Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
21/02/2020

Législatives iraniennes : une élection prévisible, mais stratégique

Imprimer
PARTAGER
Législatives iraniennes : une élection prévisible, mais stratégique
 Jean-Baptiste Bégat
Auteur
Spécialiste du Moyen-Orient

Les Iraniens étaient appelés, le 21 février,  au premier tour des élections législatives, afin d’élire leurs 290 représentants au Madjles, l’assemblée législative détenant officiellement l’essentiel du pouvoir législatif dans la République islamique. Si le Madjles dispose, dans les faits, d’un pouvoir limité car très encadré, et ne s’oppose jamais sur le fond aux priorités du Guide, il n’en reste pas moins une des rares institutions démocratiquement constituées en Iran, servant à ce titre de baromètre politique du pays. La plupart des observateurs anticipent une large victoire des candidats conservateurs, proches de la ligne du Guide suprême, pour au moins trois raisons. Ces estimations ont été confirmées par la nette avance des conservateurs à l’issue du premier tour, même s’il faudra attendre le second tour, au mois d’avril, pour disposer de résultats définitifs. 

La victoire annoncée de la ligne du Guide

En premier lieu, il serait erroné de présenter les élections législatives sous la République islamique comme un suffrage réellement libre, dans la mesure où les candidats doivent être autorisés en amont à se présenter par le Conseil des gardiens de la Constitution, le shoura-ye negahbân. Celui est composé de 12 membres, dont six sont des religieux directement nommés par le Guide suprême, et les six autres sont élus par le Madjles sur proposition de l’Autorité judiciaire, elle-même dépendante du Guide. Ensemble, ils statuent de manière discrétionnaire sur la conformité des candidats aux bonnes moeurs et à l’islam, des critères pour le moins subjectifs, en réalité utilisés pour filtrer les candidatures jugées trop éloignées de la ligne du Guide. Cette année, le barrage a été particulièrement sévère, puisque plus de 9 000 candidats sur les 16 000 qui se seraient présentés ont été disqualifiés d’emblée. Parmi eux, environ 90 étaient des députés en cours de mandat, proches de la ligne réformatrice de Hassan Rohani, qui se présentaient à leur réélection. S’ils avaient été jugés compatibles, lors des précédentes élections législatives, aux critères du Conseil des Gardiens, ce n’est pas le cas cette fois-ci, signe évident de la volonté de la Guidance de resserrer son contrôle sur les élections. 

Des personnalités réformatrices de premier rang sont ressorties publiquement affaiblies de cet épisode, comme par exemple Ali Laridjani, président modéré du Parlement, ou bien les députés réformateurs Sadeghi et Motahari. Le positionnement ambigu de Rohani, dénonçant la pré-sélection drastique du Conseil des Gardiens, mais appelant tout de même les Iraniens réformateurs à aller voter, démontre bien à lui seul les limites de la position modérée au sein de la République islamique, promouvant la réforme mais ne pouvant frontalement critiquer le Guide.  

En deuxième lieu, ce suffrage intervient à l’issue d’une séquence marquée par d’importants mouvements de protestation sociale à l’encontre des conditions économiques très dégradées, mais aussi d’un régime jugé de plus en plus incompétent par la rue iranienne. Au mois de novembre 2019, des milliers d’Iraniens des classes pauvre et moyenne de la population avaient manifesté contre une réforme renchérissant le prix subventionné du pétrole. Au mois de janvier 2020, ce fut au tour des étudiants de protester, à Téhéran, face au mensonge d’Etat concernant l’abattement d’un avion de ligne ukrainien par les Gardiens de la Révolution. Ces différents mouvements furent systématiquement réprimés dans une grande violence, ayant par exemple mené à 300 morts (estimation la plus conservatrice) et à la coupure totale d’internet pendant une semaine en octobre. 

Ce seront principalement les Iraniens fidèles au régime qui devraient se déplacer, et voter en large majorité pour les candidats dans la ligne conservatrice du Guide.

La dureté de cette réponse a démontré de manière significative que le régime n’entendait plus tolérer un espace d’opposition populaire. La grande majorité des Iraniens en quête d’ouverture devrait, dans ce contexte, opter pour l’abstention aux élections législatives, considérant que voter revient à légitimer un système qu’elle répudie. Le taux de participation a ainsi été particulièrement faible, avec des chiffres officiels autour de 45 % pour le premier tour, et une participation réelle probablement en-deçà. Il est ainsi probable que le taux de participation soit très faible (certains sondages estiment celui-ci à 25 %, avec une forte variance entre une participation encore plus faible dans les grandes villes et plus forte dans les villes intermédiaires et rurales où se trouve la base du régime). Ce seront ainsi principalement les Iraniens fidèles au régime qui se sont déplacés, et ont voté en large majorité pour les candidats dans la ligne conservatrice du Guide. 

Sur le plan plus strictement politique enfin, le bilan des réformateurs, aux manettes de l’Etat élu depuis 2013, paraît objectivement difficile à défendre. Victimes du retrait américain de l’Accord de Vienne, impuissants à contrer les effets néfastes des sanctions extraterritoriales des Etats-Unis, les réformateurs n’ont pas pu démontrer la pertinence de la voie de l’ouverture. Ils disposent certes de bonnes excuses, n’étant pas responsables des décisions unilatérales de Washington et ayant dû composer avec l’opposition larvée des contre-pouvoirs conservateurs non-élus du régime (Guidance, Gardiens de la révolution). Ce triste bilan n’en convainc pas moins une petite partie de l’électorat iranien qu’il vaut mieux un régime monolithiquement conservateur, jouissant de coudées franches pour agir avec détermination, qu’un régime schizophrène dont la partie élue serait réformatrice, mais impuissante. 

Des élections cruciales, au-delà de leurs résultats

Les jeux semblant être ainsi joués d’avance, de quoi ces élections peuvent-elles tout de même être révélatrices ? 

Les législatives iraniennes marquent tout d’abord l’entrée dans un nouveau cycle politique, qui débouchera sur les élections présidentielles d’avril 2021. Une large victoire des conservateurs au Madjles lancera parfaitement les candidats conservateurs à la tête de l’exécutif dans 14 mois. Elle leur permettrait également de neutraliser la dernière année du deuxième mandat de Rohani, en ne votant pas les lois proposées par son gouvernement. Cette probabilité pourrait être lourde de conséquence, par exemple dans l’hypothèse où un nouveau président démocrate aux Etats-Unis chercherait à relancer des négociations avec Téhéran à partir de décembre 2020. L’opposition d’un Madjles proche de la ligne du Guide rendrait, pour le gouvernement, ce scénario difficile à mettre en œuvre sur le plan diplomatique. 

A bas bruit, l’idée d’une révision constitutionnelle progresse dans les milieux conservateurs, la tenue d’élections, certes seulement semi-démocratiques, étant de plus en plus perçue par le régime comme un risque pour sa survie.

Un deuxième enjeu de ces élections touche à la question de la réforme des institutions iraniennes. A bas bruit, l’idée d’une révision constitutionnelle progresse dans les milieux conservateurs, la tenue d’élections, certes seulement semi-démocratiques, étant de plus en plus perçue par le régime comme un risque pour sa survie. C’était déjà à l’occasion de la réélection contestée d’Ahmadinejad que le Mouvement vert avait, en 2009, fait vaciller le régime. Dans ce contexte, le Guide, qui prépare aussi sa succession, pourrait chercher à lancer une révision, selon les lignes qu’il a déjà exposées il y a quelques années, visant à rapprocher le pays d’une république parlementaire dans laquelle le poste de Président serait supprimé. Le pouvoir exécutif reviendrait ainsi à un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, privant donc les Iraniens d’élections présidentielles. Cette évolution ne contreviendrait pas au principe fondamental du velayat-e faqih (gouvernance des jurisconsultes), qui prévoit une double légitimité démocratique et divine au pouvoir politique. A prérogatives parlementaires inchangées, une telle révision constituerait un net accroissement du pouvoir non-élu (Guidance et Gardiens), tant le pouvoir réel du Madjles est aujourd’hui limité dans les faits. 

Enfin, l’enjeu le plus immédiat est celui du taux effectif de participation aux élections législatives, et de ses éventuelles conséquences. Le taux de participation annoncé par le régime à l’issue du premier tour (environ 45 %) était suffisamment faible pour paraître crédible (il s’agit d’un bas historique dans l’histoire de la République islamique), mais probablement nettement au-delà des vrais chiffres selon beaucoup d’observateurs. La participation au second tour (prévu dans la majorité des régions du pays, seules quelques rares circonscriptions ayant élu un candidat dès le premier tour) confirmera très probablement cette tendance. Le raz-de-marée conservateur attendu au Madjles, couplé à cette très faible participation, confirme pour beaucoup le caractère de moins en moins démocratique de la République islamique. 

 

Copyright : ATTA KENARE / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne