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06/06/2018

Quelle feuille de route pour l'automobile française ? Décryptage de Rémi Cornubert

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Quelle feuille de route pour l'automobile française ? Décryptage de Rémi Cornubert
 Rémi Cornubert
Auteur
Président STRAT ANTICIPATION

Mardi 22 mai dernier s’est tenu le Comité stratégique de la filière automobile, à Bercy, en présence des ministres Bruno Le Maire, Nicolas Hulot et Elisabeth Borne. A l’issue de cette réunion, l’Etat et la filière automobile ont contractualisé leurs engagements, notamment en matière de véhicule électrique et autonome. Que retenir de ce contrat de filière ? Décryptage de Rémi Cornubert, Senior Partner au cabinet Advancy, rapporteur général du rapport Quelle place pour la voiture demain ? de l’Institut Montaigne.

Le Comité stratégique de filière automobile (CSFA) s'est réuni le 22 mai. Parmi ses recommandations, la multiplication par cinq du nombre de véhicules électrifiés d'ici 2022 : est-ce un objectif viable et, si oui, comment l'atteindre ?

Cet objectif est clairement l’un des signaux les plus forts du dernier CSFA. Il implique de passer de 120 000 à 600 000 véhicules électriques (VE) dans le parc. Les "produits", à savoir les voitures électriques, sont prêtes, mais le développement à grande échelle des VE dépend encore de trois facteurs importants, à savoir :

  • Le déploiement de l’infrastructure. On compte aujourd’hui environ 20 000 bornes de recharge installées, tandis qu’il en faudrait cinq fois plus (100 000). La France est aujourd’hui en retard sur ses objectifs en matière d’infrastructures, en témoignent les nombreux rapports consacrés à cette question ;
     
  • La stabilité dans les mécanismes d’incitation. A chaque fois que les incitations varient, ces variations se répercutent, de façon amplifiée, dans les chiffres de VE. Stabiliser le système de bonus-malus permettrait de donner une visibilité et un signal important à destination des acheteurs. Le fait que les pouvoirs publics s’y engagent dans le CSFA est une bonne chose ;
     
  • La pédagogie auprès des utilisateurs notamment, qu’il faut intensifier. Il faut pouvoir convaincre les potentiels acheteurs que le VE possède une autonomie amplement suffisante pour les trajets du quotidien. Il faut aussi créer un véritable marché de l’occasion pour les VE, afin de rassurer les acheteurs et leur expliquer qu’ils n’auront aucun problème à revendre leur voiture dans quatre ans s’ils le souhaitent. Le business model choisi par Renault, consistant à louer ses batteries et à les garantir, est un élément qui doit faciliter l’émergence du marché de l’occasion.

Enfin, il est possible d’agir directement sur le comportement des citoyens à l’échelle locale, en témoignent les nombreuses pistes évoquées dans le rapport de l’Institut Montaigne Quelle place pour la voiture demain ? Ce point est malheureusement absent du contrat du CSFA même si la plupart des recommandations (sept propositions du rapport sur dix, parmi lesquelles le développement de solutions intermodales de transport, l’adoption au niveau européen des principes normatifs communs de régulation de la circulation, ou encore la mise en œuvre des mécanismes incitatifs pour réguler le trafic du rapport) ont été reprises dans le Contrat Stratégique de la Filière Automobile.

Le gouvernement a présenté récemment ses "orientations stratégiques" en matière de véhicule autonome : la filière automobile est-elle à la hauteur du défi technologique qui se présente à elle ? Où en-est la France par rapport aux autres pays ?

Le CSFA du 22 mai a accordé une place importante au véhicule autonome (VA), incitant les pouvoirs publics à accélérer les essais du VA en conditions réelles. Cela est certes essentiel mais pas suffisant. Essentiel, car les autres pays ont avancé : les Etats-Unis, en particulier, reviennent dans la course au niveau de l’innovation automobile, avec un écosystème très fort dans la Silicon Valley. L’Europe doit réagir mais était jusqu’ici limitée par la Convention de Vienne, qui a évolué récemment… L’Europe ne doit pas limiter à outrance le développement de cette technologie en facilitant les essais en conditions réelles.
 
Les briques technologiques qu’il est nécessaire de maîtriser ne sont pas assez développées dans le CSFA, alors que ce point est majeur. L’analyse n’a pas été faite ou n’a pas été partagée : il faut absolument savoir sur quels composants nous avons des lacunes, et sur quels composants nous devons miser en particulier. Nos constructeurs nationaux et au moins un des équipementiers majeurs (Valeo) sont très actifs, mais est-ce suffisant face à l’hégémonie américaine ?
 
Deux défis se présentent alors sur le développement du véhicule autonome :

  • Un défi relatif aux coûts : comment réduire le coût du VA pour 1) que la France soit compétitive et 2) que celui-ci soit accessible à tous les citoyens ? Il est dommage que ce point n’ait pas été abordé par le CSFA, même si c’est un sujet compétitif… L’un des éléments le plus coûteux est le Lidar (télédétection par laser) dont la technologie utilisée initialement représentait un prix de revient de quelques dizaines de milliers d’euros. Nous voyons bien que les ruptures de coûts envisagées aujourd’hui sont davantage liées à des changements de technologies qu’à la recherche d’économies d’échelle futures… Les programmes nationaux de recherche doivent stimuler l’innovation dans ce domaine afin de rendre le véhicule autonome abordable pour les citoyens.
     
  • Un défi relatif à la maîtrise des technologies : comment développer et préparer l’homologation de ces véhicules ? Il faut en parler avec le régulateur : aujourd’hui, les conditions sont bien spécifiques, on est encore loin de la commercialisation.

On voit que les constructeurs et les équipementiers français travaillent, mais cela ressemble à une véritable bataille d’innovation entre l’Amérique, l’Europe et l’Asie. Tout retard peut être préjudiciable.

Quelles sont aujourd'hui les grandes innovations du secteur automobile et comment vont-elles impacter la filière automobile française ?

Il est indispensable de préparer le coup d’après sur le véhicule électrifié : doit-on plutôt s’orienter vers une nouvelle génération de batterie ? ou concentrer ses efforts sur l’hydrogène ? Le CEA travaille énormément sur les nouvelles batteries, tandis qu’un écosystème important s’organise autour de l’hydrogène. Cette dernière voie permettrait à la fois d’atteindre les objectifs de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables issues des COP21&22, mais aussi d’aller plus vite vers un véhicule décarboné. Il ne pose pas la question de l’indépendance stratégique de l’Europe comme dans le domaine des cellules électrochimiques, pour lesquels tous les fabricants actuels sont asiatiques…
 
Par ailleurs, le sujet de l’allègement des véhicules, qui représente un enjeu environnemental majeur, pourrait être l’une des clés de l’automobile de demain. Beaucoup d’acteurs français ont une carte à jouer sur les matériaux utilisés dans le secteur automobile.
 
Enfin, tous les enjeux de cybersécurité sont au cœur des stratégies des industriels de l’automobile, et le resteront pour longtemps. Il faut absolument protéger tous les objets roulants : cela représente un véritable défi technologique. Ce défi est très actuel car la part des véhicules connectés est déjà en forte croissance (véhicules neufs et parc automobile), il est donc nécessaire de protéger les citoyens contre ce genre de menaces !

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