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19/10/2017

Réforme de l’assurance-chômage, une hydre à trois têtes ?

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Réforme de l’assurance-chômage, une hydre à trois têtes ?
 Leïla Ferrali
Auteur
Chargée d'études - Education, Emploi

Après la publication des ordonnances, le gouvernement a entamé la nouvelle phase de concertation avec les partenaires sociaux. À l’ordre du jour : réformes  de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage. Cette dernière fait l’objet de nombreux débats. Et pour cause : la situation financière de ce régime ne cesse de se dégrader. Les discussions avec l’exécutif seront d’autant plus délicates que ce sont les partenaires sociaux eux-mêmes qui pilotent l’Unédic et doivent en assurer la bonne gestion. Quelles sont les différentes pistes d’action pour le futur de l’assurance-chômage ? Décryptage.

Universaliser le droit à l’assurance-chômage

Le président de la République avait annoncé lors de sa campagne son souhait de réformer le système d’assurance-chômage afin d’insuffler davantage d’équité et de fluidité sur le marché du travail. Cette transformation doit permettre d’adapter le régime aux nouvelles mutations du travail. Le gouvernement souhaite ainsi aller vers une universalisation de l’assurance-chômage, et étendre les droits aux salariés démissionnaires de même qu’aux travailleurs indépendants. 

Selon les estimations, l’extension à ces deux catégories d’actifs s’avère coûteuse. Elle soulève de nombreux enjeux qui devront faire partie intégrante des concertations. En premier lieu, les échanges porteront sur la soutenabilité financière du système d’assurance-chômage et amèneront à un débat plus large sur sa gouvernance. Viendront ensuite les discussions sur les modalités pratiques de l’élargissement du régime aux salariés démissionnaires et aux travailleurs indépendants. 

Bien que le nombre de travailleurs indépendants ait été divisé par deux depuis les années 1970, sous l’effet de la disparition des petites exploitations agricoles et du développement de la grande distribution, ils représentaient en 2014 10,6% de la population active. Portée par la nouvelle génération d’auto-entrepreneurs et l’essor de l’économie de plateforme, cette catégorie d’actifs incarne des réalités nouvelles dans le travail : pénibilité, fluctuation de l’activité, dépendance à la viabilité des plateformes, etc. Le gouvernement souhaite tenir compte de ces transformations au sein du régime général d’assurance-chômage. 

Quel coût ? Quel chiffrage ? 

La question du coût d’une telle réforme est au centre de l’attention, puisque les estimations réalisées jusqu’à ce jour, bien qu’elles gagnent à être précisées, se situeraient bien au-delà du milliard d’euros annoncé par le candidat Emmanuel Macron. Le travail de chiffrage des programmes des candidats à la présidentielle de 2017, réalisé par l’Institut Montaigne, avait estimé le coût d’une telle réforme à 2,7 milliards d’euros. Des estimations internes du Ministère du Travail ont même récemment avancé un montant situé entre 8 et 14 milliards d’euros. 

De nombreux scenarii sont envisageables, selon les paramètres introduits au sein des différents modèles d’estimation : instauration d’un délai de carence, conditions d’indemnisation moins généreuses en cas de démission, etc. Les risques d’aléa moral, ou d’effet d’aubaine, que pourraient induire l’ouverture des droits aux démissionnaires, restent très difficiles à évaluer, selon de nombreux économistes. 

Le gouvernement, au regard du coût important d’une telle réforme, entend notamment renforcer les procédures de contrôle de recherche d’emploi. Il oppose ainsi aux critiques un nombre croissant de démissions déguisées sous la forme des ruptures conventionnelles, qui grossissent le nombre de bénéficiaires des allocations chômage. Ces ruptures conventionnelles avoisinaient les 390 000 en 2016, contre 320 000 en 2012, selon les données statistiques de la DARES. 

Quel impact pour la gestion du régime ?

Aujourd’hui, le régime d’assurance-chômage est géré de façon paritaire. Cela signifie que la gouvernance de l’association qui pilote ce régime, l’Unedic, est assurée par les partenaires sociaux, organisations syndicales d’une part et patronales d’autre part. En théorie, l’État n’a donc pas la main sur le pilotage du régime : il laisse syndicats et patronat s’organiser pour définir les paramètres du régime et garantir sa viabilité financière. Les partenaires sociaux établissent ces règles pour au moins deux années dans le cadre de la convention d’assurance-chômage. La dernière a été adoptée le 1er octobre 2017

Or, cette convention est agréée par le gouvernement, ouvrant ainsi la voie à une certaine ingérence de l’exécutif dans la gestion du régime. Ainsi, les négociations portant sur l’assurance-chômage sont souvent encadrées par l’État, qui fait face à la tentation d’influencer les décisions en fonction de l’agenda électoral. Aussi évoque-t-on un “tripartisme de fait” pour caractériser cette triangulation entre pouvoirs publics et partenaires sociaux.

L’étatisation de l’assurance-chômage, telle que portée par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, devrait donc permettre de sortir de ce paritarisme de façade pour acter la gestion du régime par l’État. Mais elle acterait surtout pour les partenaires sociaux la dépossession de cette mission qui leur est confiée depuis la convention collective nationale interprofessionnelle conclue le 31 décembre 1958. Il s’agit donc d’une remise en question d’un pilier essentiel du paritarisme de gestion.

Une transformation radicale est indispensable

La transformation très ambitieuse que porte l’exécutif vise à donner tous les leviers aux pouvoirs publics pour piloter efficacement les politiques de l’emploi. Deux éléments de contexte contribuent à en justifier la pertinence : d’une part, la persistance d’un chômage structurel - dont le taux n’est pas encore descendu en-dessous de 7 % depuis 30 ans - incite le gouvernement à engager des mesures radicales ; d’autre part, l’endettement de l’Unedic rend inévitable une réforme en profondeur de la gouvernance du régime.

L’Unédic, de déficit en déficit 

L’Unédic connaît en effet des déficits répétés depuis dix ans. Sa dette cumulée se détériore d’année en année. Malgré l’impact positif attendu à la suite de l’entrée en vigueur de la dernière convention, et des conditions macroéconomiques favorables au retour d’une croissance durable, la dette de l’Unédic qui s’élevait en 2008 à 5 milliards d’euros, devrait se situer selon les projections de l’Unédic à 39,1 milliards d’euros en 2020
 
Or, comme précédemment énoncé, la réforme envisagée par le gouvernement a un coût non négligeable. Bien que de nouvelles estimations préciseront prochainement le chiffrage, il est évident qu’une refonte du système ne devrait pas davantage pénaliser le bilan financier de l’organisme. 

Quelle place les partenaires sociaux peuvent-ils donc occuper dans ce nouveau dispositif ? C’est tout l’objet des concertations qui ont commencé depuis dix jours. 

Dans le rapport Dernière chance pour le paritarisme de gestion, que l’Institut Montaigne a rendu public en mars 2017, nous appelons à une transformation en profondeur de la gouvernance de l’assurance-chômage afin de clarifier les responsabilités des différentes parties prenantes. Mais nous jugeons également indispensable que les partenaires sociaux continuent de participer au pilotage du régime, par exemple dans le cadre d’une commission élaborant les lignes directrices des conventions d’assurance-chômage.

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