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30/04/2020

Les États face au coronavirus – La Pologne, entre réactivité et opportunisme

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Les États face au coronavirus – La Pologne, entre réactivité et opportunisme
 Roman Krakovsky
Auteur
Historien, maître de conférences à l’université de Genève

Chronologie 

  • 2 mars : le gouvernement polonais adopte une loi d’exception pour se préparer à la gestion de la crise du Covid-19. 
  • 4 mars : le premier cas du Covid-19 est diagnostiqué en Pologne, le même jour qu’en Hongrie et en Slovénie.
  • 9 mars : le gouvernement impose un contrôle sanitaire à ses frontières.
  • 10 mars : les événements réunissant plus de 1 000 personnes dans les espaces ouverts et plus de 500 personnes dans les lieux confinés sont interdits. 
  • 12 mars : le premier décès du coronavirus est identifié sur le territoire polonais. Les établissements scolaires et culturels ainsi que les universités ferment leurs portes, tandis que les équipes administratives et de recherche continuent à travailler. L’enseignement se fait désormais à distance et les examens de fin d’études et le baccalauréat sont maintenus. 
  • 15 mars : le pays adopte de nouvelles mesures drastiques pour lutter contre l’épidémie : les restaurants, les bars et les clubs ferment tandis que la livraison à domicile reste autorisée. Tous les rassemblements de plus de 50 personnes, y compris religieux, sont interdits. Les entreprises continuent à fonctionner mais le télétravail est désormais à privilégier. Les citoyens polonais ainsi que les étrangers résidant ou travaillant en Pologne qui regagnent le pays se voient imposer une quarantaine de deux semaines. 
  • 20 mars : le Premier ministre Mateusz Morawiecki déclare le pays en état de "guerre épidémiologique". Le nombre de contaminés par habitant est pourtant plus bas en Pologne que dans les 22 autres pays de l’UE. La société polonaise Unimot achète à l’entreprise pharmaceutique Sinopharm International, basée à Hong Kong, 100 000 tests pour le diagnostic du Covid-19. 
  • 25 mars : de nouvelles mesures de confinement limitent les sorties aux raisons professionnelles, aux achats de première nécessité (alimentation, pharmacie) et au bénévolat dans la lutte contre le Covid-19. Les rassemblements de plus de deux personnes sont interdits, à l’exception du cadre familial. Les cérémonies religieuses (messes et funérailles) sont limitées à cinq personnes. L’activité physique à l’extérieur est autorisée dans la limite de deux personnes et en respectant les règles de distanciation sociale. 
  • 28 mars : la parlement adopte un plan de soutien à l’économie polonaise face à la pandémie de Covid-19 d’un montant de près de 50 milliards d’euros (10 % du PIB). 
  • 1er avril : de nouvelles restrictions limitent les sorties à deux personnes, en respectant une distance de 2 mètres. Dans les magasins, le port des gants jetables devient obligatoire pour les clients. Près de 2 600 personnes sont testées positives au Covid-19 et 45 personnes sont décédées. 
  • 6 avril : la chambre basse du parlement donne le feu vert au vote par courrier postal lors des élections présidentielles, le 10 et 24 mai.
  • 9 avril : le gouvernement annonce la prolongation de la fermeture des écoles et des aéroports jusqu’au 26 avril et celle des frontières jusqu’au 3 mai. La quarantaine de 14 jours reste imposée à toute personne entrant sur le territoire polonais et le port de masque devient obligatoire dans les espaces publics. 
  • 10 avril : la Commission européenne autorise un régime polonais d'un montant de 527 millions de zlotys (115 millions d'euros environ) visant à soutenir l'économie polonaise dans le contexte de la pandémie de coronavirus. Malgré le confinement, une cérémonie commémorant l’accident aérien de Smolensk de 2010 est organisée en présence des membres du gouvernement et du Président de Droit et justice (PiS) Jarosław Kaczyński. 
  • 14 avril : les distributeurs automatiques de masques sont déployés sur le territoire et le pays lance la production de ses propres tests de dépistage.
  • 16 avril : le gouvernement dévoile son programme de déconfinement dont la première étape commence le 20 avril. 
  • 20 avril : les restrictions pour la tenue des cérémonies religieuses sont assouplies (50 personnes), alors que celles pour les autres rassemblements publics restent maintenues. Il est désormais possible de se déplacer à des fins récréatives, tout en respectant la distance de 2 mètres et en se couvrant le nez et la bouche. Les forêts et les parcs ouvrent de nouveaux au public, à l'exception des terrains de jeux. Les mineurs peuvent se déplacer sans la présence d’un adulte et les cérémonies religieuses peuvent avoir lieu, en respectant la consigne d’une personne par 15 m2. 
  • 23 avril : la Pologne franchit la barre des 10 000 malades.
  • 24 avril : le gouvernement prolonge la fermeture des frontières jusqu’au 9 mai. La Commission européenne donne son accord aux autorités polonaises pour un programme d’aide polonais d'un montant de 700 millions d'euros visant à soutenir les entreprises touchées par la pandémie de coronavirus.

Analyse

Le nombre de personnes diagnostiquées en Pologne au Covid-19 évolue en pente douce, comme dans les autres pays d’Europe centrale, et les populations restent relativement peu touchées par le virus. Au 26 avril, le pays comptait 11 617 personnes diagnostiquées, 2 265 personnes guéries et 535 décès. 

Le décompte officiel des cas du Coronavirus devrait toutefois être manié avec prudence. Si la Pologne a réalisé, au 15 avril, le plus de tests parmi les pays du groupe de Visegrad (156 493), devant la République tchèque (137 409), la Hongrie (37 326) et la Slovaquie (31 491), proportionnellement à sa population, le pays en réalise en réalité très peu : 4,1 pour 1 000 habitants, presque autant que la Hongrie et la Roumanie (3,9 ‰) et derrière la France (5,1 ‰), la République tchèque (12,8 ‰), l’Allemagne (16 ‰) ou l’Italie (17,7 ‰). Par ailleurs, le pays dépiste seulement les cas les plus graves. 

Des stratégies efficaces pour combattre l’épidémie 

Malgré ces réserves, le bilan de la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement polonais est globalement très positif. Il est le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs. 

D’abord, les autorités polonaises décident de réagir très vite et de mettre en place des mesures très strictes. Le plan pour préparer le pays à la crise du Covid-19 est adopté par le gouvernement avant même l’apparition du premier cas, le 2 mars 2020. À partir du 11 mars, alors que le pays compte 6 personnes diagnostiquées et aucun décès, le gouvernement décide de fermer les écoles et les universités, les établissements culturels et les centres commerciaux et interdit les rassemblements de plus de 50 personnes, y compris dans les églises. Le 20 mars, alors que le pays est déclaré officiellement en état de "guerre épidémiologique", le nombre de contaminés par habitant est plus bas en Pologne que dans les 22 autres pays de l’UE : 425 cas pour une population de 38 millions d’habitants. À partir du 25 mars (1 051 personnes diagnostiquées), le gouvernement décrète un confinement généralisé. Les citoyens peuvent sortir uniquement si cela est vraiment nécessaire, pour faire les courses alimentaires, travailler (la plupart des entreprises continuent de fonctionner même si le télétravail est recommandé) ou faire une promenade, à condition de ne pas former de groupes de plus de deux personnes ne vivant pas sous le même toit et de respecter les règles de distanciation sociale. Les rassemblements, y compris religieux, sont limités à cinq personnes, ce qui entraîne de fait la suspension des messes (retransmises désormais à la télévision et sur internet). Le nombre de personnes dans les transports en commun est limité à la moitié du nombre de places assises.

Le 20 mars, alors que le pays est déclaré officiellement en état de "guerre épidémiologique", le nombre de contaminés par habitant est plus bas en Pologne que dans les 22 autres pays de l’UE : 425 cas pour une population de 38 millions d’habitants. À partir du 25 mars (1 051 personnes diagnostiquées), le gouvernement décrète un confinement généralisé.

La fermeture des frontières constitue la deuxième mesure forte pour contenir l’épidémie. La Pologne est un des premiers pays européens à y recourir, en dépit des protestations initiales de la Commission européenne. À partir du 15 mars, le pays ferme ses frontières aux ressortissants étrangers, suivant l’exemple de la Slovaquie, de la République tchèque, du Danemark, de la Lituanie et du Chypre. Désormais, seuls les Polonais et les étrangers avec un permis de résidence peuvent entrer en Pologne, et doivent passer par une quarantaine de deux semaines. En cas de non-respect de la quarantaine (qui exclut tout contact, même pour les courses), les personnes encourent une amende de 30 000 zlotys (6 600 euros) et un an de prison. La fermeture des frontières a permis de diminuer la mobilité internationale et l’afflux de touristes vers les villes comme Varsovie, Prague ou Budapest, évitant la formation de clusters. Toutefois, cette mesure ne s’applique pas au transport de marchandises, l’imposition du contrôle sanitaire aux chauffeurs s’étant avéré un casse-tête insoluble. En coopération avec la compagnie aérienne nationale LOT, le gouvernement polonais a organisé le rapatriement des Polonais bloqués à l’étranger. À la fin du mois de mars, près de cent mille personnes se retrouvent ainsi en quarantaine. 

Enfin, au sens plus large, les spécificités culturelles et comportementales des populations des pays de l’Europe centrale ont également contribué à contenir la propagation du virus. Une part importante des populations ont réduit considérablement les déplacements avant même la mise en place du confinement, constatant l’évolution de la situation en Europe occidentale. Selon les données de géolocalisation de Google, l’utilisation des transports en commun a baissé de près de 60 % et les déplacements pour le travail ont diminué de 40 %. Le port du masque a été généralisé très rapidement et la distanciation sociale est traditionnellement plus importante en Europe centrale qu’en Europe occidentale ou méridionale. Enfin, la part des populations rurales, traditionnellement moins mobiles et ayant moins d’interactions, est plus importante dans ces pays qu’à l’ouest du continent (40 % en Pologne, contre 22 % en Allemagne, 19 % en France et 16 % au Royaume-Uni).

Ce bilan positif est l’une des principales raisons pour lesquelles les populations se montrent très satisfaites de la gestion de la crise par les autorités : le 10 mars, 52,5 % de Polonais considèrent que le gouvernement gère la crise très bien ou plutôt bien, tandis que seulement 22,6 % expriment des opinions négatives. Fin mars, le ministre de la Santé, Łukasz Szumowski, cardiologue et professeur de médecine, se trouve en troisième position des personnalités politiques les plus populaires, après le président Andrzej Duda et le Premier ministre Mateusz Morawiecki. 

Le Covid-19 et la crise du secteur hospitalier

La radicalité des mesures adoptées par le gouvernement polonais peut être interprétée comme le signe d’une prise de conscience précoce de la gravité de la pandémie. Mais c’est probablement en partie également une forme d’aveu d’incapacité des services de l’État à prendre en charge de manière efficace les personnes contaminées. Le secteur de la santé polonais souffre en effet d’un sous-investissement chronique : en 2018, les dépenses de santé publiques et privées représentent selon l’OCDE seulement 6,3 % du PIB du pays, contre 8,8 % en Italie et 11,2 % en Allemagne et en France. Le pays dispose d'environ 10 000 respirateurs et de 4,85 lits en soins intensifs pour 1 000 habitants, soit plus que la France (3,09 ‰) mais moins que la Belgique (4,98 ‰) ou l’Allemagne (6,02 ‰). Les bas salaires et les mauvaises conditions de travail, à l’origine de plusieurs grandes grèves du personnel hospitalier ces dernières années, ont poussé de nombreux médecins et infirmières à émigrer au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse ou dans les pays scandinaves. De nombreux hôpitaux polonais ont ainsi été contraint ces dernières années de fermer des services entiers, en partie en raison de l’impossibilité de pourvoir des postes. La pénurie du personnel médical et le sous-investissement hospitalier se sont ainsi avérés être un lourd handicap en période de crise du coronavirus. Selon le ministère de la Santé, près d’un tiers de contaminations seraient occasionnées par des contacts dans un hôpital ou une clinique, au contact d’autres patients ou du personnel médical. 

L’impact économique de la crise sanitaire

L'épidémie de Covid-19 aura un impact considérable sur l'économie polonaise. Selon les scénarios, la croissance du PIB devrait osciller entre 1,7 % et -10,7 %, et le chômage entre 5,4 % et 10,2 %. L'économie polonaise pourrait ne pas sortir de la crise avant 2021. Compte tenu du fait que moins de 30 % des Polonais épargnent de l’argent et qu’un quart des travailleurs – l’un des taux les plus élevés d’UE – sont embauchés sous des formes flexibles (auto-entrepreneurs, contrats à la tâche ou à la pièce) et ne bénéficient pas d’assurance chômage, l’impact économique de la crise pourrait remettre en question la popularité du gouvernement.

L’affaiblissement de l’état de droit 

Enfin, la crise du Covid-19 s’est avérée être une opportunité pour le gouvernement polonais pour tenter de faire passer en force certaines lois controversées et de mettre Andrzej Duda, le président sortant et candidat à sa réélection, en position de force. 

La loi d’exception adoptée par le gouvernement le 2 mars pour se préparer à la gestion de la crise du Covid-19 a été très vite qualifiée de liberticide, donnant aux autorités un pouvoir arbitraire sans contrôle d’un tribunal administratif. En plus, selon certains observateurs, la loi établissait de facto un état d’urgence de 180 jours, alors que la constitution polonaise définit déjà le cadre d’un état d'urgence (excluant notamment la tenue d’élections) et limite sa durée à 90 jours. 

Le 16 avril, le parlement polonais, dominé par les conservateurs nationalistes de Droit et Justice (PiS), a réexaminé le projet de loi "Stoppons l’avortement". Alors que le droit à l’IVG est déjà très restrictif en Pologne – il est autorisé seulement en cas de danger pour la santé de la mère, d’inceste, de viol et de sévères malformations du foetus –, le projet de loi, initié par l’Institut Ordo Iuris, proche du PiS, propose de supprimer la malformation du foetus des conditions ouvrant accès à l’avortement. Compte tenu du fait que cette condition constitue 95 % des IVG pratiquées dans le pays, une telle modification de la loi reviendrait à proscrire l’IVG dans le pays. Malgré l'interdiction des rassemblements liée au coronavirus, les mouvements de femmes ont organisé des manifestations à proximité du parlement, formant une longue file d’attente devant une épicerie et affichant des banderoles et des panneaux avec leurs slogans. Le contexte exceptionnel lié à l'épidémie du Covid-19 et les protestations ont amené les députés à refuser de se prononcer sur cette proposition et à la renvoyer en commission jusqu'à nouvel ordre. Par la même occasion, le parlement a renvoyé en commission deux autres projets de loi controversés. Le premier proposait de pénaliser la propagation publique des rapports sexuels entre mineurs. Il est considéré par ses critiques comme visant à interdire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles. L’autre visait à bloquer d’éventuelles revendications des Juifs concernant des biens restés sans successeur connu en Pologne après la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, les Polonais devaient élire leur président, le 4 et 10 mai 2020. Compte tenu du contexte sanitaire, le parlement envisageait initialement de reporter le scrutin. Or, les mesures de confinement ont déplacé la campagne du terrain vers les médias et l’internet, permettant au président sortant Andrzej Duda d’occuper l’espace médiatique, déjà en grande partie contrôlé par PiS, le mettant en position de force. Si la bonne gestion de la crise du coronavirus a encore renforcé sa popularité, la sortie du confinement, entamée le 20 avril, et les conséquences économiques de la crise qui se feront alors sentir, risquent de l’affaiblir. Le gouvernement a ainsi fait un volte-face et a annoncé le maintien des élections, au 10 et 24 mai. Le 31 mars, il a déposé un projet de loi généralisant la possibilité de vote par correspondance, alors qu’actuellement, seuls les Polonais de plus de 75 ans et les personnes ne pouvant se déplacer pour raison médicale ont le droit de voter par voie postale.

La loi d’exception adoptée par le gouvernement le 2 mars pour se préparer à la gestion de la crise du Covid-19 a été très vite qualifiée de liberticide, donnant aux autorités un pouvoir arbitraire sans contrôle d’un tribunal administratif.

Selon la Commission de Venise, un organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, la démocratie et les droits de l’homme, les caractéristiques essentielles des lois électorales ne devraient pas être modifiées moins d’un an avant les élections. Le 26 avril, le commissaire européen à la Justice Didier Reynders a déclaré que les conditions n’étaient pas réunies pour que des élections "libres" et "légitimes" puissent avoir lieu en Pologne le 10 mai, en raison du coronavirus. "Je suis convaincu que la crise du Covid-19 soulèvera toutes sortes de questions juridiques de la part des citoyens et des entreprises, et pour relever ce défi, nous avons besoin d’un système judiciaire indépendant et qui fonctionne bien", a conclu Didier Reynders. Par ailleurs, le 8 avril, la Cour de justice de l’Union européenne a demandé la suspension de la réforme judiciaire controversée que la Pologne a approuvée en 2017. Celle-ci soumet les juges de la Cour suprême et des tribunaux ordinaires à un régime disciplinaire. 

Dans ce contexte tendu, l’association Reporters sans frontières vient de publier, mi-avril, son classement mondial de la liberté de la presse. La Pologne, comme la Hongrie, y enregistre sa cinquième baisse consécutive, passant de la 22e position en 2013 à la 62e en 2020. Il s’agit de son plus bas classement historique. Le rapport affirme que "les tentatives de mise au pas du système judiciaire par le pouvoir en place commencent à produire leurs effets sur la liberté d’expression dans les médias indépendants. On assiste ainsi à une pénalisation croissante des sanctions contre la presse en matière de diffamation. Certains tribunaux utilisent désormais l’article 212 du code pénal qui permet de condamner des journalistes suspectés de diffamation à des peines allant jusqu’à un an de prison". 

 

Copyright : WOJTEK RADWANSKI / AFP

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