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19/03/2018

Le nécessaire réveil de l'Europe face aux menaces

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Le nécessaire réveil de l'Europe face aux menaces
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Sur le papier, le rituel est fidèlement respecté. La chancelière entame comme il se doit son quatrième mandat par un passage obligé à Paris. Les conditions pour une relance franco-allemande semblent propices. Un équilibre de déséquilibre a été rétabli entre Berlin et Paris : une Allemagne toujours dominatrice sur le plan économique, une France brillamment de retour sur la scène du monde, portée par l'énergie et le charisme de son jeune président. Pour faire référence à des termes sportifs la France et l'Allemagne rejouent à nouveau dans la même division.

La deuxième raison d'être prudemment optimiste est l'aggravation de la situation internationale et régionale. A l'heure de Trump, de Poutine, de Xi Jinping et  des populismes - de la Hongrie à l'Italie en passant par la Pologne - il n'existe pas d'autre choix.

"L'Europe n'est plus un choix, comme elle pouvait l'être encore il y a deux ans, elle est une nécessité historique", pour citer l'un des derniers grands témoins et acteurs du projet européen, le Français Georges Berthoin, qui eut très jeune le privilège de travailler aux côtés de Jean Monnet et de Robert Schuman. L'Europe unie est seule désormais à pouvoir fixer des limites à la Russie de Poutine , à proposer et à défendre un projet alternatif à celui de la Chine de Xi Jinping, et à représenter sans emphase et sans outrance une démocratie libérale, respectueuse de l'humain et de la planète.

Malentendu franco-allemand

Paradoxalement, aujourd'hui, les non-Européens sont sans doute plus disposés à entendre ce message que les Européens eux-mêmes. Car le malentendu commence peut-être "au coeur du coeur" du projet européen lui-même, le couple franco-allemand. La France de Macron a un ambitieux - et, pour l'auteur de ces lignes, légitime - projet de relance de l'Europe, à partir du renforcement de la zone euro. Mais l'Allemagne de Merkel est-elle prête à se rallier au projet français ?

A Francfort, où je me trouvais cette semaine, mes interlocuteurs allemands étaient loin d'en être convaincus. Je mettais en avant l'argument classique. En ce début de quatrième mandat, Angela Merkel n'a rien à perdre. Ce qui compte pour elle désormais, c'est la place qu'elle laissera dans l'histoire. Sera-t-elle perçue comme la chancelière qui a tenu le cap, lorsqu'elle était seule ou presque et qui a su ensuite faire preuve de vision et de courage en se ralliant au projet français ?

Un autre scénario m'était opposé par nombre de mes interlocuteurs allemands, dont certains proches d'Angela Merkel. "La chancelière est luthérienne, fille de pasteur : elle a promis devant Dieu de défendre sa charge et les responsabilités qui viennent avec elle. Elle n'est pas prête à céder une once de ses pouvoirs en faveur d'un processus d'intégration auquel elle ne croit pas pleinement."

L'homme qu'elle a contribué à "tuer politiquement", le chancelier Helmut Kohl, avait, lui, connu la guerre, et avait accepté de sacrifier le deutsche mark sur l'autel de la paix européenne. Autres temps, autres priorités. La passion européenne de l'Allemagne s'est tarie au moment où revenaient des profondeurs de son passé des relents de xénophobie et d'extrémisme. L'histoire dira laquelle de ces deux interprétations des intentions de l'Allemagne, positive ou plus prudente, est la bonne.

Le désordre italien

Ce qui est certain, c'est que dans un tel contexte d'incertitudes, l'Europe ne peut se résumer au renforcement de la zone euro à partir du couple franco-allemand. Pour légitime et centrale que soit cette priorité, elle ne saurait faire oublier l'essentiel : le divorce grandissant entre les citoyens et le rêve européen. Un divorce qui est davantage le produit du jugement négatif que les peuples portent sur les performances de l'Europe que sur son essence elle-même.

Pour la première fois dans un des grands pays fondateurs du projet européen, l'Italie, des populistes sont aux portes du pouvoir. Et des populistes particulièrement durs dans le cas de la Ligue de Salvini. Une des raisons majeures de l'effondrement des partis classiques a été bien sûr l'afflux des réfugiés. Sur cette question décisive les Italiens ont eu le sentiment qu'il n'y avait pas trop, mais pas assez d'Europe. Les pays de l'Union qui s'inquiètent, légitimement, des résultats des élections italiennes paient le prix de leur mélange corrosif d'égoïsme et d'indifférence.

La Russie nous teste

Si l'Europe veut vraiment se relancer, elle ne peut le faire qu'à partir de ces deux termes clefs que sont la solidarité et la fermeté. Ces principes s'appliquent parfaitement aujourd'hui dans la crise qui secoue les relations entre la Grande-Bretagne et la Russie, même si le Royaume-Uni a choisi par référendum de quitter l'Union.  Si Londres peut apporter la preuve que Moscou est bien à l'origine de l'attaque aux armes chimiques qui s'est déroulée il y a quelques jours dans la ville de Salisbury, la seule politique digne et responsable est de lui apporter notre soutien, entier et réel.

La Russie de Poutine nous teste. Elle compte sur la force de nos réactions verbales, qui contribueront à mobiliser les électeurs derrière Poutine. Et sur la faiblesse de nos sanctions réelles, qui rendront cette succession de provocations indolores pour un empire qui joue du sentiment d'isolement de ses citoyens pour consolider son emprise sur eux.

La fermeté doit s'appliquer aussi à l'encontre de tous ceux qui, au sein de l'Union européenne, violent délibérément les valeurs qui fondent notre "club de démocraties libérales". Il n'y a pas de place au sein de l'Union pour des pays qui prônent les mérites de la "démocratie illibérale". On ne peut pas, être à la fois dedans pour bénéficier de l'aide économique des plus riches, et dehors au niveau du système des valeurs. La passivité et l'indifférence ne sont pas des options.

Parce qu'elle doit faire sans l'Amérique, à l'heure de la montée des despotismes et des populismes, l'Europe doit être plus derrière l'Allemagne et la France.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos(publié le 19/03/18).

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