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28/02/2020

Rapport Thiriez sur la haute fonction publique : évolution ou révolution ?

Trois questions à Philippe Parini

Rapport Thiriez sur la haute fonction publique : évolution ou révolution ?
 Philippe Parini
Conseiller pour la modernisation et la transformation des administrations publiques

Le tant attendu "rapport Thiriez" sur la haute fonction publique a été remis, fin février, au Premier ministre. Ses 42 propositions visent aussi bien à inculquer une "culture commune" qu’à ouvrir socialement le recrutement des futurs grands commis de l’État. Transformation de l’ENA, égalité des chances, fin du classement de sortie… Que retenir de ce rapport ? Quelles devraient en être les suites ? Trois questions à Philippe Parini, successivement Directeur du personnel et de l’Administration, Secrétaire Général des Ministères économiques et financiers, Directeur Général des finances publiques.  

Le rapport de Frédéric Thiriez constitue-t-il une évolution ou une révolution pour la Haute Fonction Publique et son organisation ?

Le rapport propose, pour nombre de ses propositions, une évolution du dispositif existant afin de lui permettre de mieux respecter ses valeurs originelles et pérennes. Cependant, certaines propositions, si elles sont intégralement adoptées, conduiraient à une transformation assez radicale de notre haute fonction publique.

Après un constat formulé rapidement et sévèrement, le rapport propose une réforme en 3D. Il s’agit de décloisonner la haute fonction publique, de diversifier le recrutement, de dynamiser les carrières. De nombreuses mesures revisitent en fait le dispositif actuel pour permettre à des valeurs réaffirmées de se retrouver en adéquation avec les exigences et les nécessités du temps présent.

    On notera, dans cet esprit, le maintien d’une haute fonction publique fondée sur l’excellence, et donc de ce qu’il faut bien appeler une "élite".

    On notera, dans cet esprit, le maintien d’une haute fonction publique fondée sur l’excellence, et donc de ce qu’il faut bien appeler une "élite" ; la solidité d’une formation initiale continuant à reposer sur des écoles spécialisées ; la méritocratie républicaine adossée au principe du concours ; le concept de la carrière statutaire…

    Nombre des mesures proposées creusent des approches déjà pressenties ou explorées.  Il en va ainsi :

    • du développement des classes préparatoires "égalité des chances" (CPE) ;
    • de l’aménagement des épreuves dans un sens moins académique ;
    • d’une place plus grande des stages effectués sur le terrain ;
    • d’une modification de la composition des jurys ;
    • du développement de la mobilité des fonctionnaires ;
    • de la réduction du nombre des statuts ;
    • d’une meilleure prise en compte de la performance des cadres supérieurs pour leur évaluation  ;
    • de l’harmonisation des régimes indemnitaires...

    En revanche, d’autres propositions vont plus loin que l’adaptation, et promettent un fonctionnement substantiellement différent de notre haute fonction publique.

    Entre autres, on citera :

    • le remplacement de l’ENA par une école d’administration publique formant les administrateurs et les ingénieurs ;
    • la création d’un concours spécial réservé aux élèves des CPE ;
    • la réforme des concours internes et de la troisième voie ;
    • la création d’un tronc commun de six mois pour tous les candidats reçus dans toutes les écoles, préalablement à leur scolarité ;
    • la fin du classement de sortie comme critère d’affectation ;
    • la fusion des corps d’inspection et leur transformation en emplois fonctionnels.

    Enfin, il faut noter les nombreuses propositions modifiant la façon de gérer les hauts fonctionnaires. C’est ainsi que la direction générale de l’administration et de la fonction publique, jugée trop normative et réglementaire, deviendrait une véritable direction des ressources humaines, comme on peut en rencontrer dans le secteur privé, qui s’occuperait de la gestion prévisionnelle, des carrières individuelles, de l’évaluation des performances, de la gestion des talents.

    Quelles sont les éventuelles lignes de clivage issues de ce rapport ?

    Les propositions certes novatrices mais s’inscrivant - en l’accélérant - dans un processus d’adaptation à l’époque pourront susciter des débats mais ne devraient pas constituer de lignes de fracture.

    En revanche, des clivages apparaîtront pour certaines propositions plus radicales.

    Sans hiérarchiser les sujets, on commencera par un point, peut-être moins visible que d’autres, et pourtant intéressant si l’on se compare aux pays étrangers : le rôle de l’université dans le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires. Le rapport propose, certes, d’adosser la nouvelle ENA à des laboratoires existants dans le groupement "Paris Sciences et Lettres" pour favoriser les échanges. Il ne se tourne cependant pas plus massivement vers les universités pour former les hauts fonctionnaires.

    La mise en place d’un tronc commun de six mois applicable à tous les candidats reçus à tous les concours des écoles concernées, et cela préalablement à leur scolarité, peut également susciter des débats. Éventuellement sur le principe. Plus sûrement sur les modalités de mise en œuvre où il faudra mesurer ce qui l’emporte de l’universalité proposée, ou de l’autonomie des écoles pour une mise en œuvre spécifique et adaptée.

    Dans un autre registre, les collectivités territoriales seront vigilantes quant au respect de leur autonomie et de leurs spécificités, alors que le rapport propose une homogénéisation des statuts des écoles et la participation de la fonction publique territoriale au tronc commun.

    Autre point de discussion : la mise en place d’un concours spécial réservé aux élèves des CPE. Nul doute que les débats récurrents sur la question de la discrimination positive et de ses effets ne manqueront pas de resurgir.

    Nul doute que les débats récurrents sur la question de la discrimination positive et de ses effets ne manqueront pas de resurgir.

    Il en va de même pour la suppression du classement de sortie dans la nouvelle École. Le classement conditionne actuellement les affectations, il serait remplacé par une procédure de rapprochement des offres et les demandes.

    Que dire des probables débats autour de la proposition de transformation des corps d’inspection (IGF, IGA, IGAS) en emplois fonctionnels, sur lesquels des candidats seraient nommés en cours de carrière et pour une durée déterminée.

    Les nombreuses propositions relatives, non plus au recrutement et à la formation des hauts fonctionnaires, mais à leur gestion vont également susciter des questions concernant leurs modalités de mise en œuvre. À commencer par la refonte du rôle et de l’organisation de la DGAFP pour mettre en place une gestion différente des hauts fonctionnaires en reposant sur trois principes :

    • le cadre supérieur est acteur de son employabilité,
    • les carrières doivent se nourrir de mobilités ;
    • les filières d’expertise et de pilotage sont aussi importantes que la filière managériale.

    Le Premier ministre a récemment réagi aux annonces de ce rapport : quelles peuvent en être les suites concrètes ?

    On soulignera tout d’abord la promptitude du Premier ministre, qui reçoit un rapport de 96 pages, ayant nécessité neuf mois de travail et 260 auditions, formulant 42 propositions … et qui répond par un communiqué de presse quelques heures après.

    Ce communiqué distingue en fait deux situations concernant la suite donnée au rapport :

    • le Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Action et des Comptes Publics procédera à l’instruction de l’ensemble des propositions, regroupées dans cinq axes de travail ;
    • un trio composé du même Secrétaire d’État ainsi que de Jean-Michel Blanquer et de Frédérique Vidal doit proposer des mesures détaillées d’ici la fin du mois d’avril sur le premier des cinq axes de travail, à savoir un plan de diversification sociale et géographique des recrutements (création de classe "égalité des chances", intégration d’un quota de boursiers dans les masters et classes préparatoires aux grandes écoles de la fonction publique, actions de tutorat dès le collège).

    Les quatre autres axes de travail sont :

    • le décloisonnement des formations des hauts fonctionnaires par la création d’un tronc commun de formation et des expériences de travail en commun. À cette occasion, l’ENA est remplacée par une école du management public.
    • une formation plus opérationnelle et plus proche du terrain avec des concours moins académiques et des périodes longues en territoire.
    • le conditionnement de l’avancement dans les grands corps à un temps préalable d’apprentissage, dans le corps et sur le terrain. Et une ouverture plus grande de ces corps à la promotion des cadres administratifs.
    • la création d’un institut des hautes études du service public chargé de la détection et de la formation continue des agents destinés aux postes de cadre dirigeant.

    Ces différentes mesures doivent s’appliquer en 2022. À suivre donc…

     

    Copyright : PATRICK HERTZOG / AFP

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