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15/03/2018

L’économie russe confrontée à ses difficultés. Entretien avec Sergei Guriev.

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L’économie russe confrontée à ses difficultés. Entretien avec Sergei Guriev.
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Le 18 mars 2018, 110 millions de citoyens russes sont appelés aux urnes pour (ré)élire leur prochain Président. Si la réélection de Vladimir Poutine a tout de l’évidence, ce scrutin est l’occasion de faire un bilan des réformes menées par le président Poutine et un état des lieux de l’économie russe. Sergei Guriev, chef économiste à la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement et research fellow au Center for Economic Policy Research (Londres), décrypte ces enjeux. 

Quels sont les principaux défis économiques auxquels la Russie se trouvera confrontée lors de la prochaine décennie ? 

La Russie a besoin de mener de véritables réformes structurelles, sur plusieurs fronts : augmenter ses investissements dans la lutte contre le changement climatique, endiguer la corruption, déréguler et privatiser certains secteurs de l’économie, mettre fin à son isolement commercial et, enfin, investir dans le capital humain. Ces réformes ont été soulignées par le gouvernement russe à de nombreuses reprises, notamment lors de la campagne électorale du président Poutine en 2012. 

Ces réformes, comme annoncé par le décret signé le 7 mai 2012 par Vladimir Poutine au premier jour de son mandat actuel, avaient pour but de créer 25 millions d’emplois à haute valeur ajoutée (ce qui, comparé aux 72 millions d’emplois russes actuels, est immense). Le gouvernement n’a cependant pas encore annoncé combien de ces emplois avaient véritablement vu le jour. 

L’objectif de ces politiques était de lever un investissement devenu indispensable : de 21 % du PIB à 25 % en 2015 puis à 27 % du PIB russe en 2018. En réalité, le ratio investissement/PIB a décliné, atteignant 19 % en 2015 puis 18 % en 2016 (dans le même temps, le PIB russe diminuait de 3 points de pourcentage, en grande partie dû au déclin des prix du pétrole). 

Un autre de ses objectifs était d’augmenter la productivité du travail de 50 % entre 2011 et 2018. Alors que ni la population, ni le taux d’emploi n’ont progressé, cette promesse équivalait à celle d’une croissance de 50 % du PIB russe entre 2011 et 2018 (soit environ 6 % de croissance chaque année). Dans les faits, la progression cumulée de la croissance entre 2011 et 2017 n’était que de 5 % (soit moins de 1 % chaque année). Les prévisions pour 2018 s’accordent sur un chiffre inférieur à 2 %. En d’autres termes, au lieu des 50 % de croissance attendus, la Russie n’en aura connu que 7 % cumulés sur cette période. 

Pour expliquer cet écart entre promesses et réalités, on peut avancer le manque de réformes conduites, qui, bien qu’annoncées, n’ont jamais été mises en place, ainsi que l’isolement commercial du pays débuté en 2014. Le consensus parmi les institutions financières et les acteurs des marchés (à l'exception de Goldman Sachs, bien plus optimiste que les autres) est que sans ces réformes vitales, la Russie continuera à stagner (avec une croissance entre 1 et 2 % par an) et sera à la traîne des autres puissances. Selon ce scénario, la Russie serait, dans les années à venir, rattrapée par la Chine (puis par le Kazakhstan) en termes de revenu par habitant et de salaires. 

Par conséquent, la Russie n’a d’autre choix que de rattraper les économies à forte croissance. Le pays devrait surmonter l’isolement économique et technologique et mettre en place des incitations capables d’attirer les investissements domestiques et étrangers. Que cela ait été maintes fois répété n’en amoindri pas l’importance. 

Quel a été l’impact des sanctions sur l’économie russe ? Et sur les économies européennes ? 

L’impact direct des sanctions sur l’économie russe n’est pas insignifiant, mais il est limité : entre 0,5 et 1 % du PIB. Cependant, les sanctions ont eu un impact puissant sur la dynamique des investissements domestiques et étrangers en Russie, réduisant le transfert de technologie sophistiquée et la possibilité pour les entreprises russes de participer aux chaînes de valeurs mondiales. S’il est difficile d’en mesurer la portée, ce phénomène a certainement contribué au déclin de l’investissement. Cela s’est également reflété dans la faible cotation des marchés. Les actifs russes sont évalués à environ 5 ou 6 fois leurs bénéfices nets annuels, contre 12 à 16 pour d’autres économies émergentes ou 20 à 25 dans les économies développées. La première raison du pessimisme des investisseurs repose sur le risque-pays de la Russie, qui s’explique en partie par les sanctions occidentales.

L’impact des sanctions sur l’Europe est lui négligeable. Pour des entreprises individuelles qui avaient l’habitude d’exporter ou d’investir en Russie, il y a un effet concret. Mais pour l’économie européenne dans son ensemble, l’impact est faible. Les exportations agricoles européennes ont augmenté ces dernières années et non l’inverse, se réorientant simplement vers d’autres marchés.  
 

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