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12/03/2018

Plan prison : trois questions à Jean-Marie Delarue

Plan prison : trois questions à Jean-Marie Delarue
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

C’est devant les professeurs, personnels et élèves de l'école d'administration pénitentiaire (ENAP) d'Agen qu’Emmanuel Macron a présenté mardi 6 mars son “plan prisons”. Prônant la fin d’un système “prison centré” le président de la République a détaillé un ensemble de mesures pour lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les carrières des agents pénitentiaires. Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté et co-président du groupe de travail du rapport Travail en prison : préparer (vraiment) l’après, décrypte pour nous ces annonces. 

Moins de prison, surtout pour les courtes peines : c’est le principal élément qui ressort du discours prononcé par Emmanuel Macron à Agen mardi. Quelles sont les alternatives à l’incarcération qui existent aujourd’hui en France ? Est-il souhaitable / possible de les développer ? 

La politique pénale comprend  un ensemble varié d’alternatives à l’incarcération. Elles se sont multipliées ces quarante dernières années mais leur origine est plus ancienne. On distingue : 

  • le sursis, le premier aménagement de peine, introduit à la fin du XIXe siècle, en réaction au constat que la prison telle que conçue par la loi de 1875 était incapable de mettre un frein à la récidive ; 
  • le sursis avec mise à l’épreuve, introduit en 1958 ; 
  • le placement extérieur, avec ou sans hébergement (ce dernier cas est peu développé) ;
  • le travail d’intérêt général, institué en 1983, dont le rôle est pédagogique ; 
  • le bracelet électronique, ou placement sous surveillance électronique (PSE), instauré en 2002. Son l’objectif est de permettre au détenu de ne pas rompre le lien avec son travail ou sa vie familiale. Il demeure néanmoins très contraignant. 

Malheureusement, ces alternatives n’ont pas rencontré le succès escompté : elles ne sont pas parvenues à modérer l’accroissement de la population carcérale. Elles se sont ajoutées au dispositif pénal, remplissant le rôle de "peines plus douces", plutôt que celui d’alternatives véritables à la prison. 

Cela ne veut pas dire que toute peine alternative est vouée à l’échec, bien au contraire. De nouveaux dispositifs pourraient être inventés. Ce fut d’ailleurs le pari de l’ancienne Garde des Sceaux, Christiane Taubira, avec l’institution de la contrainte pénale le 15 août 2014, qui sert cependant plutôt de mauvais exemple, car peu y ont recours.

En bref, malgré les dispositifs d’alternatives, la prison reste la peine de référence pour les infractions d’une certaine gravité

Après une focalisation sur la construction de nouveaux établissements, le président semble adopter une nouvelle politique pour lutter contre la surpopulation carcérale. La réforme qu’il engage vous semble-t-elle aller dans le bon sens ? Suffira-t-elle à elle seule à lutter contre la surpopulation carcérale ? 

La réflexion du président marque indéniablement un tournant vis-à-vis de ses prédécesseurs. Jusqu’à récemment, la construction de nouvelles prisons était brandie comme l’unique solution au problème de la surpopulation pénale. Or, dans la mesure où le juge décide du sort des accusés, et donc choisit de remplir ou non les prisons, la vraie cause de la surpopulation carcérale n’est pas le manque de place, mais bien la politique pénale. 

C’est ce que met en avant le discours du 6 mars d’Emmanuel Macron, et je m’en réjouis. Ce n’est pourtant pas un changement de paradigme pour autant, puisque la loi pénale actuelle n’est pas fondamentalement remise en question. En effet, les annonces du 6 mars ne suffiront pas à régler le problème de la surpopulation carcérale puisque les réformes annoncées se focalisent sur les courtes peines. 

Assurément, le fait que les peines supérieures à un an ne pourront plus être aménagées va mécaniquement remplir les prisons, puisque le juge d’application des peines n’aura plus la possibilité de prendre en considération la situation professionnelle et familiale en vue d’un aménagement de peine. Des effets indirects sont même à craindre pour la seconde mesure annoncée, qui promeut les alternatives à la prison pour les peines courtes : des déplacements de condamnation sont à prévoir (le juge va choisir de prononcer des peines plus longues pour être sûr que le condamné purge une peine qu’il jugera suffisante). 

Une des mesures phares du “plan prison” est également le recrutement de 1 500 conseillers d’insertion et de probation (CPIP) supplémentaires. Quel est le rôle des CPIP aujourd’hui et pourquoi est-il nécessaire d’augmenter leur nombre ? En quoi cette annonce vient-elle compléter le dispositif présenté par Emmanuel Macron ?

La création du service social dans les prisons (1945) a permis d’y dédier un corps de fonctionnaires pénitentiaires : les conseillers d’insertion et de probation (CPIP). Les CPIP sont aujourd’hui moins des travailleurs sociaux que des agents chargés d’assurer la réinsertion des détenus, à la fois pendant leur emprisonnement et à leur sortie. Mais les CPIP jouent également un rôle important auprès des individus condamnés à des peines alternatives en milieu ouvert, soit 170 000 personnes, dont ils assurent l’accompagnement. 

En additionnant les nombre d’individus placés sous main de justice en milieu ouvert à celui des détenus, on obtient pas moins de 240 000, soit le nombre de personnes dont les CPIP assurent le suivi. Autant dire que leur faible représentation ne permet pas aux CPIP de remplir convenablement leur mission. 

L’augmentation du nombre de CPIP ne peut donc qu’être encouragée, d’autant qu’elle incitera peut-être les juges à développer des alternatives à la prison, s’ils ont l’assurance que l’individu qu’ils s’apprêtent à juger peut être mieux suivi en milieu ouvert. L’augmentation des CPIP peut donc certainement avoir un impact indirect sur la diminution du nombre de détenus. 

Mais si l’on souhaite véritablement garantir la réinsertion des détenus (et, ainsi, prévenir la récidive et contrer la surpopulation carcérale), la révision du lien entre CPIP et travail en prison est à envisager. Aujourd’hui, les CPIP n’ont qu’un rôle marginal dans ce domaine. Le travail en prison, parce qu’il est plus conçu comme un passe-temps que comme un outil de réinsertion, est à ce jour encore géré par certains profils de l’administration pénitentiaire, tirés du corps des surveillants. Si on aménageait un travail en détention véritablement lié à la perspective de sortie du détenu, garant d’une réinsertion réussie, il serait profitable que la gestion du travail en prison bascule du côté des CPIP

D’une manière générale, la grande absente des déclarations du 6 mars est bien l’organisation même de la vie pénitentiaire, ou le fonctionnement concret de la prison. Emmanuel Macron a certes évoqué les droits des détenus, et c’est essentiel, mais peu de choses ont encore été dites concernant la manière précise dont ils seront protégés. Sur ce sujet, les propositions développées dans le rapport de l’Institut Montaigne Travail en prison : préparer (vraiment) l’après publié il y a peu conservent toute leur pertinence.

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