminer les intérêts offensifs et défensifs respectifs, ainsi que les secteurs dans lesquels les chaînes de valeurs sont entièrement imbriquées entre les deux rives de la Manche.
 
       b. Les services financiers
 
Le secteur des services financiers sera quant à lui plus complexe à gérer pour les négociateurs. En effet, la majeure partie de l’industrie financière européenne se situe actuellement à Londres. Les Européens ont donc un intérêt offensif à ne plus offrir aux entreprises financières basées au Royaume-Uni la possibilité de commercialiser leurs services dans tout le marché intérieur. En agissant de la sorte, ces entreprises seraient obligées de rapatrier une partie de leur activité vers l’Europe continentale, au bénéfice de places financières telles que Paris, Amsterdam ou Francfort. En outre, la libre prestation de services par l’intermédiaire d’un passeport ne s’entend que si les réglementations et la supervision sont harmonisées ou au moins équivalentes dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. La volonté britannique de reprendre le contrôle de sa législation est antinomique avec la libre prestation de services.
 
Une récente étude de la Financial Conduct Authority, agence britannique de régulation du secteur financier, indique que 5 476 entreprises financières basées au Royaume-Uni bénéficient actuellement du « passeport européen » qui leur permet de proposer leur service dans toute l’UE. En comparaison, elles ne sont que 8 000 à utiliser ce passeport pour travailler au Royaume-Uni depuis les autres Etats membres.
 
Pour éviter un tel scénario, le Royaume-Uni pourrait faire valoir l’argument selon lequel sa réglementation concernant les services financiers continuerait à être identique à la réglementation européenne au lendemain de la sortie définitive de l’UE. L’agence de notation Moody’s, dans un rapport publié le 19 septembre 2016, opte pour cette solution et explique qu’en maintenant une réglementation homogène avec l’UE, le Royaume-Uni pourrait grandement diminuer les effets négatifs de la perte du « passeport européen » sur son industrie financière. Une telle éventualité suppose cependant que la Commission puisse contrôler dans la durée l’équivalence de la législation britannique dans le domaine financier, afin de se prémunir de tout « dumping réglementaire ».
 
       c. La circulation des individus
 
Près de trois millions de ressortissants des Etats membres de l’UE résident actuellement au Royaume-Uni, tandis qu’un million de Britanniques vivent actuellement au sein de l’UE. Parmi les Européens résidant outre-Manche, on compte près de 800 000 Polonais et de nombreux ressortissants des autres pays membres du groupe de Visegrad : République tchèque, Hongrie et Slovaquie.
 
Au lendemain du sommet européen de Bratislava du 16 septembre dernier, Robert Fico, Premier ministre slovaque, a annoncé que les quatre pays de ce groupe opposeraient leur veto à tout nouvel accord avec le Royaume-Uni qui dérogerait au principe européen de libre circulation des travailleurs. Ces pays souhaitent ainsi assurer à leurs ressortissants résidant au Royaume-Uni qu’ils pourront continuer à y vivre et qu’ils bénéficieront des mêmes droits que les citoyens britanniques.
 
Malgré la relation privilégiée qu’entretiennent la Pologne et le Royaume-Uni et leur alliance fréquente au sein des institutions européennes, ce sujet pourrait devenir un véritable point de discorde et compliquer encore plus les négociations vers un nouvel accord commercial.
 
4. Le renouveau des questions de défense
 
Que le Royaume-Uni soit membre ou non de l’UE ne change pas à court terme l’environnement stratégique du continent européen. Le Royaume-Uni demeure – avec la France – le principal acteur européen dans le domaine militaire. De plus, les relations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni sont florissantes dans ce domaine et ne risquent pas a priori d’être impactées par le Brexit.
 
Néanmoins, le départ du Royaume-Uni et les menaces grandissantes contre lesquelles les Etats membres européens doivent développer une stratégie ont relancé les projets de constitution d’une Europe de la défense. En effet, le Royaume-Uni est de longue date fermement opposé à l’avènement d’une Europe continentale unifiée militairement. 
 
La France et l’Allemagne ont ainsi présenté à Bratislava une feuille de route prévoyant la mise en œuvre de possibles opérations extérieures décidées par l’UE, un renforcement de la coopération industrielle et technologique ou encore la création d’un quartier général européen. Fidèle à ses vues stratégiques, le Royaume-Uni a rapidement fait savoir par la voix de son ministre de la Défense qu’il opposerait son veto à ce projet tant que son pays sera membre de l’UE.

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