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10/09/2019

Emmanuel Macron : le grand écart entre intérêts et valeurs

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Emmanuel Macron : le grand écart entre intérêts et valeurs
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Russie, Chine, Etats-Unis : la France veut jouer partout la puissance de l'équilibre. Mais elle doit trouver un compromis pour ne pas sacrifier ses principes sur l'autel de ses intérêts.

Il y a deux semaines se tenait à Biarritz le sommet du G7. Avec le court recul du temps est-il possible d'en tirer un premier bilan qui soit plus distancié ? Sur un plan global, le sommet de Biarritz se caractérise par un double processus de légitimation : de la formule du G7 dans le monde, d'Emmanuel Macron en France. En apportant la preuve à ses détracteurs que le G7 pouvait être utile en dépit de ses limitations, le président français a vu sa cote de popularité remonter de manière significative dans l'opinion.

Aujourd'hui, du fait de la rencontre entre la personne de son président et du vide qui existe autour d'elle en Europe, la France a retrouvé - pour partie au moins - la place qui fut un temps la sienne sur l'échiquier européen et mondial. L'expression "la France est de retour" n'a jamais été plus juste. Mais avec l'influence retrouvée vient la responsabilité. Ce que dit, ce que fait la France va bien au-delà d'elle-même. Et la manière dont "le pays des droits de l'Homme" aborde la tension qui peut exister entre les intérêts et les principes n'est pas neutre. Il ne saurait exister de contradictions trop criantes entre la défense des "valeurs des Lumières" sur le plan national et européen, et des choix diplomatiques qui ne traduiraient que de froides considérations de géopolitique sur le plan international. La recherche d'une voie médiane, d'un juste compromis entre intérêts et valeurs s'applique tout particulièrement à la gestion de nos relations avec Moscou, Pékin et Washington.

L'énigme russe

Commençons par la Russie. Peut-on raisonnablement continuer à l'isoler, alors même qu'elle est incontournable sur de nombreux dossiers, de l'Ukraine à la Syrie ?  Mais peut-on aussi, en se rapprochant d'elle - comme le souhaite le président Macron - faire comme si elle ne cherchait pas de manière systématique à intervenir dans nos processus démocratiques ? Convaincre la Russie que son avenir est en Europe, qu'elle ne saurait se satisfaire d'être le partenaire junior de la Chine dans le monde n'est déjà pas en soi une chose aisée. Pousser Moscou à abandonner un mode de pensée hérité de l'URSS, qui se traduisait par la formule, toujours d'actualité à sa manière : "ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable", est sans doute plus difficile encore. C'est lorsqu'un animal est affaibli, et se sent vulnérable, qu'il est souvent le plus dangereux. Ne pas se faire d'illusions sur la Russie, sur la nature de son système et sur la force de ses "mauvaises habitudes" est une chose. Céder à la tentation du résultat, à la volonté irrépressible d'annoncer des percées diplomatiques spectaculaires, en est une autre. Il existe une contradiction majeure entre le temps long de la diplomatie et le temps court, sinon l'immédiateté, de la culture médiatique contemporaine. La France a-t-elle fait vraiment progresser le dossier ukrainien ou a-t-elle sérieusement contribué à la désescalade de la crise iranienne ? Seul l'avenir le dira. Et un peu d'audace et d'imagination est préférable à un mélange de résignation et de passivité.

Ignorer la société civile est une erreur

Au-delà du dossier russe, il y a le dossier chinois. Il existe des secteurs de l'économie française qui ont intérêt à une levée des sanctions contre la Russie.  Mais personne ne peut souhaiter une escalade de la guerre commerciale avec la Chine, qui ferait de nombreuses victimes dans tous les camps. Peut-on pour autant – Angela Merkel constitue une heureuse exception – détourner les yeux lorsque Pékin, à travers le gouvernement de Hong Kong, remet en cause délibérément le statu quo qui existait dans la péninsule, sur la base des accords signés en 1984, entre la Chine et la Grande-Bretagne ? Ne pas inutilement provoquer l'ire des Chinois est une chose, considérer que "tout cela ne nous concerne pas" en est une autre. Pékin, tout comme Moscou, semble penser que le modèle de la démocratie libérale est devenu obsolète. Il est bon de leur rappeler, discrètement, mais fermement, qu'ils ont, eux aussi, des rues de Moscou à  celles de Hong Kong, de petits problèmes avec leur système. Dans nos relations avec la Russie et la Chine, ignorer totalement la société civile ne serait pas seulement une faute morale, mais une erreur stratégique, une forme d'autoparalysie volontaire qui affaiblirait nos cartes et renforcerait celles de nos partenaires/adversaires. "Vous faites tout pour nous affaiblir, peut-être devriez-vous davantage regarder ce qui se passe chez vous avant de disperser vos énergies et vos ressources dans des attaques directes ou indirectes contre nos systèmes."

Donald Trump ne sera jamais un partenaire fiable

Il existe enfin, et c'est peut-être là le plus important, le dossier américain. Traiter de manière privilégiée avec son président est une chose. La nature a horreur du vide et la France remplit ce vide en Europe. Mais cette volonté de rapprochement diplomatique - qui traduit pour partie l'empathie personnelle étrange qui peut exister entre les présidents français et américain - ne saurait conduire à des malentendus. Donald Trump n'est pas le candidat de la France aux élections présidentielles américaines de 2020. Et le rôle d'Emmanuel Macron ne peut être celui de "légitimer" le candidat Trump auprès d'une partie de l'électorat américain en le faisant paraître plus raisonnable qu'il ne l'est en réalité.

Ne pas oublier la Chine ou la Russie éternelle, en allant au-delà des dirigeants qui les incarnent à un moment donné, est une tradition gaulliste. Mais il ne faut pas aller trop loin sur cette voie. Dans le cas des Etats-Unis, la nature imprévisible du leader de la première puissance mondiale est proprement exceptionnelle. On peut tactiquement le flatter, effectuer avec lui des rapprochements aussi surprenants qu'éphémères. Donald Trump n'est pas, et ne sera jamais, un partenaire fiable et stable. La défense de nos intérêts et de nos principes passe par un mélange de fermeté et de distance à son égard.

Enfin, il est nécessaire de comprendre qu'il n'y a pas forcément d'opposition entre les intérêts et les principes. En trahissant ses valeurs, un pays trahit souvent ses intérêts.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 09/09/2019)

Copyright : Ian LANGSDON / POOL / AFP

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