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09/05/2018

Loi contre les fake news. Trois questions à Ben Nimmo

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Loi contre les fake news. Trois questions à Ben Nimmo
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Emmanuel Macron a annoncé le 3 janvier 2018 un projet de loi pour lutter contre la désinformation en période électorale. Début mars, l’exécutif a transmis un document de travail aux députés de la majorité, qui servira de base au projet de loi. Ben Nimmo, Information Defense Fellow au Digital Forensic Lab de l’Atlantic Council répond à nos questions sur les enjeux liés à cette nouvelle législation. 

Que pensez-vous du texte qui servira de base au projet de loi “relative à la lutte contre les fausses informations” ?

On observe aujourd’hui un mouvement mondial de recherche d’une forme de “boîte à outils” pour lutter contre les différentes formes de désinformation. Une loi peut constituer l’un de ces outils, mais avec des limites. Ma crainte – qui ne s’applique pas seulement au cas français - est que ces lois soient envisagées comme des “couteaux-suisses”, qu’un objet unique soit créé pour répondre à toutes les formes de désinformation. À contrario, je pense qu’il est nécessaire que la loi définisse bien ses cibles. On parle souvent de “fake news”. Mais à quoi correspond réellement ce terme ? Parlons-nous d’une information intégralement fausse ? Incluons-nous également les articles qui sont à 90 % faux ? La propagande et la désinformation peuvent prendre la forme d’un nœud de faits entouré de mensonges. Alors, qu’est-ce que la désinformation ? Selon moi, elle se définit par deux caractéristiques : l’information publiée est fausse, et l’auteur, en connaissance de cause, décide délibérément de la publier. La fausse nouvelle est donc communiquée de manière intentionnelle.

Sur les articles de propagande tels que ceux véhiculés par Russia Today et Sputnik, la question est encore différente. En effet, il est rare que ces sites diffusent des informations intégralement fausses. Leurs articles sont surtout déséquilibrés, donnant par exemple uniquement la parole à des experts aux visions extrêmes ou marginales. Cependant, comment prouver que ces articles sont des objets de propagande étatique ? Le financement par l’État n’est pas suffisant, car de nombreux médias de qualité sont dans cette situation. L’exemple du Foreign Agents Registration Act aux États-Unis est intéressant : il requiert la preuve qu’un diffuseur est contrôlé par un État. Par exemple, si les dires d’un chef d’État sont repris de manière systématique par un média pour son propre compte, un lien d’influence peut être établi.

La saisine d’un juge des référés est-elle la meilleure solution pour empêcher la diffusion de fausses nouvelles en période électorale ?

Dans cette situation, il faut que le juge soit spécialiste de ces questions. Il est possible de prouver que des faits sont faux, et qu’ils sont diffusés de manière intentionnelle. Cependant, il me semble que le délai de 48h proposé par le projet de loi est court pour qu’un juge puisse déterminer les faits. Par ailleurs, ce délai représente une éternité sur Internet. La réaction judiciaire peut être importante dans certaines situations, mais il faut d’autres systèmes de réaction, qui puissent agir à une vitesse adaptée à celle de l’Internet. Une telle réaction est envisageable, bien que difficile à mettre en place. La question dès lors est la suivante : qui doit en être le dépositaire ? Les médias ? Les chercheurs ? Il me semble en tout cas que cela ne devrait pas être le rôle du gouvernement ou d’élus. En effet, ces derniers ne sont pas les meilleurs juges de la vérité, surtout lorsque le sujet traité est celui de l’actualité électorale. Il me semble également qu’une réaction de la société civile est nécessaire – mais ce sujet ne fait pas partie de la sphère législative.   

Par ailleurs, l’information transmise au juge devra être manifestement fausse pour que la saisine soit possible. Mais que faire pour les informations biaisées ? Par exemple, lorsque Russia Today partage intentionnellement des citations, qui sont elles-mêmes fausses, un juge devrait-il réagir ? Selon moi, la réponse est non. C’est une question de propagande, qui est particulièrement complexe.

Que pensez-vous de la décision de renforcer les pouvoirs du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, qui pourra désormais suspendre ou refuser la convention de “services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts supérieurs de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions” ?

Je vois plusieurs problèmes avec cette situation. Tout d’abord, pourquoi limiter cette décision aux seules périodes électorales ?

Ensuite, encore une fois, la question est de prouver ce contrôle d’un média par un État. La comparaison de communications officielles d’un État avec celles des plateformes médiatiques peut être une solution. Ainsi, Russia Today et Sputnik reprennent directement les éléments de langage du Kremlin de manière quasiment systématique.

Cependant, démontrer qu’un média mène une entreprise de déstabilisation est autrement plus compliqué. Comment le CSA va-t-il pouvoir prouver cela ? Les entrevues utilisées par les médias – par exemple si elles sont seulement accordées à des militants ultra-nationalistes - peuvent constituer une première piste. Mais la question du pourquoi, de la conséquence visée, amène trop de possibilités de réponses. La difficulté à apporter une preuve juridiquement tangible est donc selon moi une autre faiblesse de cette proposition de loi.

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