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14/04/2010

Bouclier fiscal : faux problèmes et vrais enjeux

Bouclier fiscal : faux problèmes et vrais enjeux
 Frédéric Bonnevay
Auteur
Economiste, Associé chez Anthera Partners

Les lois de la gravité budgétaire auront finalement repris leurs droits. Le financement du Plan de relance, les transferts de dettes privées au bilan public, la chute des recettes fiscales occasionnée par la baisse de l’activité ont durablement grevé les comptes de l’État et fortement alourdi sa dette. Les modalités de comblement des déficits se trouvent aujourd’hui au cœur du débat.

Le bouclier fiscal, mesure emblématique de la première moitié du quinquennat, est violemment remis en cause.

Le plafonnement des prélèvements individuels que cet instrument prévoit n’est-il pas incompatible avec la nécessaire hausse des recettes de l’État ? Cette autolimitation de la fiscalité n’impose-t-elle pas un fardeau trop lourd à notre économie, confrontée à une reprise encore fragile, à une création d’emplois hésitante et à des marchés de capitaux sous tension ? Pire encore, le bouclier fiscal ne déporte-t-il pas la charge de l’impôt vers les contribuables aux revenus les plus faibles, ajoutant ainsi l’injustice à l’inefficacité ?

Les enjeux sont trop importants pour qu’une lecture aussi simpliste soit suffisante. Le bouclier fiscal, à sa création, répondait à des exigences économiques parfaitement légitimes. L’impôt, tout d’abord, est affaire de taux mais aussi d’assiette. Un taux excessif – éventuellement confiscatoire – est nécessairement perçu comme inique : l’introduction d’un seuil maximal garantit symboliquement l’équitable rémunération du travail. A défaut, les contribuables aux revenus les plus élevés seraient contraints de réduire leurs efforts – devenus trop peu productifs – ou de les mettre à profit hors de nos frontières. Plus qu’un simple "cadeau fiscal" aux ménages les plus aisés, le bouclier était avant tout conçu pour pallier un défaut d’incitation et endiguer l’exil des plus hauts potentiels : son impact net sur les comptes publics devait donc, en théorie, être largement positif.

Qu’en est-il de sa mise en œuvre ? Les statistiques dont nous disposons permettent de valider deux points essentiels : sa relative innocuité budgétaire et son effet probablement bénéfique sur les incitations individuelles. Le bouclier fiscal aurait coûté environ 250 millions d’euros en 2006, 580 millions d’euros en 2007 et en 2008, chiffres à comparer au volume total des niches fiscales, proche de 75 milliards d’euros – à titre d’exemple, c’est plus d’une fois et demie les intérêts dus au titre de la dette de l’État français et plus de deux fois l’Emprunt national. Chiffres à comparer également aux 2,4 milliards d’euros que coûterait la baisse de la TVA sur la restauration (certes, marginalement génératrice d’emploi).

Les gains indirects, par ailleurs, pourraient être considérables. Si la crise financière de 2008 a largement changé la donne et les rend encore difficiles à mesurer, un constat s’impose : la fiscalité française n’a pas été suffisamment attractive pour enrayer l’expatriation d’environ 130 milliards d’euros de patrimoine imposable entre 1997 et 2006. Cette perte de recettes pourrait se révéler particulièrement douloureuse, à l’heure où la France et ses partenaires européens entament un lent et douloureux processus de désendettement. Le bouclier fiscal était censé contrer ce phénomène.

Comment expliquer, alors, que le nombre des expatriations fiscales ait augmenté de 17% entre 2007 et 2008 ? Le bouclier fiscal ne remplirait-il pas sa fonction ? Tout au contraire, n’est-ce pas plutôt sa fragilité et son avenir très incertain qui en seraient la cause ? Alors que la vocation du bouclier fiscal était de rendre l’impôt plus équitable et performant, le vif antagonisme dont cette mesure fait aujourd’hui l’objet risque de la transformer en une réponse terme à terme à l’ISF : tout aussi symboliquement sensible et tout aussi peu efficace. L’ISF a rapporté 3,8 milliards en 2008 à l’Etat et aurait vraisemblablement provoqué des pertes de recettes supérieures à 15 milliards. Son rendement global est négatif, tendance qu’un bouclier ouvertement en sursis serait inapte à inverser. Le résultat net serait une perte de confiance des contribuables dans la pérennité de notre politique fiscale, devenue largement illisible, stimulant ainsi les sorties d’actifs.

La controverse actuelle autour d'une possible suppression du bouclier fiscal risque d'en faire le point focal d'une dispute stérile. Le coût très limité de cet instrument – et, corrélativement, les bénéfices très faibles liés à son éventuelle suppression –, ses avantages économiques clairs – directs ou indirects – devraient lui donner toute sa pertinence, en vue d’un retour à la rigueur budgétaire. Des aménagements sont certes possibles ; une élimination conjointe de l’ISF et du bouclier pourrait même être éventuellement envisagée. Mais une suppression simple du bouclier fiscal nuirait à la crédibilité de l’Etat et pourrait distraire l'action gouvernementale de sa véritable mission : la mise au point d'un impôt plus lourd mais moins pesant, capable de draîner des recettes plus importantes sans brider l'investissement et la croissance.


Pour aller plus loin sur l'ISF, lire Supprimer l'ISF… pour faire payer les riches (en France !) (Institut Montaigne, novembre 2007)

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