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31/10/2017

Israël-Palestine : sortir enfin de l'enlisement

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Israël-Palestine : sortir enfin de l'enlisement
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Il y a cent ans, la déclaration de lord Balfour sur la création d'un "foyer national juif" en Palestine annonçait l'édification ultérieure de l'Etat d'Israël. Mais ce soutien occidental, dont les termes disent l'ambiguïté, a conduit à un conflit israélo-palestinien à ce jour irrésolu.

L'année 2016 fut celle du centenaire de la signature des accords Sykes-Picot. Ces "lignes dans le sable" tracées par les diplomaties britanniques et françaises sur les ruines d'un Empire ottoman qui vivait ses dernières heures. Ce sont ces frontières dessinées par les empires coloniaux que Daech - désormais défait dans son ambition territoriale de reconstituer le califat - entendait remettre en cause.

L'année 2017 coïncide, elle, avec le centenaire de la déclaration Balfour qui, le 2 novembre 1917 - via une lettre de lord Balfour, alors ministre des Affaires étrangères après avoir été Premier ministre du Royaume-Uni, à lord Rothschild -, promettait le soutien du gouvernement britannique à l'établissement d'un "foyer national juif en Palestine". Cette promesse était accompagnée d'une stipulation essentielle. Les droits des musulmans ou chrétiens habitant alors en Palestine devaient être scrupuleusement pris en compte, aux mêmes titres que ceux des juifs.

Étape essentielle vers la renaissance d'un Etat juif pour les uns, contribution décisive à la "catastrophe" infligée au peuple palestinien pour les autres, la déclaration Balfour sera célébrée par les Israéliens, dénoncée ou ignorée par les Palestiniens ou le monde arabe dans son ensemble.

La déclaration Balfour ou le double jeu de l'Europe

La déclaration Balfour résume dans toute son ambiguïté - elle parle de "foyer national" et non d'"Etat", elle est faite au moment où la Grande-Bretagne multiplie également les promesses au monde arabe - le double jeu mené par les diplomaties européennes au crépuscule de l'Empire ottoman qui précède de quelques décennies l'effondrement de leurs propres ambitions impériales. Pour une partie du monde juif, la déclaration Balfour s'inscrit dans la logique des mouvements nationalistes du XIXe siècle européen. Les Italiens, les Allemands avaient eu droit à l'unité nationale. En pleine affaire Dreyfus et alors que les pogroms se multipliaient à l'est de l'Europe, pourquoi les Juifs n'auraient-ils pas "droit" à leur Etat ? C'était le rêve de Theodor Herzl, qui chercha initialement le soutien de l'Empire ottoman et de l'empereur d'Allemagne Guillaume II dans l'accomplissement de son projet. Après la mort de Herzl, son successeur à la tête du mouvement sioniste, Chaim Weizmann, sut convaincre la diplomatie britannique, en pleine Première Guerre mondiale, que le soutien des communautés juives aux Etats-Unis, et même en Russie, était essentiel à l'entrée ou au maintien de ces deux pays dans la guerre au côté des alliés. Un argument sans doute très exagéré dans la réalité, surtout dans le cas de la Russie, mais qui s'avéra fort convaincant.

Pour les Palestiniens et le monde arabe dans son ensemble, l'Europe ne pouvait décider de leur sort sans les consulter, substituant ainsi une domination à une autre. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque naît réellement l'Etat d'Israël en 1948, il ne peut leur apparaître que comme la manifestation anachronique - le processus de décolonisation s'accélère alors partout dans le monde - d'une volonté impériale occidentale. Pourquoi le monde arabe devrait-il payer le prix des crimes commis par l'Europe à l'encontre de ses communautés juives ?

La poignée de main Rabin-Arafat

Cent ans plus tard, il est peu de dire que le malentendu persiste. A New York et à Londres, un public occidental se presse pour voir la pièce de J.T. Rogers, "Oslo", qui résume de manière théâtralement très efficace la négociation secrète qui faillit aboutir à la paix entre Israël et la Palestine au début des années 1990. Il est clair, à voir le public, que les élites arabes, pourtant si présentes à Londres, ne s'y intéressent guère. Le 13 septembre 1993, le jour de la poignée de main historique entre Rabin et Arafat, réunis dans la roseraie de la Maison-Blanche autour du président Bill Clinton, France Télévisions m'avait demandé de commenter en direct l'événement avec Ghassan Salamé, l'actuel représentant des Nations unies en Libye. Sa réserve contrastait avec mon enthousiasme. Rétrospectivement, il avait raison, bien sûr, et j'avais tort.

Cent ans après la déclaration Balfour, plus de vingt ans après cette poignée de main historique entre Rabin et Arafat, le problème israélo-palestinien demeure non résolu. Comment pourrait-il en être autrement ? Les Israéliens en position de force privilégient le statu quo. Les Palestiniens plus que jamais en position de faiblesse ne constituent plus à eux seuls un partenaire à la négociation. Abandonnés par le monde arabe sunnite, qui, derrière l 'Arabie saoudite, s'est rapproché d'Israël, ils n'ont plus comme seul défenseur qu'un Iran chiite qui peine à convaincre le monde que les « atrocités d'Israël » sont plus inacceptables que celles commises par toutes les parties dans la tragédie syrienne.

Et pourtant, les fondamentaux sont toujours les mêmes. Tactiquement, l'Etat d'Israël peut bien être le grand vainqueur de l'échec des printemps arabes et de  la rivalité grandissante entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Mais, stratégiquement, l'Etat hébreu a besoin de trouver une solution équilibrée et "juste" au problème palestinien. Les propos de Rabin aux Palestiniens le 13 septembre 1993 sont toujours, sur un plan géopolitique tout autant qu'éthique, indépassables et incontournables : "Nous sommes destinés à vivre ensemble sur le même sol [...] nous qui avons vu nos parents et nos amis tués sous nos yeux [...] nous qui venons d'une terre où les parents enterrent leurs enfants : nous vous disons aujourd'hui, d'une voix claire et forte ; assez de sang et de larmes. Assez !"

Le conflit israëlo-palestinien ne figure plus sur l'agenda des diplomates, ou de manière si marginale. Qui veut encore monter au sommet de l'Himalaya de la diplomatie et ce sans oxygène ? Sa résolution est pourtant décisive, non seulement pour la région mais aussi pour le monde. Si ce conflit peut être résolu, alors tout est toujours possible. "Il est réaliste de croire aux rêves", affirmait  David Ben Gourion, le premier Premier ministre d'Israël .

Renoncer à la réalisation de ses rêves peut parfois signifier se résoudre à l'inexorable accomplissement de ses cauchemars.

La déclaration Balfour, en dépit de ses multiples ambiguïtés, et parce qu'elle en appelle au respect de toutes les parties, demeure un message d'espoir.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 27 octobre).

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