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15/01/2018

Macron à l'épreuve de la complexité du monde

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Macron à l'épreuve de la complexité du monde
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Le contexte international, marqué par les errements de Donald Trump ou l'affaiblissement politique de l'Allemagne et le Brexit, définira la ligne internationale du chef de l'Etat plus encore que ce qu'il veut faire.

"Le Roi Soleil" pour le Wall Street Journal, "Emmanuel de Gaulle" pour l'Irish Times. Le nouveau président français est l'objet de toutes les attentions médiatiques, non seulement parce qu'il est charismatique, mais parce qu'il succède à un prédécesseur faible en politique intérieure - même si le bilan de la politique étrangère de François Hollande est globalement positif. Et plus encore, parce qu'il arrive au pouvoir à un moment où la Grande-Bretagne flotte, où l'Allemagne est politiquement affaiblie et où surtout le pouvoir à la Maison-Blanche est incarné par un président dont le monde médical  met en question la santé mentale. Il convient de replacer les commentaires dithyrambiques et/ou moqueurs, sinon jaloux, dans ce double contexte interne et externe. Le nouveau président français peut apparaître ainsi comme l'héritier direct de Louis XIV, de de Gaulle sinon de François Mitterrand, parce qu'il est l'absolu opposé de François Hollande et de Donald Trump.

Mais Emmanuel Macron n'est pas seulement un héritier en matière de politique étrangère. Il est avant tout lui-même, c'est-à-dire le produit de la rencontre entre un homme et des circonstances exceptionnelles. Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour dire ce qu'est  le "macronisme" en politique internationale. Ce sont avant tout les événements qui contribueront à forger ce qui apparaîtra demain peut-être, sinon comme un corps de doctrine, tout du moins comme une pratique reconnaissable non seulement par son style, mais aussi par son contenu.

Continuité et rupture

Le paradoxe de la politique étrangère d'Emmanuel Macron peut se résumer ainsi. D'un côté, elle s'inscrit dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, s'attachant à définir une synthèse harmonieuse, parfois improbable, sinon impossible entre pragmatisme et défense des valeurs. De l'autre, elle constitue une double rupture tant sur la forme, qu'en raison du contexte international dans lequel elle se situe. Il y a sur ce plan une grande différence entre Emmanuel Macron, l'homme des ruptures à l'intérieur - ni droite ni gauche, et des réformes enfin mises en oeuvre - et le président de la continuité à l'international. Il s'agit certes surtout d'une "continuité plus" comme en matière de politique européenne, africaine ou asiatique (surtout à l'égard de la Chine).

Mais pour l'essentiel, ce n'est pas ce que "fait" Macron qui est nouveau, sinon révolutionnaire. On pourrait définir ses options jusqu'à présent comme très classiques. C'est le contexte international et le passage d'un monde hier encore unipolaire, à un monde qui hésite entre une bipolarité nouvelle (Chine/Etats-Unis) et une multipolarité véritable qui font qu'Emmanuel Macron "est" dans son effort d'adaptation aux bouleversements du monde radicalement neuf.

Aller à l'essentiel

Parler de "gaullo-mitterandisme" comme le font certains, n'est pas faux, mais est très réducteur. Lorsque le général de Gaulle commence à prendre ses distances avec l'Otan, l'Amérique est incarnée par le général Eisenhower, l'antithèse absolue de Donald Trump. Emmanuel Macron a beau être le plus régalien de nos présidents depuis le général de Gaulle, le plus européen depuis François Mitterrand, il n'est pas que cela. Il entend aller vers ce qui, à ses yeux, est essentiel aujourd'hui : l'Allemagne en Europe, la Chine en Asie, sans oublier l'Amérique, incontournable en dépit de la nature particulière de son président.

On sent surtout dans sa démarche encore incertaine - sa tentative de médiation dans les affaires libyennes a été jusqu'à présent plutôt un échec, son intervention dans les affaires libanaises plutôt un succès - la recherche d'un équilibre entre réalisme et rappel des valeurs. Lorsqu'il reçoit à Paris les dirigeants de régimes autoritaires comme Poutine et Erdogan, il ne fait pas de la question des droits de l'homme ou de la liberté de la presse des préalables, mais il ne les passe pas sous silence, quitte à susciter l'ire de ses interlocuteurs. Lorsqu'il se rend en Chine et proclame que ses voyages dans l'Empire du Milieu se feront désormais sur une base annuelle - suivant en cela la pratique qui est celle d'Angela Merkel - il ne se présente pas seulement comme le défenseur des intérêts de la France, mais aussi comme ceux de l'Europe. Il accepte de rentrer dans le schéma chinois des "routes de la soie" mais exige une forme de réciprocité nécessaire et légitime entre la Chine et l'Europe.

Le grand écart sur la Syrie

Cette quête permanente de l'équilibre est-elle toujours réalisable ? N'y a-t-il pas des thématiques où il est tout simplement impossible de défendre "en même temps" les principes et les intérêts ? Sur la question syrienne en particulier, on a reproché au chef de l'Etat de pratiquer le "grand écart". Que peut signifier la double reconnaissance, de la nécessité d'intégrer le régime syrien actuel dans tout processus de paix, et de sa responsabilité criminelle qui justifierait sa comparution devant une cour de justice, pour crimes contre l'humanité ? Certains voient dans cette dialectique douteuse une forme inacceptable d'hypocrisie. D'autres, comme l'auteur de ces lignes, le refus de nier la réalité du rapport des forces sur le terrain, tout autant que celui de s'y résigner en silence. La tragédie syrienne restera comme une tache morale et un échec stratégique pour le monde occidental, "notre guerre d'Espagne". Nous avons perdu, doublement perdu et il ne sert à rien de nous draper dans une simple posture de déni de la réalité et d'indignation morale. Oui en 2018 "on ne peut faire" sans Bachar Al Assad, et oui aussi, il demeure un criminel. Cette dialectique peut sembler trop "Florentine". Elle ne l'est pas.

Dans sa volonté d'aller à l'essentiel, de ne pas répondre à la complexité du monde, par le schématisme et la simplification des politiques, Emmanuel Macron est aussi conscient du fait que sa visibilité et sa réussite à l'international sont une des clefs de sa capacité à mettre en place les réformes en France.

Berlin et Pékin se laisseront-ils séduire par ce nouveau président français, pragmatique, croyant en des valeurs et intellectuel ? L'avenir seul le dira.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos(publié le 14 janvier).

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