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06/03/2020

Le grand doute : les primaires démocrates à l’ombre de Donald Trump

Le grand doute : les primaires démocrates à l’ombre de Donald Trump
 Olivier-Rémy Bel
Auteur
Visiting Fellow à l'Atlantic Council

Actuellement Visiting Fellow à l’Atlantic Council à Washington DC, Olivier-Rémy Bel est allé sur le terrain, en Caroline du Sud, dans les jours qui ont précédé le Super Tuesday, à la rencontre des électeurs mobilisés par les primaires démocrates, et des partisans de Donald Trump électrisés par sa venue. Il nous livre ici ses impressions, et quelques hypothèses pour éclairer les enjeux des élections du mois de novembre.

Au milieu des belles demeures d’avant-guerre (de Sécession, cela s’entend), deux soutiens de Bernie Sanders déambulent dans les rues de Charleston, Caroline du Sud. Jeunes urbains blancs de la côte Est, ils sont venus renforcer les équipes de leur candidat dans un État clé avant le Super Tuesday. Quelques rues plus loin, des militants locaux, drapeaux rouges à croix bleues à l’arrière des pick-ups, se dirigent vers le monument érigé à la mémoire des "défenseurs confédérés de Charleston", inquiets de cette effervescence démocrate en ville.

En ce samedi 28 février, la Caroline du Sud vote pour choisir le candidat démocrate à l’élection présidentielle. Joe Biden y espère une victoire, grâce au soutien de l’électorat afro-américain, qui le remettra en selle. La veille, Donald Trump est venu tenir un meeting à Charleston. C’est un bon endroit pour recueillir des impressions qui, sans prétendre à une forme de rigueur scientifique ou d’exhaustivité, aident à prendre le pouls de la campagne.

Commençons par les Républicains. Donald Trump est ostensiblement venu à Charleston pour soutenir la réélection au Sénat de Lindsey Graham, chargé de conduire le procès en impeachment en tant que président du comité judiciaire du Sénat. C’est surtout une bonne occasion, en remplissant les 15 000 places du stade de Charleston Nord, de s’immiscer dans la primaire démocrate comme il l’avait fait dans les quatre derniers États à voter.

Deux impressions dominent. La première, c’est le côté festif, joyeux et divertissant du meeting. Les participants mangent du popcorn et des burgers, lancent une ola, rivalisent pour savoir si le côté droit ou gauche du stade crie le plus fort, dansent sur la chorégraphie de YMCA et rient aux boutades de Trump.

Donald Trump répond aux interpellations, fait huer ou applaudir, joue la connivence en utilisant le pool média au milieu de la salle. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est une façon de faire de la politique autrement.

C’est une expérience plus proche du match de football que de la réunion politique. Et cela se traduit dans le "discours" de Donald Trump : ce n’est pas un tribun qui harangue la foule, c’est un one-man show qui s’amuse avec son public.  Il répond aux interpellations, fait huer ou applaudir, joue la connivence en utilisant le pool média au milieu de la salle (sur le registre de "je ne peux pas le dire parce qu’ils sont là mais vous voyez ce que je veux dire"). Pour le meilleur ou pour le pire, c’est une façon de faire de la politique autrement. Et ce n’est certainement pas étranger à sa capacité à mobiliser, et notamment à mobiliser des électeurs peu politisés. Une bonne partie des fans rencontrés ce soir-là participent en effet à leur premier meeting politique.

La seconde impression, c’est la normalité des spectateurs. Il ne s’agit pas d’une foule de suprémacistes blancs vivant dans leur trailer entourés de drapeaux confédérés et de fusils d’assaut. On trouve bien quelqu’un pour vous expliquer que George Bush était victime du complot illuminato-maçonnique, on rencontre bien des jeunes en vestes de chasse et rangers, mais la plupart des participants sont simplement des américains "normaux". Une secrétaire à la retraite qui a toujours voté Républicain, un jeune étudiant en philosophie dont c’est la première élection, un croisiériste ex-Démocrate séduit par les talents de businessman du président Trump. Les gens sont souvent venus en famille, comme on emmènerait ses enfants au baseball. Pour autant, une fois à l’intérieur, tous semblent pris de la même ferveur, animés d’un sens d’appartenance puissant dont les ressorts apparaissent davantage identitaires qu’idéologiques.

On ne peut s’empêcher de songer à la transformation du parti Républicain par Donald Trump. Il a su attirer de nouveaux électeurs tout en remodelant la base traditionnelle. C’est d’autant plus marquant parmi les plus jeunes électeurs, ceux dont les années de construction personnelle, intellectuelle et identitaire ont été, depuis plus de quatre ans, façonnées par Donald Trump et qui en tirent une expérience différente des normes et standards du débat politique. Pour certains, ils souhaitent que cela continue et appellent de leur vœux une présidence d’Ivanka ou Eric Trump. Que Donald Trump quitte la Maison Blanche en janvier 2021 ou 2025, il aura laissé une marque profonde dans le parti Républicain et dans la culture politique américaine, une empreinte qui lui survivra.

L’empreinte de Donald Trump dans l’Amérique est justement ce qui préoccupe les Démocrates. C’est la première impression que laissent ceux croisés lors des meetings de Pete Buttigieg et Joe Biden ou rencontrés à l’occasion d’entretiens. Retraité d’Indiana venu vivre au soleil, enseignante afro-américaine qui partage son temps libre entre son deuxième boulot de serveuse et sa candidature à la chambre des représentants, soccer mom des banlieues chics, ils ont conscience qu’une victoire en 2020 ne serait pas un "return to normal" mais qu’il faudra ou un deux cycles électoraux pour effacer la marque de Donald Trump.

Ils sentent surtout que cela ne pourra se faire en retournant au statu quo ante et qu’il est nécessaire de bâtir quelque chose de nouveau. Ils disent leur volonté de chercher des manières innovantes de faire de la politique, de trouver de nouveaux espaces communs et de (re)tisser du lien social.

L’empreinte de Donald Trump dans l’Amérique est justement ce qui préoccupe les Démocrates.

Pour autant, les Démocrates rencontrés peinent à définir des solutions ou proposer des alternatives. Il se dégage, notamment chez ceux qui ont des responsabilités locales, un certain sentiment d’impuissance. Il ne s’agit pas d’abandon. Ils continuent de se battre et restent mobilisés. Pour autant, ils n’arrivent pas à trouver les leviers de cette nouvelle politique, de ce nouveau sens du commun qu’ils appellent de leurs vœux.

Cela se traduit par une certaine difficulté à choisir un candidat qui serait capable de battre Donald Trump mais aussi – voire surtout – de bâtir ensuite. Joe Biden, empathique, serait idéal pour "panser" l’Amérique mais apporte-il vraiment le renouveau ? Pete Buttigieg est jeune – peut-être trop. Bernie Sanders porte des idées radicales mais sera-t-il capable de les mettre en œuvre ? Les raisonnements sont souvent plus complexes et brouillons que les grandes catégories de "progressiste" et "centristes" qui dominent la discussion à Washington. La question de l’incarnation – qui a la "figure" de Président ? – semble jouer un rôle prépondérant. Tout cela doit conduire à une certaine humilité dans notre capacité à anticiper les reports de voix et prédire les dynamiques électorales.

Sous le soleil de Caroline du Sud, et avec toute la prudence qu’impliquent des impressions locales, le contraste entre Républicains et Démocrates est saisissant. Les Républicains ont trouvé leur manière de faire de la politique autrement et souhaitent que cela dure – au moins "dix ans de plus" comme ils le chantent ensemble. Les Démocrates sont pleins d’espoir mais cherchent encore la personne et les idées pour incarner ce monde nouveau.

 

Copyright : SAUL LOEB / AFP

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