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06/03/2018

L’Inde à l’aube de la visite d’Emmanuel Macron. Entretien avec Christophe Jaffrelot.

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L’Inde à l’aube de la visite d’Emmanuel Macron. Entretien avec Christophe Jaffrelot.
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Le 9 mars prochain, Emmanuel Macron se rendra en Inde pour la première fois depuis le début du quinquennat. Il y rencontrera Narendra Modi, Premier ministre d’un pays soumis à de nombreux défis, mais qui semble retrouver son dynamisme économique.

Quelles seront les questions abordées lors de cette visite diplomatique ? Quelles sont les perspectives indiennes en matière de diplomatie, de croissance, de libre-échange ? Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, nous offre son éclairage.

Emmanuel Macron se rendra bientôt en Inde pour rencontrer le Premier ministre, Narendra Modi. Quels seront les principaux enjeux de cette première visite diplomatique ?

En politique étrangère, la continuité fait souvent face au changement, même après une alternance : les virages à angle droit sont rares en diplomatie ! En l’occurrence, il faut sans doute s’attendre à la poursuite de négociations amorcées par les gouvernements précédents, qu’il s’agisse du nucléaire civil (les fameux réacteurs pressurisés européen, ou EPR) ou de contrats d’armement (des sous-marins devraient prendre le relai des Rafales pour quelques années de pourparlers supplémentaires). 

Mais on peut aussi s’attendre à des inflexions en raison de la présence croissante de la Chine dans l’Océan indien, qui inquiète l’Inde et (à un bien moindre degré) la France. Les deux pays devraient sans doute intensifier leur coopération militaire dans cette zone où la France possède plusieurs bases. 

Au-delà, les deux pays ont une marge de progression en matière de partenariat scientifique et de coopération universitaire que le Knowledge Summit pourra, au minimum, réduire en lançant de nouveaux projets. Un autre développement majeur viendra sans doute de l’inauguration de l’Alliance solaire que l’Inde et la France avaient lancée à la veille de la COP 21, et qui devrait ajouter une dimension environnementale à la relation franco-indienne. Mais la France est attendue dans un autre domaine, par les défenseurs des libertés et des minorités qui souffrent de nouvelles atteintes aux droits de l’homme depuis quelques années. La visite du Président Macron sera donc aussi scrutée par ces hommes et ces femmes à l’affût de symboles et de paroles fortes.            

L'Inde devrait afficher une croissance dynamique, de plus de 7 %, pour l'année 2017, après un "coup de mou" en 2016 : faut-il comprendre que tous les signaux économiques du pays sont au vert ?

L’Inde a en effet retrouvé un taux de croissance de 7 %, inférieur à ceux de la décennie précédente (d’autant plus que le nouveau mode de calcul gonfle les chiffres), mais néanmoins encourageant. Tous les signaux économiques ne sont pas au vert pour autant, loin de là. Le pays souffre d’un chômage chronique lié à son dynamisme démographique (le marché du travail doit absorber une douzaine de millions de nouveaux venus chaque année), au progrès de l’automation (y compris dans les technologies de l’information, le point fort de l’Inde) et à la faiblesse de l’investissement privé. Celle-ci s’explique non seulement par la mauvaise santé des banques qui, plombées par des créances douteuses représentant une part croissante de leur bilan, prêtent moins volontiers, mais aussi, dans certains secteurs, par des capacités de production non utilisées. Celles-ci reflètent une stagnation de la consommation des ménages, surtout en milieu rural où la crise agricole s’est d’ailleurs traduite par de vastes manifestations paysannes au cours des derniers mois.

Comment analyser la récente décision du Premier ministre indien d'augmenter les droits de douane d'une cinquantaine de produits, quelques semaines seulement après avoir défendu les vertus du libre échange lors du Forum économique de Davos ?

Cette décision peut s’expliquer de deux façons. Tout d’abord, l’Inde n’affiche pas une compétitivité particulièrement remarquable. Cela s’explique par des problèmes d’infrastructure persistants, tant du point de vue des transports (cf. les accidents ferroviaires à répétition) que de celui de l’énergie et de la formation : dans un pays où la formation professionnelle est embryonnaire, et où seuls 7 % des jeunes d’une classe d’âge rejoignent l’enseignement supérieur, les problèmes de compétence se manifestent dès que l’on n’a plus affaires aux élites - elles très brillantes. Par ailleurs, l’Inde n’a jamais souscrit aux règles du marché et du libre-échange, même après la libéralisation des années 1990, notamment en raison des liens unissant les grandes familles d’entrepreneurs et les dirigeants politiques : ces connivences ont donné lieu à un crony capitalism (capitalisme de connivence) qui peut amener le gouvernement à protéger certaines industries de la concurrence étrangère. Si, à Davos, Narendra Modi s’est fait le chantre de la globalisation, c’est surtout pour attirer des investissements directs à l’étranger (IDE) dont l’Inde ressent un besoin d’autant plus pressant que ses entreprises sont en panne d'investissement.

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