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01/12/2017

Les Français et leurs données de santé

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Les Français et leurs données de santé
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Des Français de plus en plus prêts à partager leurs données de santé ? Retour avec Thomas London, co-auteur du rapport Réanimer le Système de Santé (2016), Directeur Associé en charge du pôle Santé de McKinsey & Company en France et président du HealthCare Data Institute, think tank entièrement dédié aux données de santé, sur le sondage "Les Français et leurs données de santé".

Quels sont pour vous les principaux enseignements de ce sondage ?

Tout d’abord, ce sondage révèle que les Français estiment très largement que les données de santé peuvent aider à la recherche, à l’amélioration des traitements ainsi qu’à la qualité des soins. Au total ils sont 72 % à estimer que les données de santé sont utiles et ce chiffre s’élève même à 80 % pour les plus de 65 ans.

Le deuxième message délivré par ce sondage est que, si les Français ont la garantie de l’anonymat et de la protection de leurs données, ils sont 83 % à accepter de partager leurs propres données personnelles de santé et même près de 90 % pour les plus de 65 ans. On pourrait voir dans ce pourcentage particulièrement élevé le signe que ceux qui fréquentent le plus souvent le système de santé ont une meilleure perception des enjeux et de l’intérêt que ce partage peut avoir.
 
Toutefois, les Français ne sont pas prêts à partager leurs données personnelles à n’importe quelle condition. Ils veulent l’assurance de leur anonymat, ainsi que plus de transparence sur les usages, c’est-à-dire savoir qui utilisera leurs données et dans quel but, voire même avoir la possibilité de contrôler les accès délivrés à leurs données.

Ce sondage souligne l’importance de communiquer plus clairement sur les usages des données de santé, et éviter ainsi certaines craintes qui découleraient d’un manque de transparence. Il est également impératif de créer les conditions permettant une telle transparence et traçabilité des usages, comme l’a par exemple fait l’Estonie, en utilisant la blockchain pour fiabiliser le traçage des accès et usages de la donnée patient.

Quelles possibilités offrent les données de santé ?

La donnée de santé peut être de natures différentes, par exemple :

  • Les données médico-économiques : il s’agit notamment des données générées au travers du remboursement des actes, séjours et produits de santé par l’Assurance Maladie, et qui sont agrégées dans la base de données du SNIIRAM (Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie), qui fait tant débat ;
  • Les données cliniques, qui englobent des éléments aussi divers que les résultats de tests sanguins, de radiologies ou encore les compte rendus d’hospitalisation et qui représentent une source d’information immense ;
  • Enfin, il ne faut pas oublier les données que les patients génèrent par le partage d’informations sur les réseaux sociaux ou encore par l’utilisation d’objets connectés (smartphones, podomètres etc.).

Toutes ces données de santé ont, à l’image de la vaccination, une valeur à la fois individuelle et collective. A l’échelle individuelle, elles permettent bien évidemment au médecin d’élaborer le bon diagnostic et de prescrire le traitement adéquat ou encore d’informer le patient sur son état de santé. Collectivement, et à condition d’être anonymisées, ces données produites en grande quantité apportent de multiples bénéfices.

Elles permettent en premier lieu de faire avancer la recherche, dans le cadre de la compréhension des mécanismes biologiques ou encore du développement de diagnostics et de traitements innovants. Dans le cas des maladies génétiques par exemple, l’étude croisée du patrimoine génétique et des données cliniques d’un grand nombre de malades permet d’identifier les causes génétiques des maladies, d’identifier des biomarqueurs, des outils de diagnostic et même des traitements.
 
Les données de santé sont également essentielles afin d’évaluer et d’améliorer les prises en charge et les traitements. Ainsi, la disponibilité de données de vie réelle permet d’accélérer l’accès au marché de traitements innovants (au travers d’adaptive pathways qui prennent en compte les résultats en vie réelle pour ajuster les conditions initiales d’accès), de suivre la performance des traitements et d’améliorer la pharmacovigilance.
 
Outre ces deux bénéfices, les données de santé peuvent jouer un rôle essentiel en matière de prévention. On peut notamment penser aux alertes Sentinelles, réseau composé de médecins généralistes et de pédiatres qui collecte de façon continue des informations sur neuf indicateurs de santé. C’est également en croisant plusieurs types de données, par exemple de santé et environnementales, que l’on peut mettre en évidence d’éventuels risques en santé liés à l’exposition à des risques environnementaux (pollution ou autres).

Enfin, un autre usage essentiel, et dans lequel la France affiche un retard certain par rapport à d’autres pays, est celui du suivi et de l’évaluation de la qualité des soins prodigués et de l’expérience patient. Dans ce domaine, la mesure de la qualité des soins et l’information sur cette dernière doit garantir aux citoyens une réelle transparence sur la performance des acteurs et l’établissement d’une "concurrence par la qualité".

Quelles actions pourraient être menées pour lever les freins et accélérer l'accès aux données de santé ? 

Notons que la France dispose d’une des bases de données médico-administratives parmi les plus importantes au monde. Le SNIIRAM recense des données très largement fiables pour l’ensemble de la population. L’existence d’une telle base est à ce titre plutôt unique.

En revanche, en matière de données cliniques, la France accuse un retard important :nous ne disposons aujourd’hui que de très peu d’outils de mesure et de suivi des résultats cliniques, et de trop peu de cohortes et registres patients en comparaison à ce qui peut se faire en Scandinavie ou aux Etats-Unis par exemple. Les données qui existent sont par ailleurs fragmentées et résident au sein de systèmes peu inter-opérables.

Les barrières techniques à la collecte et l’exploitation consolidée de telles données sont aujourd’hui largement surmontables. A l’image de ce qui se fait pour le remboursement des soins, on pourrait imaginer un système qui permettrait de faire remonter des données cliniques anonymisées des dossiers médicaux et de les chaîner par la suite. Il est également aujourd’hui possible de créer, à des échelles locale, régionale voire nationale, des entrepôts de données ou des data-lakes qui permettent de collecter et d’exploiter des données venant de sources et de formats divers. L’AP-HP met ainsi actuellement en place un tel dispositif.

De plus, si les conditions d’accès aux données médico-économiques s’améliorent, notamment avec la mise en place du Système National des Données de Santé (SNDS), des progrès restent encore à faire, notamment en matière de simplification des conditions d’accès aux données, qui passe par exemple par un allègement des démarches et une réduction des délais d’études des dossiers. En contrepartie de cette simplification des accès, le contrôle a posteriori des usages faits avec ces données est à renforcer. La blockchain pourrait à ce titre être une solution technique intéressante afin d’assurer la fiabilité et l’inviolabilité des informations sur les usages faits de la donnée.

Face à tous ces changements, reste à convaincre plus largement les professionnels de santé. Ouvrir les données de santé implique une transparence accrue sur la qualité des soins qu’ils délivrent. Il faut donc que ces derniers soient prêts à se confronter à une telle évaluation de leur travail. Et autant vous dire que ce ne sera pas “l’École des fans”, au regard de l’hétérogénéité des pratiques et de la qualité des soins ! Pour autant, ne doit-on pas cette transparence à nos patients et citoyens ?
 

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