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15/09/2021

Marseille en Grand : le recours à la solidarité nationale ne doit pas pallier les défauts d’une gouvernance défaillante

Marseille en Grand : le recours à la solidarité nationale ne doit pas pallier les défauts d’une gouvernance défaillante
 Baptiste Larseneur
Auteur
Expert Résident et Responsable de projets - Éducation

Depuis le palais du Pharo, le Président de la République, venu "ni pour faire un chèque, ni pour faire un plan", a présenté le 2 septembre dernier ses ambitions pour bâtir le Marseille de 2030. Conscient de l’urgence sécuritaire, économique, sociale et sanitaire et de l’incapacité de la Ville de Marseille et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, aux finances exsangues, à y répondre "dans le bon rythme", le Président de la République n’a pas attendu une hypothétique évolution de la gouvernance des deux collectivités pour engager l’action de l’État.

À défaut de mettre Marseille sous tutelle, l’annonce de la création de deux véhicules juridiques -​​ une société publique ad hoc pour la rénovation des écoles et un groupement d’intérêt public pour les transports - marque la récupération par l’État de certaines compétences des collectivités du territoire. Les contours financiers de l’engagement de l’État sont encore à préciser, mais ces deux outils doivent d’ores et déjà permettre que "l’effort de la nation ne se disperse pas en redistributions inutiles, en compensations diverses et en paiement de fonctionnement indus", selon la formule du Président de la République. D’aucuns y verront un mal nécessaire ou un précédent dangereux, invitation pour certains élus à mal se conduire pendant très longtemps puisqu’à la fin "l’État paiera". 

Ici, la substitution de l’État à ces exécutifs défaillants semble justifiée par l’urgence de la situation, comme nous l’évoquions dans le rapport Construire la métropole Aix-Marseille-Provence de 2030 ; pour autant, faute de contreparties clairement établies, Marseille en Grand ne pourrait constituer qu’un plan parmi d’autres pour Marseille (en 2013, Jean-Marc Ayrault avait déjà annoncé un plan d’aide de plus de 3 milliards d’euros pour Marseille). 

L’urgence de la situation contraint l’État à agir

À Marseille, 174 écoles présentent des défauts d’entretien majeur (présence de nuisibles, suspicion d’amiante, problème de chauffage, etc.) et sont considérées comme étant dans un tel état de délabrement que l'apprentissage n’y est plus possible.  

Face à ce constat de dégradation du bâti scolaire et au coût que représente la rénovation des écoles - entre 600 millions et 1 milliard d’euros, la Ville de Marseille est sans solution depuis plusieurs années :
 

  • depuis 2016, plus de 99 % des opérations d’entretien et de réparation menées dans les écoles n’excèdent pas 5 000 euros ;
     
  • le "Plan École d’Avenir", engagé par la précédente municipalité et qui devait aboutir à la construction ou la reconstruction de 34 établissements, a été annulé par la justice administrative en décembre 2019 ;
     
  • la capacité d’investissement de la ville est quasi nulle - elle correspond à 15 euros par an et par habitant ;
     
  • l’augmentation de la fiscalité directe, qui pourrait permettre de retrouver des marges de manœuvre financières, est impossible (la fiscalité a augmenté de 60 % entre 2008 et 2018, en partie du fait de la baisse des dotations de l’État) ;
     
  • le recours à l’emprunt est impossible car la ville est déjà endettée à hauteur de 1,5 milliard d’euros et les intérêts financiers de la dette représentent plus que le remboursement cumulé des intérêts des dettes de Lille, Lyon, Nice, Nantes, Montpellier et Toulouse.

Les infrastructures collectives de la Métropole souffrent d’un retard manifeste au regard des autres pôles métropolitains français.

En matière de transports, en raison d’un désinvestissement chronique et de l’absence de réflexion à l’échelle métropolitaine, les infrastructures collectives de la Métropole souffrent d’un retard manifeste au regard des autres pôles métropolitains français. La métropole ne compte que 1 130 km de lignes de bus, tramway et métro, contre 3 890 km pour l’agglomération lyonnaise, alors même qu’Aix-Marseille-Provence est six fois plus vaste que le Grand Lyon.

Pour remédier à cette situation, la Métropole a élaboré un agenda de la mobilité. Toutefois, la Métropole ne s’est pas donné les moyens financiers de mettre en œuvre un projet global et cohérent de développement des infrastructures de transport collectif susceptibles de répondre à l’urgence de la situation.
 

  • Le montant global des projets relatifs à la mobilité est estimé entre 10 et 14 Mds€ sur la période 2016-2035, alors que le budget annexe mobilité de la Métropole ne permet actuellement de dégager qu’une somme comprise entre 100 et 150M€ par an, soit entre le tiers et le quart des besoins sur la période.
     
  • La collectivité est endettée à hauteur de 2,7 milliards d’euros, le recours à l’emprunt contribue déjà à financer près de 60 % des dépenses d’investissement et les marges de manœuvre fiscale sont quasi nulles. 

Dans ce contexte, l’intervention de l’État apparaît comme une nécessité pour la ville de Marseille comme pour la Métropole Aix-Marseille-Provence afin d’aider le territoire à rattraper son retard en matière d’infrastructures, d’équipements et de services collectifs.

Marseille en Grand se doit de conditionner les engagements de l’État à une réforme de la gouvernance métropolitaine

La métropole Aix-Marseille-Provence se distingue de façon assez significative des autres métropoles françaises. La fiscalité qu’elle perçoit est largement inférieure à celle collectée par les communes qui la composent. Cette situation s’explique en grande partie par les reversements que la Métropole effectue à leur profit.
 
En effet, les dépenses de fonctionnement de la Métropole sont grevées de manière importante par deux éléments :

  • les attributions de compensation - qui correspondent au montant des produits de fiscalité professionnelle anciennement perçus par les communes - représentent 38  % des dépenses réelles de fonctionnement de la Métropole ;
     
  • les dotations aux six conseils de territoire - qui doivent leur permettre d’exercer les compétences que la Métropole leur a déléguées - représentent 22 % des dépenses réelles de fonctionnement de la Métropole.

Concrètement, cela signifie que la gouvernance actuelle de ce territoire privilégie des investissements à l’échelle communale au détriment de projets pensés à l’échelle métropolitaine, limitant d’autant la capacité de la Métropole à porter des projets d’investissements structurants à l’échelle de l’ensemble du territoire. En outre, l’équilibre politique issu des dernières élections municipales et métropolitaines a contribué à renforcer l’opposition à la Métropole.

La gouvernance actuelle de ce territoire privilégie des investissements à l’échelle communale au détriment de projets pensés à l’échelle métropolitaine.

Dès lors, trois évolutions devraient conditionner l’engagement de l’État.

La première est institutionnelle : la suppression des conseils de territoire - qui favorisent une juxtaposition de projets "locaux" et la pérennisation des anciennes stratégies locales - doit permettre l’émergence d’une véritable stratégie métropolitaine en déplaçant le centre de décision au niveau du conseil métropolitain. Un retour des compétences de proximité aux communes devra parallèlement être étudié.
 
La deuxième est financière : la révision des outils de solidarité interne, qui grèvent la capacité d’investissement de la Métropole, doit permettre de dégager 500 millions d’euros d’investissement annuel au niveau métropolitain.
 
La troisième est démocratique : l’évolution vers une élection au suffrage universel direct des 240 membres du conseil métropolitain pourrait avoir un effet positif sur la représentativité de cette nouvelle collectivité et sa légitimité démocratique à concevoir et porter des projets stratégiques et structurants, profitant à l’ensemble du territoire.

Marseille en Grand doit viser les besoins de long terme du territoire

La principale faiblesse de Marseille en Grand résulte du fait que "répondre à l’urgence ne suffit pas à relever les défis de Marseille", selon les termes employés par le Président de la République.
 
En effet, si le Président de la République s’est donné les moyens d’agir dès maintenant grâce à l’annonce d’investissements exceptionnels et à la création de structures souples, immédiatement opérationnelles, Marseille en Grand pèche encore par l’absence d’une stratégie de long terme pour le développement de la deuxième ville de France.
 
Deux orientations permettraient d’asseoir une véritable ambition de l’État à long terme pour ce territoire :

  • d’abord, la création d’une société du "Grand Marseille", s’inspirant de la société du Grand Paris, permettrait de s’assurer du développement du réseau de transport collectif sur le long terme. Une telle structure, qui pourrait prendre la forme d’un établissement public, alliant élus locaux et État au sein d’une entité partenariale, bénéficierait de la garantie financière de l’État et d’une capacité d’emprunt autonome ;
     
  • ensuite, le Président de la République pourrait officialiser le rôle de Marseille dans la stratégie diplomatique française vis-à-vis de ses relations avec l’Afrique. L’élévation de la deuxième ville de France au rang de capitale euro-méditerranéenne sur le modèle de l’eurométropole de Strasbourg traduirait un volontarisme politique fort. A minima, le chef de l’État pourrait prendre l’engagement d’organiser à Marseille tous les sommets Afrique / France ou événements diplomatiques majeurs entre la France et des pays africains.

En définitive, en l’absence de contreparties clairement énoncées, garantes du bon fonctionnement de la Métropole, et faute de poser réellement une ambition de long terme, Marseille en Grand risque d’être un plan qui ne s’attaque donc qu’à régler les problèmes les plus urgents. 

Marseille et, plus largement, le territoire Aix-Marseille-Provence représentent incontestablement une chance pour la France. Leurs spécificités sociologiques, historiques, démographiques et culturelles en font un espace singulier qui suppose un accompagnement constant de la part de l’État. Toutefois, le recours à la solidarité nationale ne pourra éternellement pallier les défauts d’une gouvernance et d’une organisation financière défaillante. L’évolution du mode de fonctionnement des collectivités du territoire Aix-Marseille-Provence est désormais une nécessité.
 


 
Copyright : Ludovic MARIN / AFP / POOL

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