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11/12/2017

Où va l’Accord de Paris ? Décryptage d'Amy Dahan

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Où va l’Accord de Paris ? Décryptage d'Amy Dahan
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Si l’Accord de Paris est considéré comme une avancée dans l’histoire des négociations climatiques, des inquiétudes subsistent quant à sa réalisation à terme. Entre le retrait américain et le retour à la hausse des émissions chinoises de gaz à effet de serre, où va l’Accord de Paris ? Explication par Amy Dahan, directrice de recherche émérite CNRS et co-auteure de Gouverner le climat ? : Vingt ans de négociations internationales (Presses de Sciences Po).

L’Accord de Paris, conclu le 12 décembre 2015, est un jalon majeur de l’histoire des négociations climatiques. Pour autant les émissions sont reparties à la hausse dès 2017. Peut-on encore espérer une remobilisation de la communauté internationale sur cette question ?

Deux ans après le succès de la COP21, les derniers rapports des experts ont des accents alarmistes, dénonçant l’écart entre les promesses des gouvernements de limiter à deux degrés l’augmentation de la température mondiale et les courbes d’émissions qui sont reparties à la hausse. Le cadre onusien de la gouvernance climatique est-il suffisant ? L’histoire des négociations climatiques est celle d’une prise de conscience progressive, appuyée par les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et ponctuée de rendez-vous internationaux : les COP (Conférence des parties). Ces rencontres ont attiré des acteurs de plus en plus nombreux et divers, d’autant que, s’organisant une année sur deux dans des pays en voie de développement, elles ont, de fait, contribué à la sensibilisation d’une multitude d’activistes et d’ONG dans ces mêmes régions.

Si par le passé cette gouvernance a aidé à la prise de conscience de l’impératif climatique, force est de constater que ses limites, structurelles et immuables, constituent un plafond de verre à ces mêmes négociations. Les multiples alertes semblent ne pas pouvoir accélérer un processus bureaucratisé, dont les objectifs tout comme les modalités paraissent gravés dans le marbre. A savoir, que l’Accord de 2015 s’appliquera en 2018, que la première réévaluation des objectifs n’aura lieu qu’en 2020 dans les pays développés. Une réévaluation plus générale englobant l’ensemble des pays n’aura lieu, elle, qu’en 2023 pour un renforcement espéré des contributions à l’horizon 2025. Or, nous sommes bel et bien engagés dans une course de vitesse, face à une dégradation du climat plus rapide qu’envisagée. Au rythme actuel, nous serons tout simplement incapables de renverser la tendance ! Il faut absolument entourer le processus onusien d’autres initiatives puissantes, à géométries et échelles variables, sur des thèmes ou des questions stratégiques qui n’avancent guère dans les COP.

Le dynamisme du couple Chine - États-Unis a largement contribué à la réussite de l’Accord de Paris. Deux ans après, les États-Unis se sont désengagés du processus et la Chine a augmenté ses émissions de gaz à effet de serre. À qui peut-on s’en remettre ?

A Copenhague en 2009, l’échec retentissant du processus onusien a incité les acteurs à changer complètement de méthode. Désormais, on part d’engagements volontaires et partagés entre les États, plutôt que de chercher à imposer des objectifs irréalisables provenant du sommet de l’architecture onusienne. Ainsi, en novembre 2014, en marge du forum de Coopération économique de l’Asie-Pacifique réuni à Pékin, les présidents américain et chinois ont annoncé des objectifs ambitieux de réduction des émissions de GES. Ils ont aussi déclaré vouloir un accord mondial pour concrétiser cette déclaration et limiter le réchauffement à 2 degrés d’ici la fin du siècle. A Paris, les États-Unis se sont engagés à réduire de 26 % leurs émissions de CO2 en 2025 par rapport à 2005, tandis que la Chine s’est engagée à une réduction de l’intensité énergétique de sa croissance, échappant à des engagements absolus qui risquaient d’entraver sa croissance. Elle a accepté sa part d’efforts tout en continuant à rappeler la responsabilité historique des pays riches dans le dérèglement actuel du climat.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés d’une part à la défection de Trump qui certes n’a pas encore provoqué de sauve qui peut, mais entraînera inévitablement ressentiments et blocages. D’autre part, si la croissance chinoise a stagné les trois dernières années, stabilisant ainsi ses émissions de GES, c’est bien sa reprise récente qui a contribué àla hausse de 2 % de ses émissions globales. Cette augmentation a lieu, alors même que les autorités chinoises ont déclaré la "guerre contre la pollution", au travers d'investissements supplémentaires dans les énergies renouvelables et la modernisation de certaines centrales à charbon. Il faut être lucide, la Chine ne fait pas encore les sacrifices importants nécessaires et il faudra attendre 2023 avant qu’elle n’accepte de revoir éventuellement à la hausse ses engagements. Alors que le pays a constamment cherché à apparaître commele champion des pays en développement, il est devenu dans le même temps la seconde puissance économique mondiale et le premier pollueur mondial, avec une classe moyenne très consommatrice (de plusieurs centaines de millions de personnes), et une moyenne d’émissions par habitant qui avoisine celle de l’Europe. Enfin, les émissions de la Chine, cumulées d’un point de vue historique, ne tarderont pas à dépasser celles des Etats-Unis. Bien qu’elle se projette comme leader de la cause climatique, la Chine ne peut être entièrement crédible dans ce rôle.

Selon vous, quelles sont les priorités d’action pour l’Union européenne et la France afin d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Paris ?

A l’échelle européenne, seuls certains pays sont disposés à s’engager dans de nouvelles initiatives plus ambitieuses. Les pays du Nord - à l’image de la Suède qui a mis en place une taxe carbone ambitieuse ou la Norvège qui s’engage dans une action mondiale significative de lutte contre la déforestation - font des efforts importants. L’Allemagne, pour sa part, est divisée sur la question énergétique et doit retrouver un équilibre en politique interne, ce qui explique son actuel manque de volontarisme. Néanmoins on peut rêver qu’au terme d’un intense débat démocratique, l’Allemagne adopte un calendrier précis de sortie des fossiles ou même seulement du charbon (étalé sur 20 ou 30 ans) comme elle l’a fait pour la sortie du nucléaire. Un tel choix aurait des conséquences géopolitiques (en Europe d’abord, dans le monde ensuite) et stratégiques énormes (industries allemandes de l’automobile, des transports, des renouvelables etc). Par ailleurs, la COP 24 de 2018 se tiendra en Pologne, un pays qui produit 80 % de son électricité au charbon et qui, parallèlement à l’accueil de la COP 19 en 2013, avait organisé un grand salon consacré aux énergies fossiles… C’est cette analyse différenciée que doit mener Emmanuel Macron. L’initiative française d’un Sommet du climat sur une Finance verte pour le carbone est tout à fait intéressante car elle associe de nombreux chefs d’Etats et des institutions internationales, telles que la Banque mondiale et les Nations Unies. Elle sera d’autant plus marquante si elle parvient à concrétiser de nouvelles initiatives et décisions pour une finance carbone renouvelée, capable de déplacer des masses d’investissement vers la décarbonisation, et associée à des organismes crédibles telles que les banques centrales des Etats.

Si le gouvernement américain reste le seul ouvertement climato-sceptique, il en est différemment des acteurs économiques américains, révélateurs d’un capitalisme lui-même divisé. D’un côté, on trouve les entreprises des énergies fossiles qui soutiennent les actions du président Trump, de l’autre, on trouve des entreprises californiennes, investies sur les thématiques de high tech et de green tech, militant pour que des initiatives importantes soient menées pour favoriser la transition énergétique. Cette mobilisation d’acteurs économiques met en avant une autre limite du processus onusien : celui-ci n’esquisse aucune stratégie industrielle concrète. Des initiatives telles que le sommet climat du 12 décembre seront d’autant plus pressantes qu’elles permettront, au niveau des entreprises comme des villes, de prendre de nouveaux engagements concrets dans cette direction. C’est a priori ce genre d’arènes, à géométries et échelles variables, thématiques ou sectorielles, dont on a besoin pour accélérer le processus onusien. 

De nouvelles arènes de discussions, comme celle du One Planet Summit si elle s’avère utile, sont nécessaires pour accélérer la transition énergétique et les réponses au défi climatique. Il faut passer d’une gouvernance de parole et de papier à une gouvernance d’actions. Face à la mobilisation et la prise de conscience actuelle, la question qui se pose est bien celle de l’émergence d’un contre-modèle désirable, d’une utopie concrète, alliant efficacité économique et transition écologique. Nous en sommes loin ; en dépit les critiques envers la responsabilité historique des pays occidentaux, les pays en développement s’engagent dans le même schéma de croissance et aspirent au même modèle prédateur, situation d’autant plus préoccupante que la question démographique risque de revenir très rapidement sur le devant de la scène et constituer une pression supplémentaire sur la question climatique.

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